Bien sûr, on peut toujours attendre de voir un film sur son écran plat vautré dans son canapé tout en sifflant des verres de vin nu, mais pour ceux qui font les films la sortie en salle est l’acte fondateur.
Pourquoi Clara a-t-elle été brûlée vive ?
Ce féminicide atroce dévore de l’intérieur son enquêteur, Yohan… Un récit d’une noirceur salutaire.
Qui a tué Clara ?
Où, quand, comment, on le sait déjà : elle a été brûlée vive, une nuit, dans une rue de la région grenobloise. Alors, qui ?
À cette question, Yohan, l’inspecteur de la police judiciaire chargé de l’enquête, n’aura jamais de réponse. On ne divulgâche rien en écrivant que La Nuit du 12 est un thriller sans coupable. Le film lui-même l’annonce dès l’ouverture, avec un carton précisant qu’environ 20 % des enquêtes criminelles menées par la PJ en France restent irrésolues. L’histoire du film, tirée d’un fait divers, est de celles-ci.
C’est l’une des plus belles audaces de Dominik Moll (Harry, un ami qui vous veut du bien, Seules les bêtes) et de son coscénariste, Gilles Marchand, que d’assumer d’emblée leur film pour ce qu’il est. Non pas un polar tendu vers la résolution d’une énigme et la révélation de l’identité de l’assassin — au fil des interrogatoires de police, tous les amants de passage de Clara s’avéreront capables de l’avoir tuée — mais la recherche, sombre et tourmentée, du mobile du crime.
Pourquoi ?
Pourquoi tuer, qui plus est d’une façon aussi atroce, une jeune fille heureuse de vivre, de séduire, d’aimer ?
La question tourne en boucle dans le cerveau de Yohan comme lui, chaque soir, tourne en rond sur la piste du vélodrome.
L’horreur du féminicide ruine progressivement la santé mentale de ce chef d’équipe taciturne et rigoureux tout en le forçant à changer de prisme. Comme lors de cette scène décisive et poignante, au mitan du film : l’enquêteur interroge la meilleure amie de Clara sur les relations sexuelles de cette dernière. La réaction de la jeune fille l’ébranle profondément, l’obligeant soudain à prendre conscience des ambiguïtés de son point de vue masculin. Plus tard, c’est encore une femme, une jeune collègue cette fois, qui, en une phrase, fera vaciller d’autres certitudes. À commencer par la neutralité de sa position, celle d’un homme chargé d’arrêter d’autres hommes, coupables de violences sur des femmes.
Fusion du réalisme et de l’imaginaire
Allant bien au-delà de sa dimension de thriller psychologique, attaché à dépeindre avec une grande justesse la mécanique de l’obsession, le film dresse par petites touches le constat désespérant d’une police et d’une justice au fonctionnement constamment entravé. Faire marcher l’imprimante de la PJ ou obtenir le budget d’une mise sur écoute sont autant de micro calvaires quotidiens. Épuisants. Yohan et ses coéquipiers se retrouvent au chevet d’un service public que les coupes budgétaires successives ont rendu inapte à prendre en charge ce genre d’affaires. Dans ce système perverti, les bonnes volontés ne suffisent pas. Le manque de moyens et la surreprésentation masculine semblent se liguer pour que s’impose naturellement la conclusion suivante : si les femmes sont tuées, c’est peut-être, finalement, un peu de leur faute.
En s’inspirant du livre 18.3. Une année à la PJ, une enquête très documentée de la romancière Pauline Guéna, le cinéaste et son scénariste ont tablé sur la fusion du réalisme et de l’imaginaire. Et évité le piège du film à sujet. C’est précisément parce que les personnages ne sont jamais instrumentalisés ni dévitalisés que La Nuit du 12 touche aussi fort. Servi par Bastien Bouillon, enfin au premier plan, mais aussi par de magnifiques figures féminines (dont la juge, interprétée par Anouk Grinberg dans l’un de ses plus beaux rôles), le récit coule, noir et pénétrant. Suffocant mais salutaire.
Notre critique de La Nuit du 12: l’incarnation du mâle ICI
Par Etienne Sorin
Publié le 12/07/2022 à