Je glandais, je glanais, et cet après-midi-là, ma tête était ailleurs, seuls des petits livres me permettraient de trouver un dérivatif à mes pensées folâtres, et quand on cherche on trouve.
Le titre m’intrigua : Phénoménologie de la mayonnaise
Format de poche, léger comme une plume, je feuillette, je lis la 4e de couverture :
« À partir d’une relecture d’À vau-l’eau de Huysmans, dont le héros déambule dans un Paris culinaire, en quête de sens, Luka Novak retrace les étapes qui ont marqué la suprématie de la gastronomie française, puis l’émergence des cuisines du monde, avant que ne soit consacrée la fusion food, propre de la mondialisation et de la culture hipster. La mode du fooding, qui s’est imposée grâce à une sprezzatura brooklynoise et à la starification des chefs, a effacé ce qu’il y avait d’innovant dans les différents arts culinaires, pour laisser place à une reproductibilité à l’infini des plats, dont le toast à l’avocat partagé sur les réseaux sociaux est le symbole. Serions-nous arrivés à un degré zéro de l’âge gastronomique ? »
Luka Novak est écrivain et éditeur. Il s’appuie ici sur son expérience : il a produit des émissions de télévision consacrées au foodisme, et en a fait des livres de cuisine, tous des best-sellers en Slovénie. Il est également l’auteur du Métro, inconscient urbain, paru aux Éditions Léo Scheer en 2017.
Je le glisse dans ma besace avec d’autres petits livres.
Dimanche en fin d’après-midi le soleil ayant pointé son nez entre de gros nuages noirs j’ai lu le premier chapitre : Un McDonald’s sur les Champs-Élysées : le bouleversement enchaîné ou un open source gastronomique.
Et j’ai sitôt décidé d’écrire cette chronique.
Il faut dire que le matin j’étais allé faire une autre moisson à Terroirs d’Avenir.
Morceaux choisis
« C’est avec l’apparition de la génération du baby-boom que furent inventés le supermarché, le self-service, les traiteurs et les chaînes de restauration rapide qui démocratisèrent l’accès à l’alimentation hygiénisée et livrable à domicile dans les années 1960 et 1970. Adaptant l’offre à la demande, cette génération hissa ensuite la cuisine au statut d’art culinaire dans les années 1980, avant qu’elle ne soit disséminée au niveau mondial par la génération des Millennials, où elle représente à présent une communication en soi pouvant être comprise par tous et partout de Paris à Hong Kong. »
[…]
« Un McDonald’s vint s’implanter aux Champs-Élysées au moment même où cette dichotomie du banal et du sublime culinaire fut pour ainsi dire formalisée. Arrivé en 1972 sur l’avenue des Champs-Élysées, il en laissa perplexe plus d’un. Un jour au prétexte que ça devrait plaire aux gosses (et donc à moi), un ami de mes parents, de l’ambassade américaine, nous y entraîna. Et pour plaire, cela plut. »
[…]
« Il fallut l’audace américaine pour déranger ce système hermétique et codifié, il fallut sa muflerie pour l’ouvrir aux classes populaires et apporter l’alimentation des restaurants aux masses. Comme le constate Folantin, saisi par « un profond dégoût dès qu’ils franchissent la rive gauche », il fallut « traverser l’eau pour dîner ». Et il le fallut aussi symboliquement. Ce fut alors l’avènement d’un open source gastronomique, le déverrouillage d’un code jusqu’alors strictement placé sous les auspices du « droit d’auteur » gastronomique réservé aux bourgeois : tandis que le copyright se crispait de plus belle dans sa codification suprême des carrés d’agneau et des côtelettes, le copyleft, qui représentait un tournant sur la voie de la modernité, se répandait avec ses hamburgers à une vitesse inouïe. »
[…]
« Avec l’ouverture du McDonald’s sur les Champs-Élysées, nous avons affaire à un exemple de ce que les économistes américains appellent la disruption. Pour faciliter la percée d’une économie nouvelle, il faut déranger le système là où il est le plus vulnérable et surtout le plus pénétrable. Dans le monde de la photographie, il fallait par exemple prévoir l’arrivée du tsunami digital qui coûta la vie à des géants de la photo comme Kodak ou Agfa qui ne l’avaient pas vu venir. Dans la restauration du début des années 1970, il fallait penser aux chaînes. La restauration française de l’époque était constituée de cocottes au petit feu dans une multitude de petits établissements gérés par des familles et reliés par la très symbolique cohésion du rouge de la toile Michelin qui veillait sur les paramètres du bon goût. »
[…]
« … le McDonald’s des Champs-Élysées se décida à commettre cet acte disruptif : il fournit de la mayonnaise, bien emballée dans des sachets plastique multicolores, à ceux qui ne savent (ou ne peuvent) pas la monter eux-mêmes (ou la faire monter par des chefs étoilés). »
« L’odeur des frites trempées dans cette abomination que fut le ketchup se propagea à vive allure… »
Affaire à suivre sur Phénoménologie de la mayonnaise
Luka Novak
Editions Léo Scheer – 100 pages 15 euros
05.10.09 | Depuis la parution, hier, d’un article signé Henry Samuel dans le très britannique DAILY TELEGRAPH révélant outre-Manche l’ouverture prochaine d’un McDonald’s dans les sous-sols du Louvre, c’est un tsunami médiatique dans le monde entier. De Grande Bretagne en Russie, d’Italie en Norvège, de la Corée aux Etats-Unis [1]. Jusqu’à une dépêche de l’Associated Press. Partout sauf en France.
L’article d’origine, nous citant et reprenant certaines de nos informations publiées il y a une semaine dans « McDo au Louvre, une faute de goût », donne la parole à Didier Rykner de la TRIBUNE DE L’ART qui se déclare aussi choqué : « McDonald’s is hardly the height of gastronomy. Today McDonald’s, tomorrow low-cost clothes shops ». L’article anglais fait également état d’un mécontentement parmi le personnel du musée et cite un anonyme conservateur au bord de l’apoplexie : « This is the last straw. This is the pinnacle of exhausting consumerism, deficient gastronomy and very unpleasant odours in the context of a museum ».
La presse internationale s’étonne et s’amuse du paradoxe de voir encore des réfractaires au Roi du Hamburger dans un pays qui y fait ses meilleurs chiffres après les Etats-Unis. Dans le royaume où la cuisine a été hissée au rang d’Art. La honte. Une entreprise florissante qui fête cette année ses trente ans de présence dans l’hexagone, « un des premiers recruteurs de France » selon LES ÉCHOS « mais en fait à 80% à temps partiel ». Roi de la Précarité...
Face à ce soudain intérêt pour un sujet qui, en France, n’intéresse quasi personne, excepté une brève du MONDE.FR, la direction du Louvre a dû produire fissa un communiqué rassurant, où elle déclare que le projet présenté par McDonald’s « est conforme à l’image du musée », l’entreprise ayant « pris le plus grand soin pour assurer la qualité du projet, tant en termes culinaires et esthétiques ». On a hâte de voir. Sa présence, parmi d’autres comptoirs de cuisines du monde proposés à cet endroit du Carrousel du Louvre, correspondrait... au segment américain.
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1370 mètres carrés, terrasse de 50 mètres carrés, 2 étages, 470 places assises
250 salariés
Fermé depuis septembre 2015 pour travaux
Investissement de 5 millions d’euros
Réouverture vendredi 19 février 2016 au 140 Avenue des Champs-Elysées