L’ami Lilian Bauchet a posté sur mon mur Face de Bouc : Une émission pour toi Jacques
La bicyclette : résurgence d'une liberté ?
Bonne Pioche Lilian, en effet lorsque je débarquai dans Paris en 1975 pour y travailler, le Ministère de l’Agriculture, j’ai choisi aussi d’y vivre avec ma famille 3 personnes, même si vu mon salaire de contractuel qui ne pesait pas lourd c’était dans un minuscule appartement rue Mazarine.
La raison en était que je ne voulais pas être soumis à la dictature des horaires de la banlieue : voir les gens courir dans le métro, surtout les femmes qui bien sûr son astreinte à l’élevage des enfants, le matin comme le soir afin d’attraper le bon train. Paris n’était pas encore une ville chère, on y trouvait des logements à des loyers raisonnables.
Très vite, afin de découvrir le Paris profond pendant les week-ends j’ai compris que le vélo serait le meilleur outil de cette liberté d’exploration et, par extension rien ne m’empêchait de m’en servir pour aller au travail.
J’ai donc opté pour un vélo de ville, un hollandais, un Royal Batavus, trois vitesses au moyeu, freinage par rétropédalage, chaîne carénée, selle Brooks, le nec plus ultra, indestructible : pour preuve il est toujours là, fringant, vaillant, admiré de tous.
Choix de vie, autonomie et liberté, ce fut fondateur.
Au travail on m’a traité de snob, puis les bonnes âmes m’ont dit d’un air contrit que c’était dangereux, je suis passé outre et, en costume-cravate été comme hiver je me suis rendu au travail à vélo et, bien sûr, j’ai sillonné Paris juché sur mon beau destrier noir.
Il n’y avait pas en ce temps-là de pistes cyclables, et dans certaines rues affleuraient encore les rails du tramway mais je n’ai jamais chuté. Souvenir d’une réunion très officielle où je suis arrivé trempé comme une soupe, mon costume pendouillait comme une serpillière, sous le regard stupéfait de mes collègues.
Les premières pistes cyclables dans Paris nous les devons à Jean Tiberi qui, avec Xavière, savait si bien faire voter les gens du village que Dieu avait rappelé au royaume des cieux. Hommage lui soit rendu, Jacques Chirac, lui, nous avait dotés des motos-crottes.
Et puis, mai 81 vint. Nous passâmes aux dires de Jack Lang « de l’ombre à la lumière », pour ma part après la marée rose je rejoignais l’hôtel de Lassay, siège de la Présidence de l’Assemblée Nationale, où, je venais d’être nommé conseiller technique du Président en charge des dossiers de l’agriculture, du commerce et de l’industrie.
Mon arrivée à vélo au poste de garde de l’entrée de l’hôtel de Lassay fit sensation ; le factionnaire m’indiqua que le règlement de l’AN ne me permettait pas de circuler juché sur mon haut destrier noir mais que je pouvais pédestrement le pousser jusqu’au perron. Ce que je fis. Quelques jours plus tard le chef de cabinet du Président levait l’oukase pour le plus grand bonheur d’un administrateur lui-même cycliste.
Les socialos nous faisaient bosser jusqu’à pas d’heures, nous enfilions les séances de nuit comme un charcutier les saucisses ; revenir dans mon treizième arrondissement au cœur de la nuit à vélo était un vrai bonheur. Ce fut le cas un dimanche, où l’on avait infligé à ce pauvre Rocard de défendre le budget de son Ministère du Plan face à une assistance bien maigre. Il me passa une avoinée justifiée, je ne pus lui répondre que je n’y étais pas pour grand-chose et que j’en étais désolé. Ce lundi-là au petit matin, sur mon grand Batavus, je ruminais ma colère.
Et puis, en 1986, grand saut dans le privé, me voilà embauché à la SVF (Société des Vins de France n°1 du jaja devant Castelvin) dont le siège social se situait sur le charmant port de pêche de Gennevilliers. J’ai dû remiser mon Grand Batavus et traverser Paris Sud-Nord puis Nord-Sud tous les jours ouvrables. L’horreur absolu de la bagnole qui me fit migrer à Courbevoie.
1988, retour au 78 rue de Varenne, voiture de fonction avec chauffeur, le vélo c’était pour le week-end.
