En mai 1981, lorsque je débarquais à vélo à l’Hôtel de Lassay, mon bureau sous les toits était doté d’une unique fenêtre qui donnait sur la quai Anatole France. Il faisait beau et chaud, et sur la Seine flottait la piscine Deligny.
Celle-ci était l’héritière d’un établissement de bains fondée en 1785 et de l’école de natation ouverte par le maître-nageur Deligny en 1801. Les premiers championnats de France du 100 mètres nage libre s’y dérouleront en 1899.
La piscine Deligny fut le lieu des épreuves de natation des Jeux olympiques de 1900.
Ces bains renommés étaient aménagés sur douze barges sur les vestiges du bateau cénotaphe inachevé voulu par Napoléon III pour ramener les cendres de Napoléon depuis Sainte-Hélène. Fier d'un bassin de 50 mètres, d'un solarium et d'un bar-restaurant.
Extrait de « L’Histoire de Pi » par Yann Martel.
« Mamaji avait étudié à Paris pendant deux ans, aux frais de l’administration coloniale. Il s’y était follement amusé. C’était au début des années trente, alors que les Français essayaient encore de rendre Pondichéry aussi française que les Anglais tentaient de rendre britannique le reste de l’Inde. Je ne me souviens pas exactement de ce que Mamaji étudiait, quelque discipline touchant le commerce, je suppose.
L’eau de la piscine venait directement de la Seine, sans être filtrée ni chauffée. « Elle était froide et sale, disait Mamaji. L’eau, qui avait déjà traversé tout Paris, était plutôt dégoûtante. Et en plus les baigneurs la rendaient totalement infecte. » D’un air entendu, Mamaji murmurait des détails choquants qui étayaient son propos. Il nous confiait que les Français avaient de très mauvaises habitudes d’hygiène personnelle. « La piscine Deligny, de ce côté-là, était déjà plutôt mauvaise. Le Bain-Royal, un autre lieu d’aisances sur la Seine, était pire. À Deligny, au moins, on recueillait les poissons morts. » Quoi qu’il en soit, une piscine olympique est une piscine olympique, effleurée par une gloire immortelle. Mamaji parlait toujours de Deligny avec un sourire attendri, même si c’était un cloaque. »
Vue intérieure des bains Deligny, à Paris. Gravure de Grandville vers 1845, source www.parisenimages.fr © Roger-Viollet.
Au XXe siècle, on y discute, on y drague, on y bronze, on y prend un verre, on y joue au ping-pong... et, éventuellement, on y nage. On s'y montre aussi : Jean Marais, Michèle, Michèle Morgan ou Audrey Hepburn... Les premiers seins nus y font leur apparition au début des années 70, au grand dam du maire du 7e arrondissement, l’inamovible Édouard Frédéric-Dupont, dit «Dupont des Loges» . Le très prude député du Rhône Emmanuel Hamel écrira une lettre de protestation au ministère de l'Intérieur en août 1973, en raison de la proximité de la piscine avec l'Assemblée nationale.
Gabriel Matzneff, le « pédophile » (cabine 41) note dans ses Carnets :
« Samedi 1er octobre 1983. Hier, amour (sodomite) avec Anne, sortie de classe à 10heures, puis piscine -la mélancolie dorée de la fin de saison à Deligny, le soleil pale décrit dans Isai-, visite de Marie Elisabeth qui se plaint de ma froideur ».
« En 1993, trois ans seulement après un accident provoqué par le heurt d’une péniche, la piscine Deligny sombra en moins de quarante minutes. Deux cent ans d’exotisme et de frasques aquatiques parisiennes finirent par quatre mètres de fond. »
Les bien-pensants virent sans doute dans ce naufrage, le 8 juillet, le châtiment de ce lieu de perdition.
À partir de ce Je me souviens à la Pérec j’ai pensé, en passant devant l’ancienne salle de cinéma Mesnil Palace, au 38 de la rue de Ménilmontant, avec son Tati en façade, disparu pour laisser la place à un Market Carrouf.
Je me souviens du cinéma Les Agriculteurs, rue d’Athènes fermé en 1962.
De fil en aiguille j’ai retrouvé un texte de Guy Debord, en 1978, In girum imus nocte et consumimur igni où il évoque avec nostalgie la perte de Paris :
« Paris alors, dans les limites de ses vingt arrondissements, ne dormait jamais tout entier, et permettait à la débauche de changer trois fois de quartier dans chaque nuit. On n’en avait pas encore chassé et dispersé les habitants. Il y restait un peuple, qui avait dix fois barricadé ses rues et mis en fuite des rois. C’était un peuple qui ne se payait pas d’images […] Les maisons n’étaient pas désertes dans le centre, ou revendues à des spectateurs de cinéma qui sont nés ailleurs, sous d’autres poutres apparentes. La marchandise moderne n’était pas encore venue nous montrer tout ce qu’on peut faire d’une rue. Personne, à cause des urbanistes, n’était obligé d’aller dormir au loin… »
Et puis bien sûr je ne puis que terminer que sur « Le Paris toujours déjà perdu » de Patrick Modiano.
