Marc-André Selosse est un drôle d’oiseau dans son chapitre XII de Jamais seul il écrit : « Où l’on vinifie en blanc, rouge, rosé, gris, jaune et même orange ! Où le vigneron agit en cave comme une vache en rumen* ; où des microbes construisent le contact et le bouquet du vin ; où certains vins prennent le voile… »
*Pour comprendre il faut lire « pourquoi les vaches regardent passer les trains » dans la chapitre IV « Où la vache digère ses microbes symbiotiques mais non pas l’herbe. »
Ceux qui se foutaient de ma tronche avec mes histoires de vache en sont pour leur frais, ce qu’écrit Selosse sur le rumen est absolument passionnant. Les vaches sont « des animaux très chauds (40°C – nos anciens chauffaient les fermes en les mettant au rez-de-chaussée). Enfin, ce sont des animaux placides : peu actifs, ils passent une grande partie du temps allongés dans l’herbe, à mâchouiller, avec l’apparence de la plus complète indolence – à regarder passer les trains, comme on dit. »
Laissons-là ces braves vaches et revenons à la vinification.
« Geste antique renouvelé par la biochimie moderne, la vinification commence par un raisin mûr, et est assurée par des microbes, authentiques mutualistes du vigneron qui les nourrit et les choie pour préparer le vin. Dans la fermentation alcoolique, le sucre du fruit est transformé en alcool par de levures dites de « boulanger », car on les utilise aussi pour le pain (Sacchaomyces cerevisiae). Elles peuvent être spontanées, et proviennent alors plus souvent de la cave elle-même que de la peau du fruit, qui est colonisée par des souches de levures souvent peu compétitives en cave. Actuellement, les levures sont le plus souvent inoculées, pour plusieurs raisons.
Pour la première voir la chronique 22 mars 2018
Les levures qui tuent, celles qui ont attrapé un « bon virus » connu sous un nom inquiétant de « facteur killer » la leçon de Marc-André Selosse ICI
« De plus, les moûts actuels sont très sucrés car nos réglementations limitant le rendement à l’hectare conduisent à limiter le nombre de grappes, ce qui reconcentre le sucre dans les raisins restants et engendre des vins très riches en alcool. Or, beaucoup de levures sauvages ne survivent pas à des degrés alcooliques supérieurs à 11-12. En effet, elles vivent habituellement dans de vieux fruits tombés à terre, où l’alcool produit par fermentation n’est jamais aussi concentré. »
La seconde raison :
« Enfin, de façon plus récente, certaines levures ont été sélectionnées pour leur potentiel à former des dérivés aromatiques intéressants comme celles qui libèrent des thiols aux goûts de fruits exotiques dans les vins blancs, ou comme la fameuse souche 71B dont l’acétate d’isoamyle contribue aux arômes de banane ou de framboise du beaujolais nouveau. »
Ensuite Selosse décrit les différentes fermentations par couleurs : blanc, rosé, rouge, orange… connues de la plupart d’entre vous.
La suite et fin me paraît intéressante :
« En partant d’un moût très riche en microbes variés, les levures font rapidement place nette, car la toxicité de l’alcool qu’elles produisent en fait de puissantes compétitrices. De fait, il faut éviter que d’autres microbes que les levures de boulanger ne développent des arômes indésirables, par exemple les arômes d’écurie libérés par les levures du genre Brettanomyces. Outre leur résistance à l’alcool, plusieurs propriétés rendent les levures de boulanger compétitives dans le vin en fermentation, en particulier les souches inoculées ou vivant en cave. Elles sont résistantes aux sulfites, un composé utilisé lors de la vinification pour sa double fonction antioxydante et antimicrobienne, qui défavorise les microbes indésirable : les levures y survivent par des mécanismes d’expulsion active des sulfites hors de leurs cellules. De plus, l’azote est limitant dans le jus de raisin, bien qu’on en ajoute souvent en début de fermentation sous forme d’ammonium, augmenté de quelques vitamines favorables aux levures : historiquement, on n’hésitait d’ailleurs pas à uriner en foulant de raisin. Les levures ont des transporteurs d’acides aminés et de fragments de protéines qui les rendent compétitives pour capter les ressources azotées. Résistance aux sulfites et à la carence azotée (qui règne malgré les apports) sont les adaptations des levures à la vie dans le vin, en cave. »
Bien évidemment, Selosse aborde ensuite l’évolution des vins, entre microbes et oxydation.
Pour le lire achetez le livre qui est une véritable mine sur ces fichus microbes qui « jouent un rôle en tout point essentiel : tous les organismes vivants, végétaux ou animaux, dépendent intimement des microbes qui contribuent à leur nutrition, leur développement, leur immunité ou même leur comportement. »
Je vous livre sa conclusion à propos de la vinification :
« Ainsi la vinification tient-elle de l’élevage microbien, où des méthodes directes (ensemencements) et indirectes (sulfites, tannins, régulation de l’apport d’air, de la température et de l’acidité) favorisent et brident en même temps les microbes, bref conduisent vers un microbiote et des transformations souhaitées. L’alcool et l’acidité stabilisent le produit final dont les métabolites microbiens construisent le goût et la structure ressentis en bouche. Cependant, le vigneron nourrit les microbes de raisin et d’azote, voire même d’apports vitaminiques : joli mutualisme quasi symbiotique du vigneron et des microbes lors de la vinification… Les procédés, brassage, apports nourriciers ou régulateurs de l’acidité et du degré d’oxydation, contrôle de la température…, évoquent, et ce n’est pas un hasard, les dispositifs biologiques par lesquels la vache contrôlait son rumen. »