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5 avril 2020 7 05 /04 /avril /2020 06:00
Lucio Piccolo e Giuseppe Tomasi di Lampedusa

La première et dernière fois que je vis Giuseppe Tomasi Di Lampedusa, prince de Lampedusa, ce fut dans le courant de l’été 1954, à San Pellegrino Terme, à l’occasion d’un colloque littéraire organisé par la petite ville d’eau lombarde…

 

Le baron Lucio Piccolo, de Capo d’Orlando (Messine) authentique poète, fut la vraie révélation du colloque. Bien qu’ayant dépassé la cinquantaine, il était distrait et timide comme un adolescent ; il nous surprit et nous enchanta tous, jeunes et vieux par sa gentillesse, son allure de grand seigneur, son absence absolue de cabotinage, et par l’élégance un peu démodée de ses sombres vêtements à la sicilienne. Il était venu de Sicile par le train, accompagné d’un cousin plus âgé et d’un serviteur.

 

Le fait est que pendant la journée et demie que nous passâmes à San Pellegrino, la curiosité, l’étonnement et la sympathie convergèrent sur Piccolo, son cousin et leur serviteur (bizarre trio qui ne se séparait jamais : le serviteur, bronzé et robuste comme un homme d’armes, ne quittait pas un seul instant les deux autres des yeux…)

 

Ce fut Lucio Piccolo lui-même qui nous fit connaître son cousin : Giuseppe Tomasi Di Lampedusa, prince de Lampedusa. Ce dernier était grand, corpulent, taciturne, son visage avait cette pâleur grisâtre qui envahit parfois la peau sombre des méridionaux. À son pardessus soigneusement boutonné, à son chapeau abaissé sur les yeux, à la cane noueuse sur laquelle il s’appuyait pesamment en marchand, on l’aurait pris à première vue pour un général à la retraite ou quelqu’un de ce genre ; Il semblait avoir une soixantaine d’années. Il se promenait avec son cousin le long des allées qui entourent le Kursaal, ou assistait, dans la salle, aux travaux du colloque ; il restait toujours silencieux, le même pli amer aux lèvres. Quand je lui fus présenté, il se contenta de s’incliner légèrement, sans dire un mot.

 

Cinq ans presque passèrent sans que j’entendisse parler du prince de Lampedusa. Mais au printemps dernier une chère amie napolitaine, qui vit à Rome, ayant appris que je préparais une nouvelle collection, eut la bonne idée de me téléphoner. Elle avait quelque chose pour moi, disait-elle : un roman ; on venait de lui envoyer de Sicile. Elle serait heureuse de le mettre à ma disposition, il pouvait m’intéresser pour mes nouveaux travaux.

 

  • De qui est-ce ? demandai-je.

 

  • Ma foi, je l’ignore. Mais je crois qu’on doit arriver facilement à se renseigner.

 

J’eus peu de temps après le texte dactylographié. Il ne portait aucune signature. Toutefois, dès que j’eus savouré les phrases délicieuses de l’incipit, je fus sûr qu’il s’agissait d’un travail sérieux, de l’œuvre d’un véritable écrivain. Il ne m’en fallait pas plus. La lecture complète du roman que je finis en peu de temps ne fit que confirmer ma première impression.

 

Fichier:Licy e Giuseppe Tomasi a Palermo negli anni Trenta.jpg ...

Licy e Giuseppe Tomasi a Palermo negli anni Trenta

 

Je téléphonai tout de suite à Palerme. J’appris ainsi que l’auteur du roman n’était autre Giuseppe Tomasi, duc de Palma et prince de Lampedusa : oui, le propre cousin du poète Lucio Piccolo di Capo d’Orlando, on me le confirma. Le Prince, hélas, gravement malade depuis le printemps 57, était mort quelques mois plus tard à Rome, où il s’était rendu pour tenter un dernier traitement, en juillet de la même année.

