Le beaujolais à son nouveau, les primeurs ont leur Bordeaux et les patates, elles, sont nouvelles. Quoi de plus banal qu’une patate, même qu’au pensionnat nous chantions patates-fayots pour nous moquer de leur grande inventivité culinaire.
Pendant longtemps ce sont les grosses patates, les Bintje, qui trustaient une grosse part du marché, pour les frites, la purée et la soupe. Et puis, le « génie » des obtenteurs et des gars de la GD, pour se faire du blé, nous ont mis sous le nez des patates avec de jolis noms : la Charlotte, l’Agata, la Mona Lisa, la Belle de Fontenay, la Pompadour… Sur la lancée, certaines se sont colorées : la Roseval, la Vitelotte… d’autres ont été sauvées telle la Ratte du Touquet… Bref, l’offre de patate s’est étoffée, bien lavées, traitées, les prix ont aussi grimpés.
Lorsque je trimais au 78 rue de Varenne, la patate primeur c’était, une année sur deux, un cauchemar breton, because surproduction et la patate déversée dans la rue ça ne fait pas de la purée mais de la glue. Le sieur Gourvennec, grosse légume de Saint Pol de Léon, empereur du cochon, banquier agricole, armateur de brittanies Ferry, chaussait ses habits de meneur, en souvenir de sa jeunesse où avec son pote Léon, il cassait de la sous-préfecture. Fallait raquer pour avoir la paix.
La primeur est la plus jeune des deux, sa peau est très fine, si fine qu'elle est dite "pelucheuse". En général on la consomme avec la peau ou on se contente de la frotter. Elles sont récoltées 90 jours après la plantation c'est à dire au début du jaunissement des feuilles avant une complète maturité. Elles sont riches en vitamines et plus pauvres en amidon que les pommes de terre de conservation.
Et puis, dans leur petit coin, à côté de la grosse cavalerie bretonne, les gars de Noirmoutier puis ceux de l’île de Ré se sont dit « les bretons sont des cons » nous allons faire de la petite patate primeur un produit rare donc un produit cher.
Les Noirmoutrins ont ouvert le bal avec un génial coup de pub : en 1996, ils ont fait une vente aux enchères à l'hôtel Drouot avec Me Pierre Cornette de Saint Cyr. Le premier lot de 5 kilos de bonnotte a atteint 15.000 francs ! Davantage que la truffe...
Lire une chronique de mai 2009 :
Mesclun de l’Océan aux Bonnottes de Noirmoutier confites et le vin qui va avec…
La bonnotte, avec le mimosa, c’est l’emblème de l’île. En effet, historiquement, au début des années 1920, il y avait la bonnotte : une variété ultra-précoce mise au point à Barfleur, qui a fait la réputation de Noirmoutier et dont l'île détient maintenant la propriété exclusive. Mais, « trop délicate pour que sa culture soit mécanisée, elle ne peut être semée et récoltée qu'à la main », raconte Gérard Sémelin. De forme irrégulière, elle présente en outre des yeux creux qui résistent à l'économe. Aussi la bonnotte ne pèse-t-elle plus à présent qu'un petit pourcent de la production totale. Une centaine de tonnes : de quoi entretenir le folklore avec sa traditionnelle fête annuelle, début mai, dans la cour de la coopérative.
Mais qu'est-ce qu'elle a donc de si spécial, cette Noirmoutier ?
« D'abord, un terroir exclusif, exigu et morcelé. Elle est essentiellement cultivée dans la plaine agricole de l'Herbaudière, au nord de l'île, sur quelques lopins en zone urbaine, et au sud dans les dunes de la Tresson, près de Barbâtre. Il lui faut une terre sablonneuse, si possible enrichie avec du goémon ramassé sur la grève à marée basse. Les agriculteurs font germer les tubercules fournis par la coopérative puis les plantent en billons. Une méthode spécifique de profilage du sol en buttes parallèles de 70 cm de large, qui permet de garder une terre chaude, bien aérée et bien drainée. L'atout maître de cette patate pour gourmets ? « Grâce au microclimat de l'île, elle est la plus précoce des pommes de terre primeurs françaises », explique Gérard Sémelin, un natif de l'île d'Yeu voisine, qui vient de prendre sa retraite après plus de trente ans à la direction de la coopérative agricole de Noirmoutier. »
En 2014, Gérard Sémelin tirait sa révérence : « Pour moi, c'est la der des ders, la dernière campagne, après 34 ans au même poste, record ou folie. » Indéniablement, c'est une grande page de l'histoire de la coopérative de pommes de terre de Noirmoutier qui se tourne, avec le départ à la retraite de son directeur, Gérard Sémelin.
« Mon premier contact avec l'Île de Noirmoutier fut une rencontre de foot. Puis j'y suis revenu en 1979 pour postuler à la criée de l'Herbaudière. En 1980, c'est au poste de directeur de la coopérative que je commençais ma seconde vie d'îlien. »
Il se souvient « En 1980, il n'y avait pas que des tracteurs pour livrer à la Frelette, on comptait encore huit chevaux, un âne et un mulet. »
Louis Bouvet, son prédécesseur, avait lancé le slogan « Quelle saveur, quel régal, la pomme de terre de Noirmoutier est sans rivale ! »
N’en déplaise au Pousson, la saga de la patate de Noirmoutier c’est celle d’une coopé !