« Le Paris où j’ai vécu et que j’arpente dans mes livres n’existe plus. Je n’écris que pour le retrouver. Ce n’est pas de la nostalgie, je ne regrette pas du tout ce qui était avant. C’est simplement que j’ai fait de Paris ma ville intérieure, une cité onirique, intemporelle où les époques se superposent et où s’incarne ce que Nietzsche appelait « l’éternel retour. »
Entretien avec Jérôme Garcin Le Nouvel Observateur 27 septembre 2007
Fleurs de Ruine
« Nous nous engagions avenue de la Porte-des-Ternes dans le quartier qu’on avait éventré pour construire le périphérique. Une zone comprise entre aillot et Champerret, bouleversée, méconnaissable, comme après un bombardement. »
Ville méconnaissable : Un cirque passe
« J’ai débouché dans cette zone de pavillons administratifs, au bord de la Seine. On était en train de détruire la plupart d’entre eux. Des tas de gravats, des murs éventrés, comme un bombardement. Les bulldozers, de leur mouvement lent, dégageaient des décombres.
L’Horizon
« Je ne sais si vous avez connu les entrepôts et le quai de Bercy […] Il y avait des platanes qui formaient une voûte de feuillages […] Des rangées de tonneaux sur le quai […] Aujourd’hui on se demande si cela a vraiment existé […] »
Mon vin du jour : le Volnay 2010 du domaine Régis Rossignol-Changarnier choisi par Carole Colin du restaurant Les Climats
Après avoir travaillé pendant 16 ans avec mes parents, vignerons à Volnay depuis plusieurs générations, je me suis installé en 1966 pour créer, puis développer, ce domaine.
Avec mon épouse, nous exploitons une surface de 7ha20 répartie sur les communes de Volnay, Pommard, Beaune, Savigny-les-Beaune et Meursault.
Comme partout en Bourgogne, nos vignes sont plantées soit en pinot noir, pour les vins rouges, soit en Chardonnay pour les vins blancs.
Nous avons toujours cultivé nos vignes de la façon la plus traditionnelle possible, en labourant le sol assez profondément. Les racines descendent alors plus bas ce qui permet au terroir de mieux s'exprimer dans nos vins.
Le travail de la vigne est primordial et rigoureux. Nous avons toujours employé le minimum de produits phytosanitaires afin de respecter et la nature et la vigne.
" C'est la qualité du raisin qui fait la qualité du vin et pas seulementl'œnologie".
La maîtrise de nos rendements (entre 25hl et 40hl / ha maximum) est un facteur très important pour que le pinot noir développe tout son potentiel aromatique. Dans cette optique, il nous arrive fréquemment de pratiquer une vendange « en vert », c'est à dire éliminer, au moment où le raisin commence à murir, des grappes que nous jugeons excédentaires.
Les raisins sont toujours récoltés manuellement et ne sont pas, ou peu, égrappés, ce qui donne à nos vins plus de caractère, de fruits et de garde.
La cuvaison dure en moyenne une douzaine de jours et le foulage (action de mettre en contact les marcs avec le jus de raisin) s'effectue traditionnellement (avec les pieds).
Les vins sont élevés pendant 13 mois avant la mise en bouteilles, exclusivement en fûts de chêne dont 20% maximum sont neufs.
Nos vins ne seront commercialisés qu'après avoir passé trois années dans nos caves.
Mes plats de la semaine :
- Le ris de veau est fondant, les petit pois et asperges justes croquants de Giovanni Passerini 65, rue Traversière
- ROGNON DE VEAU, en tranches fines au romarin, asperges blanches du Poitou croustillantes, fricassée de girolles et mousserons des prés. Jus de viande relevé au vinaigre de Banyuls.
- De Julien Boscus Les Climats
Triperie Maurice Vadorin – 176, rue Lecourbe (Paris 15e)
Le blog de Tout n'est que litres et ratures par Roger Feuilly
« La triperie à Paris ? Il reste quelques survivants, mais si peu. L’un d’entre eux s’appelle Maurice Vadorin. Celui-là, il est né dans les abattis : son grand-père et son père étaient déjà tripiers. Et il ne voit la vie qu’à travers les abattis, reprenant cette échoppe antique, au sol carrelé et avec son enseigne en lettres chromées. Pour être modeste, il n’en fournit pas moins quelques grandes tables de la capitale. »
Ma cueillette sur les toits de Paris : mes pois, mes pieds… Veni Verdi...une association 1901 dont l'objectif est de créer des jardins en milieu urbain pour agir sur notre Environnement, notre Société et Économie.
La chanson de la semaine : Tarn-et-Garonne dans le nouvel album Morituri de Jean-Louis MURAT
Mon plat à moi : petits pois, salade de Veni Verdi, jeunes carottes et pommes de terre nouvelles de l’île de Ré
Le livre de la semaine : Les Contes de la Table de Massimo Montanari l’Écume des Pages
« Laissez-vous transporter par les textes d’autrefois. Chroniques, contes, vies de saints et d’empereurs, romans de chevalerie, pièces d’archives ou livres de cuisine? Ils racontent des histoires amusantes, dramatiques, édifiantes ou simplement étonnantes à propos de ce sujet central de la vie des hommes de tous les temps : la nourriture et son partage, à table et ailleurs. Vous y croiserez Charlemagne, saint François d’Assise et Dante, des inconnus, et des personnages de roman, comme Yvain, le chevalier au lion, et bien d’autres encore. » M. M. Cette succession d’histoires qui se lisent comme autant de contes savants nous font voyager à travers les saveurs du passé. Illustré par Harriet Taylor Seed Traduit de l'italien par Jérôme Nicolas Né en 1949, Massimo Montanari est un historien de l’alimentation internationalement reconnu. Son histoire de l’alimentation en Europe, La Faim et l’Abondance, été publiée par Jacques Le Goff au Seuil, en 1995. Il enseigne à l’université de Bologne. »