 

À Palerme, j’eus le plaisir de faire la connaissance de la femme de l’écrivain, la baronne Alexandra Wolff-Stomersee, balte de naissance mais de mère italienne, spécialiste éminente des problèmes psychologiques (elle est vice-présidente de la Société de Psychanalyse d’Italie). Je glanai auprès d’elle quantité de renseignements sur Giuseppe Tomasi Di Lampedusa. Le plus surprenant fut pour moi le suivant : le Guépard avait été écrit, d’un bout à l’autre, entre 55 et 56. Il s’était donc passé ceci, ou à peu près : en rentrant de San Pellegrino, le pauvre Prince, s’était mis au travail, et, en quelques mois, chapitre après chapitre, il avait écrit son livre. Il avait à peine eu le temps de le recopier : les premiers signes de la maladie qui devait emporter G. Tomasi en quelques semaines s’étaient brusquement manifestés.

 

  • Il y a vingt-cinq ans, il m’annonça qu’il avait l’intention d’écrire un roman historique, situé en Sicile, à l’époque du débarquement de Garibaldi à Marsala, et centré sur le personnage de son arrière-grand-père paternel, Giulio di Lampedusa, astronome, me dit Mme de Lampedusa. Il y pensait sans cesse, mais ne se décidait jamais à commencer. À la fin, après avoir écrit les premières pages, il progressa avec ardeur. Il allait travailler au Cercle Bellini. Il partait tôt le matin et ne rentrait que vers trois heures.

Giorgio Bassani septembre 1958 Préface du Guépard

 

 

 

Le Guépard, de G. Tomasi di Lampedusa, ou la relecture de l’histoire depuis sa fin : tentation du lecteur et pièges de l’écriture.

SYLVIE SERVOISE

Le Mans – Université (Laboratoire 3L.AM)

 

Le succès du Guépard, premier bestseller de la littérature italienne publié en 1958, a sans doute fait oublier, notamment au-delà des frontières de la péninsule, la vigueur des débats interprétatifs dont il a pu faire, et continue de faire, l’objet. Sans doute encore, la fortune du film de Luchino Visconti (1963), qui privilégiait une certaine lecture du roman et qui, par son esthétique très classique renvoyait au spectateur l’image d’une intrigue sans aspérités, n’atil pas peu contribué à cet effet de lissage.

 

On ne saurait pourtant négliger l’ampleur de la polémique qui naquit à la publication du roman, ni le degré de radicalité des oppositions alors en jeu. « Gattopardeschi » et « antigattopardeschi » s’affrontèrent en effet vivement dans un débat qui mobilisait des arguments aussi bien esthétiques qu’idéologiques et politiques et qui, dans le contexte d’une crise de la littérature italienne dont Italo Calvino mesura rapidement les enjeux1, excédait largement la question de la valeur intrinsèque du roman. Mais audelà de la première réception du texte, le roman a continué de susciter des interprétations diverses, à des niveaux d’analyse distincts.

 

En ce sens, on peut dire que, à l’instar de l’Hamlet de Shakespeare tel que l’envisage Pierre Bayard dans L’enquête qu’il lui a consacrée en 20022, c’est bien à un « dialogue de sourds », ou plutôt à une série de dialogues de sourds que nous avons affaire au sujet du Guépard. Si nous tenterons d’abord de démêler, de manière synthétique, les enjeux et les raisons d’un tel phénomène, nous nous intéresserons ensuite plus particulièrement à l’un des nœuds de discorde majeurs – à savoir la pertinence de la huitième et dernière partie du roman, qui se déroule plusieurs décennies après la mort du protagoniste Don Fabrizio, Prince de Salina. Ce sera alors l’occasion de convoquer l’étude particulièrement stimulante d’un critique contemporain, Nunzio La Fauci, qui, à partir d’une grille d’analyse essentiellement lexicale et linguistique, voit dans cette dernière partie l’indice majeur de la structure foncièrement implicite du Guépard et l’emblème de l’écriture d’un auteur qui aura volontairement joué à « cacher et à montrer3 ». Enfin, nous explorerons une autre analyse possible de ce dénouement qui, convoquant un paradigme d’interprétation centré sur la question de la représentation du temps, tentera de montrer comment la dernière partie non seulement met en scène la multiplicité des interprétations possibles mais semble déjouer toute velléité d’en imposer une au détriment des autres, mettant en abyme la réception même du roman comme dialogues de sourds.

