Autre temps, autres mœurs disaient certains, absolument faux, ces mœurs étaient celles revendiquées et défendues par une nomenklatura « intellectuelle » qui se sentait au-dessus de la loi, dont la transgression confortable se fondait sur un sentiment d’impunité de l’élite.
La quête des signatures fut menée par Matzneff, avec l’aide de Guy Hocquenghem. Selon lui, la plupart des personnes contactées se montrèrent favorables. Parmi les refus, Marguerite Duras, Hélène Cixous, Xavière Gauthier, et Michel Foucault.
En 2013, Matzneff ne renie en rien les valeurs exprimées par cette pétition : « J’en suis très fier et, si je l’écrivais aujourd’hui, je n’en modifierais pas le moindre mot, car elle est encore plus actuelle, nécessaire aujourd’hui qu’en 1977. »
Le communiqué :
Les 27, 28 et 29 janvier, devant la cour d'assises des Yvelines, vont comparaître, pour attentat à la pudeur sans violence sur des mineurs de quinze ans, Bernard Dejager, Jean-Claude Gallien et Jean Burckhardt, qui, arrêtés à l'automne 1973, sont déjà restés plus de trois ans en détention provisoire. Seul Bernard Dejager a récemment bénéficié du principe de la liberté des inculpés.
Une si longue détention préventive pour instruire une simple affaire de " mœurs ", où les enfants n'ont pas été victimes de la moindre violence, mais, au contraire, ont précisé aux juges d'instruction qu'ils étaient consentants (quoique la justice leur dénie actuellement tout droit au consentement), une si longue détention préventive nous paraît déjà scandaleuse.
Aujourd'hui, ils risquent d'être condamnés à une grave peine de réclusion criminelle soit pour avoir eu des relations sexuelles avec ces mineurs, garçons et filles, soit pour avoir favorisé et photographié leurs jeux sexuels.
Nous considérons qu'il y a une disproportion manifeste, d'une part, entre la qualification de " crime " qui justifie une telle sévérité, et la nature des faits reprochés ; d'autre part, entre le caractère désuet de la loi et la réalité quotidienne d'une société qui tend à reconnaître chez les enfants et les adolescents l'existence d'une vie sexuelle (si une fille de treize ans a droit à la pilule, c'est pour quoi faire ?).
La loi française se contredit lorsqu'elle reconnaît une capacité de discernement à un mineur de treize ou quatorze ans qu'elle peut juger et condamner, alors qu'elle lui refuse cette capacité quand il s'agit de sa vie affective et sexuelle.
Trois ans de prison pour des caresses et des baisers, cela suffit. Nous ne comprendrions pas que le 29 janvier Dejager, Gallien et Burckhardt ne retrouvent pas la liberté.
Ont signé ce communiqué :
Louis Aragon, Francis Ponge, Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Judith Belladona, docteur Michel Bon, psychosociologue, Bertrand Boulin, Jean-Louis Bory, François Chatelet, Patrice Chéreau, Jean-Pierre Colin, Copi, Michel Cressole, Gilles et Fanny Deleuze, Bernard Dort, Françoise d'Eaubonne, docteur Maurice Eme, psychiatre, Jean-Pierre Faye, docteur Pierrette Garrou, psychiatre, Philippe Gavi, docteur Pierre-Edmond Gay, psychanalyste, docteur Claire Gellman, psychologue, docteur Robert Gellman, psychiatre, André Glucksmann, Félix Guattari, Daniel Guérin, Pierre Guyotat, Pierre Hahn, Jean-Luc Henning, Christian Hennion, Jacques Henric, Guy Hocquenghem, docteur Bernard Kouchner, Françoise Laborie, Madeleine Laïk, Jack Lang, Georges Lapassade, Raymond Lepoutre, Michel Leyris, Jean-François Lyotard, Dionys Mascolo, Gabriel Matzneff, Catherine Millet, Vincent Monteil, docteur Bernard Muldworf, psychiatre, Négrepont, Marc Pierret, Anne Querrien, Griselidis Real, François Régnault, Claude et Olivier Revault d'Allonnes, Christiane Rochefort, Gilles Sandier, Pierre Samuel, Jean-Paul Sartre, René Schérer, Philippe Sollers, Gérard Soulier, Victoria Thérame, Marie rhonon, Catherine Valabrègue, docteur Gérard Vallès, psychiatre, Hélène Vedrines, Jean-Marie Vincent Jean-Michel Wilhelm, Danielle Sallel nave, Alain Cuny.