4 août 2009
La nuit du 4 août : abolition des privilèges, sauf le mien
En cette nuit du 4 août j’avoue tout : oui dans mes fonctions « ministérielles » me faire conduire fut toujours pour moi un vrai bonheur. ICI
Pour conclure, j’ai découvert dans le numéro 16 /17 de la revue « Médium » un texte de Régis Debray « Pauvres riches » qui m’a ravi. Je vous offre l’extrait sur son goût prononcé pour la voiture avec chauffeur.
« Le seul attribut du richard qui peut donner des aigreurs au Parisien surveillé et canalisé, recru de PV et d’embouteillages, c’est la voiture avec chauffeur. Le dernier luxe, la rente qui me fait rêver. Parce qu’elle part aux contredanses, autorise le travail continu sans rupture de charge et permet d’aller le soir voir des pièces d’avant-garde, au fond de ces ténébreuses et labyrinthiques banlieues qui découragent d’avance le cycliste que je suis. Rien que pour s’éviter la sinistrose des temps morts, gaspillés dans les couloirs de la station Montparnasse ou Châtelet, sans lecture ni téléphonage possible – je comprends qu’on puisse faire des bassesses dans les antichambres élyséennes. Quand j’entends qu’un ami a été nommé président de ceci ou directeur de cela (les bons emplois à la disposition du gouvernement permettent de rejoindre les milliardaires sur la question stratégique du véhicule confortable, gratuit et toujours à portée de voix), mon premier mouvement, noble, est de compassion, aussitôt tempéré par un second, moins reluisant : « Le salaud, avec ses deux chauffeurs attitrés (35 heures obligent) et ses vitres fumées, il va gagner deux ou trois heures par jour sur le bipède ordinaire (distorsion de concurrence), plus dans les 1000 euros par mois (tickets de stationnement et contraventions en moins). Injuste. Odieux. Pourquoi pas moi ? ». Il faut bien un exutoire au moche. De loin en loin. Ça purge les vilains sentiments. Par le bas »
Et puis, la vie normale a repris son cours, j’ai vécu un temps dans les bois du côté d’Ermenonville tout en restant fidèle à mon grand Batavus.
J’ai fait un Vinexpo à vélo.
Et puis un jour on m’a volé mon grand Batavus.
Triste, lorsqu’il s’est agi de remplacer mon vieux destrier je me suis tâté : allais-je pousser l’inconscience de ma vieillesse indigne jusqu’à acheter un vrai fixie ?
J’ai opté pour un compromis, un vélo caréné comme un fixie mais avec changement de vitesse à la poignée.
Deux raisons m’ont fait pencher vers le classicisme :
- tout d’abord Paris n’est pas plat et l’absence de changement de vitesses, ce dont était pourvu mon Grand Batavus (3), est redoutable pour relancer la bête au bas de la pente de Ménilmontant ;
- ensuite, comme je suis un garçon qui fait ses courses, l’absence de portebagages s’avérait un handicap majeur.
Bref, j’achetai à « En selle Marcel » un vélo Cooper que l’on me vola devant le Lapin Blanc ; fâché j’optai pour un modèle Zandvoort qui me valut des compliments de tous mes collègues cyclistes. Un bijou. C’est avec lui que j’ai pris ma première gamelle, il n’y était pour rien, j’étais en roue libre mais un ralentisseur Hidalgo bloqua mon cale-pieds et je valdinguai. 15 jours d’hosto.
1 an après j’ai opté pour l’assistance électrique
3 août 2018
Il beau mon nouveau vélo de bobo californien Electra LOFT GO ! 8i plus besoin de pédaler ou presque… ICI
Résumé :
Plus de 40 ans de vélo dans les rues de Paris ; 5 engins, le premier un vélo anglais qui n’a pas fait long feu, volé dans la cour du Ministre au 78 rue de Varenne, oui, oui, en ce temps-là on y entrait encore plus facilement que dans un moulin. Le second qui a eu la plus longue vie un Grand Batavus old Dutch avec freinage par rétropédalage, indestructible, volé lui aussi ; le troisième acheté chez En selle Marcel un Cooper Oporto, volé après un an ; le quatrième toujours acheté chez En selle Marcel un Cooper Zandvoort, un vrai urban-cycle, léger, un bijou.
