Dans le monde des vins « nu » nul n’ignore qui est Me Éric Morain : c’est l’avocat nature du barreau de Paris, une star du prétoire qui défend les « gueux » de la vigne. Même qu’Isabelle Saporta lui tire le portrait dans le deuxième numéro de 12°5 le magazine qui, lui aussi, aime les « rebelles, terroiristes, insoumis, mutins [qui] sont de plus en plus nombreux à sortir du rang. »
Le vin « nu » c’est très tendance, ça énerve le Pousson ronchon et autres atrabilaires qui le vouent à l’évier mais ça excite les jeunes papilles des petites louves et des petits loups qui commencent tout juste à licher. C’est donc très bon contre l’acné mais déconseillé aux habitués de la L.P.V, aux quelques abonnés d'Anthocyanes et à César Compadre l'ami des châteaux de Sud-Ouest...
J’ai croisé, par un bel après-midi, Me Morain au Palais lors d’un procès très « dig, ding, dong » avec propriétaire tractant valise à rouletes et je suis son compte Twitter sur lequel il est très actif alors que pour Me Hannelore Cayre, qui se définissait en 2008 comme une « provocatrice trash, collaboratrice de son époux lui-même avocat, mère de famille, assumant son statut : « C'est mon côté bourge qui les dérange ; bourge de gauche, mais bourge quand même... » je ne la connais qu’au travers de ses livres. Commis d'office, Toiles de maître et Ground XO…
Cette déjantée du barreau, écrivait alors des petits polars jubilatoires. Son personnage fétiche, Christophe Leibowitz-Berthier, un avocat cynique et pétochard, alcoolo, un pervers polymorphe que la gente judiciaire surnomme «l'étron», défend la lie ordinaire des prétoires : proxo, dealers, détrousseurs de matos électronique, souvent commis d'office... et en profite, c'est lui qui mène le récit, pour tirer des scuds sur ces chers collègues et porter un regard sans concession sur le quotidien de la justice ordinaire.
Dans le dernier, Ground XO, elle se délocalisait en Charente « Ces pieds de vigne partout, ces villages impeccablement tenus qui sentaient bon la droite décomplexée», la Charente donc, plus précisément un bled de la Grande Champagne. L'étron Leibowitz, son héros récurrent comme on dit à la télé, hérite d'une propriété viticole qui fait du Cognac. La robe grillée se moulait avec délice dans l'ambiance picto-charentaise, toujours aussi rosse et déjantée, bien documentée, j'avais lu l'opus d'un trait.
Le 15 mars 2008 La robe grillée des neuf trois (93)
Le 18 mars 2008 Yak is black : le Cognac a la gnac...
Ensuite Hannelore Cayre avait disparu de mon sonar…
Et puis, lundi matin, par hasard, je passe en coup de vent devant des présentoirs de livres et le premier qui me saute à la vue fut La Daronne signé Hannelore Cayre.
Bien sûr j’achetai sans même consulter la 4e de couverture qui résume ainsi le nouvel opus :
« Comment, lorsqu’on est une femme seule, travailleuse avec une vision morale de l’existence… qu’on a trimé toute sa vie pour garder la tête hors de l’eau tout en élevant ses enfants… qu’on a servi la justice sans faillir, traduisant des milliers d’heures d’écoutes téléphoniques avec un statut de travailleur au noir… on en arrive à franchir la ligne jaune ?
Rien de plus simple, on détourne une montagne de cannabis d’un Go Fast et on le fait l’âme légère, en ne ressentant ni culpabilité ni effroi, mais plutôt… disons… un détachement joyeux.
Et on devient la Daronne. »
En argot la Daronne c’est la mère, la mère des voleurs, la maitresse, la patronne de bordel, la tenancière de maison close.
Jeudi sur France-Culture elle envoyait un beau bourre-pif : « Les vieux magistrats ne sont pas forcément racistes mais raisonnent comme Trump qui s’abreuve d’infos avec Fox News »
« Je suis avocate pénaliste à Paris, au Palais de Justice j’ai des contacts extrêmement fréquents avec les traducteurs arabes qui sont les plus nombreux à Paris, je me suis liée d’amitié avec un couple, ils ont 76 ans, aucune sécurité sociale comme tout le monde le sait parce que les traducteurs n’ont pas de couverture sociale, pas de retraite, puisqu’ils sont payés au noir par le Ministère de la Justice. Il y a tellement d’argent à sortir pour payer les charges sociales des traducteurs qu’en fait, le Ministère ne peut pas, donc tout simplement, ils n’auront jamais de couverture sociale. »
La suite ICI
J’ai donc lu d’une seule traite la Daronne.