L'amour est-il un crime ?
Par GABRIEL MATZNEFF.
Publié le 08 novembre 1976
L'AN dernier, une plainte pour détournement de mineurs, actes contre nature et incitation de mineurs à la débauche - qui, selon le code pénal, sont des " crimes " justiciables de la cour d'assises - avait été déposée contre un écrivain que je connais un peu, pour des propos sur l'adolescence tenus à l'émission télévisée de Bernard Pivot, " Apostrophes ". Menacé de la sorte, l'écrivain s'attendait à être défendu par les spécialistes de la pétition en tous genres, les durs de durs de la conscience universelle, et à voir se constituer un comité de belles âmes qui se chargerait de collecter les signatures en sa faveur et de publier un communiqué indigné.
Curieusement, ce fut le silence. Les chers confrères, si prompts à s'émouvoir de la moindre atteinte à la liberté d'expression commise à Madrid ou à Moscou, se bouchaient les yeux pour ne pas voir ce qui se passait du côté du jardin du Luxembourg. Soudain, la cécité complète. La raison en était double. D'abord, cet écrivain n'appartenait à aucune chapelle, à aucune coterie, à aucune secte : un homme isolé, un homme libre, autant dire un homme sans importance. D'autre part, la liberté sexuelle des enfants et des adolescents est un thème qui n'inspire guère les partis politiques. La droite, à cette seule évocation, grince des dents. Quant à la gauche, son idéal secret demeure la planche à clous et la continence de Rachmétoff, le héros de Que faire ? de Tchernychevski, bible des marxistes russes : comme on dit en charabia d'aujourd'hui, l'amour est " démobilisateur ", il distrait les chères têtes blondes et brunes de la nécessaire lutte des classes. L'oncle Lénine veut des disciples chastes. Et, de fait, la gauche n'a pas entièrement tort : une passion amoureuse, quand on s'y donne à fond, cela prend du temps.
Cette gêne, teintée de réprobation, voire d'hostilité, explique que dans la France de 1976 des hommes, pour s'être livrés " à des actes immoraux et à des attentats à la pudeur sans violence sur des mineurs de moins de seize ans, garçons et filles ", puissent moisir en prison depuis plus de trois ans, sans avoir été jugés, et que ce scandale ne scandalise personne, ou quasi. Arrêtés en octobre 1973 (1), le docteur Gallien et ses amis auront subi une détention préventive de près de quatre ans lorsque, l'été prochain, ils comparaîtront devant la cour d'assises de Versailles. Je ne suis pas juriste, mais une si longue détention préventive, pour instruire une simple affaire de mœurs, où les enfants n'ont été victimes de la moindre violence, mais au contraire ont précisé au juge instructeur qu'ils étaient consentants et que cela leur avait été fort agréable, me paraît une injustice monstrueuse. Le 20 octobre dernier - trois ans jour pour jour après son arrestation, - l'un des trois accusés, M. Bernard Dejager, a enfin obtenu de la chambre criminelle sa mise en liberté provisoire. Je l'ai rencontré à sa sorte de la prison de Fresnes. C'est un homme cassé, écorché vif, révolté par le traitement subi, que pétrifie l'attente de la cour d'assises, qui peut-être le condamnera à une peine de cinq à dix ans de réclusion criminelle.
Cinq à dix ans de réclusion criminelle ! En vérité, c'est la justice du père Ubu, et il est urgent que le législateur modifie les articles du code pénal qui regardent la protection de l'enfance et de l'adolescence, - singulièrement le courtelinesque article 330 et l'article 331 qui établissent que " tout attentat à la pudeur consommé ou tenté sur la personne d'un enfant de l'un et l'autre sexe âgé de moins de quinze ans sera puni de la réclusion criminelle à temps de cinq à dix ans ". Articles d'autant plus odieux qu'ils opèrent une discrimination entre l'hétérosexualité et l'homosexualité : l'ordonnance du 25 novembre 1960 et la loi du 6 août 1942, signée de Pétain, Laval et Abel Bonnard, validée par une ordonnance du 8 février 1945, qui constituent respectivement les articles 330 § 2 et 331 § 3 de l'actuel code pénal.