En 2008 je notais déjà :
À vélo, dans la ville, hormis que pour y survivre face à la horde motorisée – qui ces dernières années avec le boom des scooters est devenue quasi-sauvage – et l’indiscipline des piétons, on apprend la civilité et le calcul de la bonne trajectoire en partant du principe que pour les maîtres de la chaussée, les impérieux à moteur, le cycliste est un importun. Comme me le faisait remarquer finement, lors d’un déjeuner en ville, le gros Gérondeau, passé de la Sécurité Routière au tout pour la bagnole – c’est plus juteux – « le vélo n’a pas sa place à Paris… »
Il est vert de rage le Gérondeau avec le succès du Vélib mais ça ne l’empêche pas de vociférer contre l’arrogance des néo-cyclistes qui, entre nous soit dit, sont assez cons pour mettre leur vie en danger et, en plus, de faire réélire Delanoë. Même Bernard Arnault s'y met, chez Louis Vuitton les abonnements à Vélib (29 euros/an) sont pris en charge par la maison.
Dans la ville les « sauvageons » en col blanc sont légions : sus aux feux rouges, pas de rémission, la rue est aux astucieux insoucieux des règles du code de la route et de la bienséance, insultes, bras d’honneur, même ces dames s’y mettent.
Mon drame c’est que ce sont eux qui donnent le « la » : le néo-cycliste est trop souvent un automobiliste à vélo. Les gardiens de l’ordre, eux, majoritairement automobilistes dans l’âme, sont beaucoup plus préoccupés par la fluidité du trafic, la verbalisation aveugle mais juteuse, le rodéo hurlant, que par la protection des usagers les plus faibles. La rue c’est la jungle, le vert en moins, les gaz d’échappement en sus !
Reste, les derniers aristos du vélo, dont je suis, soucieux de leur vie et de celle des autres, qui survivent dans cet univers impitoyable.
Depuis le déconfinement, la pratique du vélo a le vent en poupe. SEB, le spécialiste français d’électroménager devient partenaire industriel d’une start-up de vélos électriques. Les vélos Angell, ultra connectés et portés par Marc Simoncini, seront assemblés dans l’usine historique du groupe SEB, à Is-sur-Tille en Côte-d’Or et les premiers vélos sont programmés pour l’été.
La pratique du vélo devient un nouveau geste barrière, car il permet de respecter la mesure de distanciation. Depuis le déconfinement du 11 mai, la fréquentation des pistes cyclables a augmenté de 44% et de nombreuses villes ont même aménagé des pistes cyclables temporaires “Spécial Covid”.
À propos d’écologie : qui se souvient de René Dumont ?
«Avons-nous le droit de jouer sur des paris l’avenir de l’humanité ?»
Quarante après la première candidature écologiste à la présidentielle, et la parution de son livre-programme, les intuitions et avertissements de René Dumont sont toujours d’actualité.
René Dumont a eu un parcours multi-facettes dans le XXe siècle : pour paraphraser le titre du mathématicien Laurent Schwartz (1915-2002), on pourrait parler d’ « un agronome aux prises avec le siècle ». Jean-Paul Besset, journaliste puis député européen du parti écologiste, a consacré à Dumont une riche et nécessaire biographie. Une constante dans son parcours est la forte désillusion envers le colonialisme, dès les années 1930 où il est jeune ingénieur agronome en Indochine, réalisant sur le terrain que le système colonial français n’est guère adapté à la formation et à la montée en compétence des peuples autochtones, par exemple en agriculture qui est son domaine ; cette analyse le conduira à son premier best-seller, L’Afrique noire est mal partie (1962) . Plus lente est son évolution vers l’écologie : il est sous Vichy un expert du productivisme agricole, et reste jusque dans les années 1960 dans une mouvance productiviste, assez favorable aux engrais chimiques et aux pesticides, dans l’objectif, lié à sa passion du développement du tiers-monde, de lutte contre la faim dans le monde. C’est à la fin des années 1960 que Dumont achève sa mutation, véritable « révolution copernicienne » selon Besset, vers une écologie militante, consciente des limites nécessaires à une croissance tous azimuts et d’une préservation de la planète.
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Les oubliés de l'histoire - René Dumont, l'homme qui voulait nourrir le monde | ARTE
Une traversée de l'histoire européenne du XXe siècle à travers les destins extraordinaires d'hommes et de femmes étonnamment peu connus. Agronome et tiers-mondiste, René Dumont, l'un des fond...