Comme le dirait Stéphane Pigneul le bassiste d’Oiseaux Tempêtes, groupe de rock alternatif, « Elle envoie du lourd la Hannelore ! »
Son bouquin étiqueté Noir n’est pas cette fois-ci un polar mais une plongée trash dans le petit monde des stups. Comme pour Olivier Norek ça vaut toutes les enquêtes de nos éminents sociologues. C’est du cru puisé aux bonnes sources. C’est troussé sans prendre de gants. La Hannelore n’envoie pas dire ce qu’elle a envie de dire. C’est très politiquement incorrect. Ça va faire chier une tapée de monde à la maison poulagas, au Palais de Justice, dans les maisons de vieux. Tout le monde en prend pour son grade. C’est bien construit. C’est bien écrit. C’est un bouquin à lire absolument.
Marc Villard écrit :
« Hannelore Cayre retrouve ici la verve de Ground XO (le cognac du rap). Elle sait comment fonctionnent police et justice car elle est avocate pénaliste et on sent bien qu’il y a du vécu dans ce roman. L’écriture est dopée comme son sujet et Hannelore s’amuse avec les mots à chaque coin de phrase. Il existe dans ce livre une certaine compassion pour les petits voyous du deal qui marnent pour se sortir de la merde mais l’écrivain n’est pas fan non plus d’un angélisme passé de mode. Chacun en prend pour son grade et c’est tant mieux. On notera au passage une critique féroce des mouroirs hors de prix réservés au quatrième âge. Un bon livre plein de vitalité.»
Christine Ferniot - Télérama du 8 mars 2017
« Le talent d'Hannelore Cayre est dans sa manière de raconter des histoires tragiques en faisant rire son lecteur. Elle y parvient à coup d'anecdotes (souvent vraies), d'exagérations irrésistibles (et plausibles) et d'une écriture travaillée au millimètre, mais bondissante d'humour et de générosité. »
Le Blog du Polar
« L'auteure a un style qui n'appartient qu'à elle, un sens de l'observation aiguisé, une connaissance des milieux et des pratiques du monde de la drogue qui lui confère une authenticité rare, un humour féroce et un sens magnifique de la narration et du rythme. La daronne, roman noir, est une œuvre étonnante du début à la fin, une lecture où, tour à tour, Hannelore Cayre nous livre des souvenirs merveilleusement écrits, puis nous entraîne avec elle à un rythme d'enfer dans des situations de danger absolu. Du coup, on sort de ce livre un peu étourdi, riche à la fois des images nostalgiques d'un luxe surrané, d'un témoignage sans concession sur les trafics de stupéfiants, et de l'humour très personnel dont fait preuve Hannelore Cayre, tout en repoussant vigoureusement les frontières de la morale. Bref, on en redemande...»
Extraits
« Mes fraudeurs de parents aimaient viscéralement l'argent. Pas comme une chose inerte qu'on planque dans un coffre ou que l'on possède inscrit sur un compte. Non. Comme un être vivant et intelligent qui peut créer et tuer, qui est doué de la faculté de se reproduire. Comme quelque chose de formidable qui forge les destins. Qui distingue le beau du laid, le loser de celui qui a réussi. L'argent est le Tout ; le condensé de tout ce qui s'achète dans un monde où tout est à vendre. Il est la réponse à toutes les questions. Il est la langue d'avant Babel qui réunit tous les hommes. » page 11
Patience Portefeux « C’est que j’ai toujours eu une conception marxiste de la beauté » page 19
Portefeux son mari « Lui aussi faisait fortune grâce aux pays de merde » page 21
Face à la mort de Portefeux « Comme si un vide-pomme m’avait été enfoncé d’un coup sec au centre du corps pour emporter mon âme tout entière » page 22
Son job de traductrice payée au noir : « C’est d’ailleurs assez effrayant quand on y pense, que les traducteurs sur lesquels repose la sécurité nationale, ceux-là mêmes qui traduisent en direct les complots fomentés par les islamistes de cave et de garage, soient des travailleurs clandestins sans sécu ni retraite. Franchement, comme incorruptibilité on fait mieux, non ? » page 30
Patience Portefeux « …ma vie sexuelle se bornait à des rencontres d’un soir, toujours avec des avocats pénalistes par essence narcissiques, menteurs, coureurs et infidèles… » page 97
« Porsche Cayenne aux vitres teintées encerclées d’emballages fast-food jetés par terre et garée sur une place handicapé, rap et climatisation à fond, les portières ouvertes – gros porcs avec collier de barbe filasse sans moustache, pantacourt, tongs de piscine, tee-shirt Fly accessoires chic de l’été : pochette Vuitton balançant sur gros bide et lunettes Tony Montana réfléchissantes. La totale. Le nouvel orientalisme. » page 104
« Les Moufti et leurs copains étaient nés en France et ne connaissaient du bled que ses plages. C’était des Marocains produits hors-sol ; des Marocains hydroponiques. » page 105