Que les viols et les violences soient punis avec rigueur, les amoureux de l'extrême jeunesse sont les premiers à le souhaiter. Ce que nous combattons, c'est cette idée, qui semble être la pierre d'angle de l'actuelle législation, que l'éveil de l'instinct et des pratiques sexuels chez la très jeune fille ou chez le jeune garçon soit nécessairement nuisible et funeste à leur épanouissement. Cela n'est pas vrai. Ce qui est néfaste, ce sont les contacts sexuels mécaniques, sans tendresse, sans amour ; mais les lettres de l'adolescente que j'ai publiées dans les Moins de seize ans témoignent, me semble-t-il, qu'une relation d'amour entre un adulte et un enfant peut être pour celui-ci extrêmement féconde, et la source d'une plénitude de vie. Aimer un être, c'est aider à devenir celui qu'il est. Or cette quête d'identité, qui a pour but la possession et la connaissance de soi, est aussi une quête d'identité sexuelle. Une relation amoureuse, dès lors qu'elle est fondée sur la confiance et la tendresse, est le grand moteur de l'éveil spirituel et physique des adolescents. Les perturbateurs des moins de seize ans ne sont pas les baisers de l'être aimé, mais les menaces des parents, les questions des gendarmes et l'hermine des juges.
(1) Le Monde du 30 octobre 1973
GABRIEL MATZNEFF.
L'enfant, l'amour, l'adulte
Par PIERRE GEORGES.
Publié le 29 janvier 1977
Trois hommes, un médecin, un visiteur médical, un employé de la R.A.T.P., ont comparu, jeudi 27 janvier, à Versailles, devant la cour d'assises des Yvelines. Motif : attentats à la pudeur sans violence sur mineurs de quinze ans. Cette affaire a été évoquée à deux reprises dans le Monde. Une première fois, sous la signature de M. Gabriel Matzneff, dans un point de vue, plaidoyer pour la pédophilie au titre choc " L'amour est-il un crime ? " (Le Monde du 7-8 novembre 1976). Une seconde fois sous forme d'un communiqué-pétition signé par une soixantaine de personnalités indignées du sort réservé aux trois inculpés maintenus en détention provisoire depuis trois ans " pour des caresses et des baisers " (le Monde du 27 janvier).
N'ayant ni la conviction de l'un, ni l'autorité des autres, nous avons assisté à la première audience de ce procès à Versailles, pour lequel le président, M. Ramin, malgré le caractère délicat des débats, a jugé nécessaire de ne pas prononcer le huis clos. Tant mieux : cela aura permis, à d'autres qu'aux seuls jurés de se faire une opinion sur la nature des faits reprochés aux trois inculpés et de savoir ce que recouvraient exactement les mots " caresses et baisers " ou cette notion d'amour.
Eh bien, disons-le, il est inadmissible que deux hommes, deux adultes, soient maintenus en détention provisoire pendant plus de trois ans, le troisième n'ayant été libéré sous caution que depuis quelques mois, avant d'être jugés. Quelle que soit la nature des faits qui leur sont reprochés. Là s'arrêtera l'indignation.
Ce procès n'est pas celui d'une société qui refuserait de prendre en compte la sexualité des adolescents, des préadolescents même, d'une société ultra-répressive, face à la sexualité des plus jeunes. Il est simplement celui de trois hommes qui ont repris en compte à leur profit, et pour leur plaisir, les pulsions sexuelles de très jeunes garçons et filles.
Ce procès est celui de trois adultes qui ont appris l'amour à six jeunes âgés de douze à quinze ans : l'amour avec un grand A, " photos et films naturistes avec conclusions érotiques ", c'est-à-dire pornographiques, caresses, c'est-à-dire masturbation réciproque, baisers, c'est-à-dire fellations réciproques, partouzes, c'est-à-dire une fille de treize ans et deux garçons dont son frère du même âge, nus dans un même lit pour des exercices pratiques, allant jusqu'à la sodomie.
Ces jeunes ont aimé ce scénario imaginé par leurs aînés. Ces jeunes n'ont été ni contraints ni menacés. Ils n'ont eu avec deux des adultes que des rapports sexuels limités, fellations et caresses, et consentis. Les adultes aussi ont aimé, au point de se constituer une collection de photos et de films parce que dira l'un " ce qui m'intéressait, c'était de voir la sexualité des enfants ". Mais il est naturel de ne pas aimer cette forme d'amour et cet intérêt.
PIERRE GEORGES.
Affaire Duhamel : le boomerang de la pétition pro-pédophilie de Gabriel Matzneff ICI
40 ans après, les signataires d’une pétition datant de 1977, parmi lesquels figurent Jack Lang et Bernard Kouchner, sont sommés de s’expliquer.