« Nous sommes le samedi 21 août 1926. Il y a foule sur les quais d'Ouchy. Le petit dernier de la flotte de la Compagnie générale de navigation sur le lac Léman (CGN), L'Helvétie, est inauguré en grande pompe. Des dizaines d'invités français et suisses sont présents. Le juge cantonal Gustave Masson, président de la CGN, prend la parole en premier. Il est suivi de l'ancien conseiller fédéral Gustave Ador, alors président du CICR. Le repas préparé par Albert Maurer, restaurateur de La Savoie et du Café du Grand-Théâtre à Genève, est copieux :
« hors-d’œuvre variés, consommé double Madrilène, truite du Léman à la flotte sauce Nantua et pommes à l'anglaise, chaud-froid de volaille Bellevue, sorbet au Marasquin, petits pois Clamart, selle d'agneau de présalé, salade Francillon, bombe fédérale et biscuits glacés, mignardises, pièce montée, le tout arrosé d'aigle 1923, de pauillac Pontet-Canet 1916, de dézaley Grand Vin 1923, de corton 1919 et de Piper-Heidsieck 1919. »
Le chef de l'Helvétie se nomme Maître Cornu. Il est l'ancien cuisinier de «Sa Majesté le Roi du Monténégro».
Mais qu’est-ce donc que la salade Francillon ?
Dumas fils, ainsi qu’on l’appellera toujours, enfant illégitime du grand romancier et de la couturière Marie-Catherine Labay, est né le 27 juillet 1824 à Paris. Écrivain lui aussi, célèbre pour sa Dame aux camélias, pièce, partiellement autobiographique, qui relate son amour de jeunesse pour une jeune courtisane Marie Duplessis. Qui mourut de la tuberculose en 1847. Elle a inspiré Verdi pour son opéra La Traviata.
« Dans une autre de ses pièces, Francillon, dont la première se donne le 9 janvier 1887, à la comédie française, Dumas fils fait donner au cours de la pièce par Annette, la servante, la recette d’une salade à Henri, le jeune premier. Hâtivement noté par des spectateurs, le lendemain, le restaurant Brebant, établissement célèbre situé sur les boulevards, la met à sa carte. C’est le succès immédiat auprès des dîneurs, sous le nom de salade Francillon, toujours à la recherche de nouveautés.
La preuve est dans le texte, à l’acte I scène II :
L’acte I se déroule dans un grand salon, un hall très élégant, avec une serre vitrée au fond à laquelle on accède par la scène et les coulisses.
Dans la scène 1, sont présentes : la comtesse Francine de Riverolles appelée familièrement Francillon par ses amies et la baronne Thérèse Smith, amie d’enfance de Francine, qui devisent entre elles sur leurs vies, leurs conduites et leurs conditions en tant que « jeunes épouses et mères de moufflets de bonne naissance… ». Annette de Riverolles (Mlle Reichemberg), sœur de Lucien de Riverolles...
Arrive à la fin de la scène 1 pour préparer le thé qui vient d’être servi par les domestiques puis, au début de la scène 2, entrent le comte Lucien de Riverolles, époux de Francine, accompagné de deux amis, Stanislas de Grandredon et Henri de Symeux (M. Laroche). Francine va au piano et joue du Wagner. Au milieu de la scène, Annette est face au public avec Henri.
À la demande d’Henri, elle raconte la recette de sa salade de pommes de terre.
- Annette : Vous faites cuire des pommes de terre dans du bouillon. Vous les coupez en tranches comme pour une salade ordinaire et, pendant qu’elles sont encore tièdes, vous les assaisonnez de sel, de poivre, de très bonne huile d’olive à goût de fruit, vinaigre…
- Henri : À l’estragon !
- Annette : L’Orléans vaut mieux ; mais c’est sans importance. L’important, c’est un demiverre de vin blanc : château-yquem si possible… Beaucoup de fines herbes hachées menu… Faites cuire, en même temps, au court-bouillon, de très grosses moules avec une branche de céleri. Faites-les bien égoutter et ajoutez-les aux pommes de terre.
- Henri : Moins de moules que de pommes de terre.
- Annette : Un tiers au moins. Il faut qu’on sente peu à peu la moule. Il ne faut ni qu’on la prévoie, ni qu’elle s’impose. Quand la salade est terminée, remuez légèrement ; puis vous la recouvrez de rondelles de truffes… Une vraie calotte de savant.
- Henri : Des truffes cuites au vin de Champagne.
- Annette : Cela va sans dire… Tout cela deux heures avant de dîner, pour que cette salade soit bien froide quand on la servira.
- Henri : On pourrait entourer le saladier de glace !
- Annette : Non ! Non ! Non !... Il ne faut pas la brusquer : elle est très délicate et tous ses arômes ont besoin de se combiner tranquillement. Celle que vous avez mangée aujourd’hui est-elle bonne ?
- Henri : Un délice.
- Annette : Eh bien ! Faites comme il est dit, et vous aurez le même agrément. »
Recette de la salade Francillon sans truffes ce n’est pas la saison
Ingrédients
5 ou 6 pommes de terre à chair ferme
Du bouillon de bœuf
Huile d’olive
Vinaigre de vin
35 cl de chablis
Sel, poivre
Ciboulette
Romarin
40 à 50 g de beurre
1 branche de céleri
1 litre de moules de bouchot.
Préparation
- faire cuire les pommes de terre dans leur peau dans le bouillon de bœuf
- pelez les pommes de terre et coupez-les en rondelles de 5 mm d’épaisseur
- assaisonnez d’une vinaigrette
- ajoutez 10 cl de chablis, les herbes ciselées, sel et poivre.
- mélangez avec précaution et laissez mariner
- dans une grande casserole mettez le beurre, la branche de céleri, 25 cl de chablis et les moules.
- couvrez et chauffez à feu vif jusqu’à l’ouverture des moules.
- décoquillez les moules puis ajoutez-les aux pommes de terre.
- mélangez délicatement et laissez rafraîchir.
Et avec ça on boit ça :