Madame la Ministre,
Ce titre je l’avais griffonné avant que vous modériez vos propos ICI sur le fameux premier verre, confirmant par la même que vous nous preniez pour des rats de labo.
Je vous cite « L’alcool contenu dans tous les spiritueux, que ce soit la bière, le vin ou le whisky c’est la même molécule d’alcool. [Je parlais] pour le foie. »
Fort bien, vous vous préoccupez, c’est dans vos attributions, de Santé Publique, mais ça ne vous autorise pas d’être aussi péremptoire surtout de la part de quelqu’un qui a prêté le serment d’Hippocrate.
Affirmer que, celle ou celui qui trempe, ses lèvres dans un premier verre d’une boisson alcoolisée, et le vin en est une, est un alcoolique en puissance, c’est nous prendre pour des cons.
Qu’en savez-vous ?
Sur quelles études vous appuyez-vous ?
Quelle expérience en avez-vous ?
Ça sent bon la propagande d’un hygiénisme militant, ignorant de la vie sociale, ce vieux fond prohibitionniste s’appuyant sur la fumeuse loi de Sully Ledermann.
En 1956, Sully Ledermann, publiait un ouvrage en deux volumes intitulé « Alcool, alcoolisme, alcoolisation ». Dans son chapitre V : « Mesures du degré d'alcoolisation alcoolique d'une population » l'auteur expose une hypothèse. Il entend démontrer que la consommation moyenne d'alcool d'une population en détermine la proportion de buveurs excessifs.
Notre démographe formule donc une théorie entendant démontrer que la consommation moyenne d'alcool d'une population détermine le nombre de buveurs excessifs (la proportion de buveurs excessifs augmentant selon le carré de la consommation moyenne en suivant une distribution log gaussienne).
La lutte contre le fléau qu’est l’alcoolisme, lutte où vos services et leurs alliés : ANPAA, médecins alcoologues, en ciblant, grâce à la loi Évin, essentiellement la promotion, ont fait faillite, exige bien autre chose que des postures, des effets sur des plateaux de télévision.
Ce genre de chiffons rouges provoquent dans le camp d’en face, se sentant agressé, d’autres postures outragées qui aboutissent à ce que rien ne change.
J’ai en son temps, tenté, au nom du Ministre de l’Agriculture de l’époque, sans grand appui des professionnels du vin de l’époque, de faire que la loi dites Evin ne soit pas une machine de guerre contre le vin. Si nous avons échoué ce n’est pas du fait de Claude Evin, encore moins de Cahuzac simple sous-fifre, mais des 4 grands professeurs de médecine drivé par Claude Got.
Le 31 mars 2008, j’ai commis une chronique : La stratégie du Go de Claude GOT ICI qui éclaire bien ce qui s’est passé en ce temps-là.
C’est de l’histoire ancienne m’objecterez-vous. J’en conviens mais depuis les lignes n’ont guère bougé, tout est figé, chacun se tient dans sa casemate.
Et pourtant, les vins, autrefois dit fins et de consommation courante, ces derniers ayant alimenté un alcoolisme de masse, ont laissé la place à des vins consommés différemment.
Les gens du vin, lorsqu’ils parlent de culture du vin, mettent en avant les vins du dessus du panier, les vins des guides, des grands amateurs, sans trop s'apesentir sur la grande masse écoulée à deux balles dans la GD.
Par la grâce de l’œnologie moderne, presque tous les vins sont dit de qualité – je n’aborde pas ici le grand débat qui agite le monde du vin autour du bio, des vins natures – mais ce faisant ces vins se rangent de plus en plus dans la catégorie des boissons fabriquées qui appartiennent à l’univers de l’agro-alimentaire.
En faire des objets de culture, pourquoi pas, mais il s’agit sans aucun doute d’une autre culture, celle qui a enseveli le goût sous le marketing et la communication.
Y réfléchir pour le monde du vin est indispensable et souhaitable si on souhaite mettre du corps au discours sur la culture du vin.
Les hommes, écrit Claude Lévi-Strauss, ont dû surmonter deux grands périls de leur existence alimentaire, « l’insuffisance de la nourriture et sa fadeur. Car il ne suffit pas de manger assez. Il faut, comme le proverbe français le dit excellemment, ne pas perdre le « goût du pain ».
J’ajoute et celui du vin, son compagnon…
« Bien manger, c’est bien vivre… » écrit Corine Pelluchon dans les Nourritures, et bien manger s’est aussi bien boire, « et il faut de l’art pour y parvenir, c’est ce qu’on appelle le savoir-vivre. »
« Savoir vivre, c’est avoir envie de vivre, savoir comment vivre, vivre en trouvant du plaisir à vivre, sans que l’accès à la jouissance soit empêché ni part l’indigence, ni par une sorte d’amputation des sens les rivant aux fonctions vitales qui assurent la survie ou le ordonnent à un ordre factice, réglementé par l’impératif de minceur, le travail ou les multiples obligations d’une vie où l’on n’a jamais le temps.
Le bien vivre se reflète assurément dans le bien manger. »
Et pour ceux qui le désirent, dans le bien boire.
Partager un bon repas, une belle bouteille, chez soi, au restaurant c’est la preuve d’une vie bonne, équilibrée, conviviale, loin des diktats de ceux qui se disent les protecteurs de nos vies.
Du haut de mes presque 70 ans, madame la Ministre, je vous conseille vivement de sortir de vos schémas, ou de ceux qui vous sont dictés par votre administration, pour aller au-devant de la réalité, pour que les choses et les pratiques changent.
De leur côté les gens du vin, qui se disent préoccupés eux aussi par notre santé, avec le concept normatif de la modération, devront aller au bout du bout de leur raisonnement, soit dès le pied de vigne et à l’intérieur des chais.
Bien à vous…