 

La suite ICI 

 

Giuseppe Tomasi di Lampedusa - RoyautéNews

 

Le Guépard n'est pas véritablement un roman historique

 

Lampedusa ne cherche pas à nous restituer le cours de l'Histoire, puisqu'il procède de manière discontinue, avec des sauts dans le temps : chaque chapitre est un tableau en soi, riche de significations, et qui séduit pour lui-même.

 

L'auteur était conscient de composer des scènes cinématographiques. Luchino Visconti n'a pas résisté à la tentation d'adapter l'œuvre à l'écran (Le Guépard, 1963), non seulement parce qu'elle s'y prêtait, mais parce qu'une forte affinité liait le romancier et le cinéaste : ces deux aristocrates étaient fascinés par le thème de la décadence ; un terme qui renvoie au déclin de leur classe, mais aussi tout simplement au déclin de l'âge qui terrasse le prince Salina, un être qui fut grand et qui à la veille de la mort est fasciné par la jeunesse, l'ardeur de Tancredi et d'Angelica. C'est cette dimension humaine et philosophique, cette résonance entre destinées individuelles et civilisations mortelles (toutes celles qui se sont succédé en Sicile et n'ont laissé que de superbes ruines), cette symbiose entre une phase historique de transition et l'adieu à la vie d'un vieil homme qui nous valent un roman psychologique attachant.

Le guépard de Giuseppe TOMASI DI LAMPEDUSA

Cet été, je lis «Le Guépard»
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CLASSIQUES DU XXE SIÈCLE (4)

Giuseppe Tomasi di Lampedusa est mort juste après avoir écrit son unique roman, sans savoir s’il serait publié. «Le Guépard» (1958) est considéré comme l’un des plus grands chefs-d'œuvre du XXe siècle ICI

Le Guépard, Film de Luchino Visconti Le Guépard, Film de Luchino Visconti Crédits : COLLECTION CHRISTOPHEL© Titanus Titanus / Collection ChristopheL - AFP

Le Guépard de Visconti, « il faut que tout change pour que rien ne change » ICI 

Tout semble plongé dans un profond sommeil sous le lourd soleil sicilien, sous la « pluie de feu » qui est tout à la fois malédiction et hypnose, nous dit Laurence Schifano. « Il faut que tout change pour que rien ne change » : phrase réactionnaire ? Opportuniste ? Deux œuvres magistrales, celle de Visconti et de Lampedusa, nous offrent le récit des vaincus du Risorgimento à travers le témoignage pénétrant du Prince de Salina délicieusement interprété par Burt Lancaster.

 

Le texte du jour

 

« Il se mit à regarder un tableau qui se trouvait en face de lui : c’était une bonne copie de La mort du Juste de Greuze. Le vieillard était dans son lit en train d’expirer, dans du linge bouffant et très propre, entouré de petits-fils affligés et de petites-filles qui levaient les bras vers le plafond. Les jeunes filles étaient jolies, provocantes, le désordre de leurs vêtements suggérait plutôt le libertinage que la douleur ; on comprenait tout de suite qu’elles étaient le véritable sujet du tableau. (…) Tout de suite après il se demanda si sa propre mort ressemblerait à celle-là : probablement que oui, sauf que le linge serait moins impeccable (il le savait bien, les draps des agonisants sont toujours sales : la bave, les déjections, les taches de médicaments…) et qu’il était souhaitable que Concetta, Carolina et les autres soient habillées plus décemment. Mais, dans l’ensemble, la même chose. Comme toujours, les considérations sur sa propre mort le rassérénaient autant que celles sur la mort des autres l’avaient troublé ; peut-être parce que, en fin de compte, sa mort était en premier lieu celle du monde entier ? »

Prod DB © Pathe-Titanus /DR
LE GUEPARD (IL GATTOPARDO) de  Luchino Visconti 1963 ITA
Claudia Cardinale, Luchino Visconti et Alain Delon sur le tournage du

Delon dans « Le Guépard » : Visconti ébloui ICI

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Publié le 23 juillet 2018 

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