Bien sûr, la coopérative a bien changé depuis sa création en 1945. « Car l'histoire de cette patate noirmoutrine, introduite sur l'île par les Anglais au début du XXe siècle, tient de la saga. « En juillet, emprisonnement à Poitiers, pendant 80 jours, de notre directeur monsieur Clemot [...], qui avait interdit aux mandataires nantais de vendre aucune 'Noirmoutier' en dessous de 22 francs le kilo le 21 mai », peut-on lire dans un article de presse datant de 1948.
L'une des missions stratégiques de la coopérative est donc de trouver constamment de meilleures variétés. « En 1945, 500 producteurs récoltaient 5.000 tonnes de patates. Aujourd'hui, une trentaine d'exploitations sortent 12.000 tonnes », rappelait Gérard Sémelin. Les années de gel, où l'on peut perdre un quart de sa récolte, ont eu raison des producteurs artisanaux. Et dans les champs, la légendaire bonnotte a été supplantée par la sirtema, la lady christl, l'esmeralda, la charlotte, avec pour chacune un créneau spécifique dans le calendrier d'arrachage. « Nous travaillons étroitement avec des obtenteurs pour trouver des variétés de primeurs à la fois très goûteuses et bien adaptées au terroir noirmoutrin »
« Sans la coopérative de pommes de terre, l'agriculture sur l'île serait morte », affirme Luc Jeanneau, l'un des plus gros producteurs de l'île, sur ses terres de l'abbaye de la Blanche.
Tout n’est pas rose pour autant du fait de la monoculture intensive qui a conduit à la multiplication des traitements phytosanitaires, la Noirmoutier n’est pas un produit franchement écologique. Comme pour toutes les patates, elle est la proie du nématode à kyste (un ver rond qui parasite les racines du tubercule), du taupin (larve de coléoptère), du doryphore et du mildiou. Pour améliorer la performance écologique les producteurs pratiquent un taux de rotation des terres de 10 à 25%, et la coopé recherche des variétés résistantes et veut combattre maladies et parasites par des techniques culturales non chimiques. En progrès mais peut mieux faire.
Vous allez me dire tout pour Noirmoutier rien pour l’île de Ré dont la patate primeur est pourtant une AOP.
Il existe plus de 15 variétés de pommes de terre primeur cultivées en France soit 120 000 tonnes annuelles. Elles sont cultivées principalement dans les régions littorales de la Manche (pointe du Cotentin, val de Saire) et de la côte atlantique (îles de Ré et de Noirmoutier) ainsi que dans le val de Saône, la Camargue et le Roussillon. Des régions où la terre est légère voire sablonneuse.
Seules les pommes de terre nouvelles de l'ile de Ré et du Roussillon bénéficient d'une AOC et d'une AOP. Il s'agit des variétés "Béa" dans le Roussillon et alcmaria, goulvena, pénélope, starlette, carrera, amandine, BF 15, charlotte, roseval pour l'ile de Ré.
Bonnotte, Charlotte, Bea... quelles variétés pour quelles utilisations ? selon chef Simon du Monde
La Bonnotte : La production est faible, 100 tonnes c'est peu par rapport aux autres variétés dont la production oscille entre 4000 et 5000 tonnes. Elle est récoltée début mai. Sa chair est fine mais elle doit être consommée dans les 72 heures.
La Sirtema : (Noirmoutier) Récoltée du 15 avril au 20 juin. C'est une pomme de terre ronde à la chair blanche et un peu sucrée. Elle a une bonne tenue à la cuisson, idéale pour les pommes de terre rissolées.
La Lady Cristl : (Noirmoutier) Récoltée du 5 mai jusqu'au 1er juillet, la Lady Cristl a une forme plus allongée et une chair jaune. Elle est idéale pour une cuisson vapeur.
La charlotte : (Île de Ré) Récoltée du 1er juin au 15 août, c'est sans doute la variété la plus connue. Elle a une chair blanche et ferme et sa forme est plutôt allongée. D'une bonne texture elle supporte autant d'être cuite vapeur ou rissolée.
La Bea : (Roussillon) C’est une belle pomme de terre de forme allongée et plate, très régulière, à peau de couleur jaune. Sa chair est jaune pâle. En bouche, elle libère une saveur légèrement sucrée, sans amertume et sa texture est fondante.
À l’île de Ré c’est aussi une affaire de coopé Uniré, grosso modo 2200 tonnes par an, 2,2 millions d’euros de CA. Comme à Noirmoutier, 12.000 tonnes sur 350 hectares de terre noirmoutrine, la patate primeur est vendue majoritairement en GD, le reste part chez les grossistes, sur les marchés, chez les restaurateurs qui adorent la grenaille.
Moi je les aiment ni trop petites ni trop grosses et j'adore les cuisiner avec des petits pois, des carottes et des oignons nouveaux ou carrément cuites à l'eau pour être consommées avec une noix de beurre salé.