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13 avril 2015 1 13 /04 /avril /2015 07:00
« Les Italiens sont restés des amateurs cuisinant au petit bonheur, suivant des méthodes traditionnelles transmises de génération en génération : Plaidoyer pour 1 édition en français d’Artusi Remix de Don Pasta

Vendredi soir dernier nous étions comme les premiers chrétiens fuyant les persécutions assemblés sous les voûtes de pierres blanches de la magnifique cave de notre ami Alessandra Pierini pour écouter mon ami Daniele de Michele dit Don Pasta présenter son dernier opus Artusi Remix publié chez Mondadori dans la langue de Dante.

 

 

« Les Italiens sont restés des amateurs cuisinant au petit bonheur, suivant des méthodes traditionnelles transmises de génération en génération : Plaidoyer pour 1 édition en français d’Artusi Remix de Don Pasta
« Les Italiens sont restés des amateurs cuisinant au petit bonheur, suivant des méthodes traditionnelles transmises de génération en génération : Plaidoyer pour 1 édition en français d’Artusi Remix de Don Pasta

Religieusement l’assemblée des fidèles, encerclée par une muraille de beaux flacons de vin et de saintes huiles d’olive, italiens bien sûr, commença par écouter Zamua chanteur sardo-burundais, ami de Daniele, que j’avais déjà vu officier lors d’un spectacle de Don Pasta pour l’exposition «l’art fait ventre» à l’Espace Cardin, au milieu d’un trio magique, percutant, habité – lui à la guitare et les musiciens: Raffaele Casarano au sax et Marco Bardoscia à la contrebasse.

 

Et puis me revint l’honneur, moi le parisien païen, de présenter Daniele. Comme vous pouvez vous en doutez j’étais dans mes petits souliers, en l’occurrence des Veja équitables. Prenant mon courage à deux mains je me lançais en brodant sur deux anciennes chroniques Sauvez les câpres de Pantelleria avec mon ami Don Pasta «Vous savez ce que veut dire garder pour l’éternité la beauté d’une fleur?» et C'était toujours mieux que cinquante ans auparavant, quand les journaliers qui allaient vendanger se voyaient affubler d'une muselière pour les empêcher de manger le raisin. 

 

« Mon ami Daniele de Michele, dit Don Pasta, est beau, ça c’est à l’attention de mes jeunes amies ; il adore Charly Parker, ça c’est pour mes vieux copains ; c’est le roi de la parmigiana, bien lourde, celle de sa grand-mère qui tenait au corps, ça c’est pour Claire ; c’est une belle âme, vigoureuse et soucieuse des gens de peu, ça c’est pour les repus de la Toile, bedonnant, pontifiant sur les bons produits paysans authentiques tout en restant le cul sur leur chaise confortable»

 

Puglia, les Pouilles son pays…

 

« Andria, la piazza Catùna, le marché au bras, « une masse d’hommes et de jeunes garçons debout, présents dès l’aube, journaliers et cozzali (colons, métayers, paysans, qui disposaient de si peu de terre qu’elle ne leur permettait de survivre). Tous les jours-là, à trois heures du matin l’été, et à quatre heures l’hiver, agglutinés au centre de la place, avec leur pioche, en quête d’une journée. Attendant d’être choisis par le métayer après avoir proposé un chiffre, aussitôt baissé par le voisin qui espérait voler la priorité. Des enchères à l’envers, la concurrence pour deux kilos de pain et un kilo de fèves. En fin de matinée, les paysans dont personnes n’avaient voulu s’attardaient sur la place, après que les heureux élus s’étaient dirigés vers les champs. Ils n’avaient plus d’espoir, mais ils restaient là, leur pioche, désormais inutile, entre les mains, car ils n’avaient pas d’autres endroits où aller. »

 

Et puis, le hasard étant souvent mon allié, le matin même dans l’excellent livre de Bill Buford « Chaud Brûlant » j’avais touché du doigt un problème des plus sérieux « ce qu’était un ragù »

 

« Un ragù italien ressemble peu ou prou au ragoût français. Cela consiste grosso modo, dans la nomenclature des cuisines, à prendre une viande et à la « tuer » ou « l’achever ». Le choix de l’intitulé comme celui de la méthode de préparation, ai-je découvert depuis, sont au cœur d’un débat séculaire entre les défenseurs de la cuisine française et les adeptes de la cuisine italienne à propos de la question suivante : qui est arrivé le premier ? La rivalité, ressentie surtout du côté des Italiens, qui ont l’impression d’être considérés par les français comme appartenant à une tribu primitive vaguement comique, peut se formuler de la manière suivante : dans l’histoire de la cuisine européenne, la péninsule italienne fut le lieu de l’avènement culinaire, grâce à des gens comme Maestro Martin au XVe siècle. Puis, selon les dires italiens, les secrets de la bonne chère furent emballés et transportés au-delà des Alpes par Catherine de Médicis, quand, en 1533, celle-ci épousa le futur roi de France Henri II.

 

À la suite de quoi la France connut sa propre renaissance culinaire, culminant avec les fastueux banquets post-Ancien Régime d’Antonin Carême (…) alors que les Italiens, ayant conclu que le fruit en provenance du Nouveau Monde, que nous connaissons sous le nom de tomate, n’était après tout pas venimeux mais plein de promesses en matière de sauce, sombrèrent dans une dépression culinaire de cent cinquante ans et, en contradiction flagrante avec leur chauvinisme, se mirent à imiter les Français (…)

 

En 1903, la désormais très grande cuisine française fut codifiée au sein du travail encyclopédique d’Auguste Escoffier dans son Guide culinaire, qui demeure le texte de référence de la cuisine dite classique. En Italie, l’ouvrage faisant autorité La scienza in cucina e l’arte di mangiar bene (« La science de la cuisine et l’art du bien manger »), rédigé à peu près à la même époque, n’est qu’un ramassis de recettes familiales recueillies par un marchand de drap appelé Pellegrino Artusi. Escoffier fort de son expérience de chef de grands hôtels, vous propose deux cents façons d’accommoder une sauce. Artusi, en se basant sur des correspondances de ménagères provinciales, vous explique tout sur les nombrils et les tortellini. Les Français sont devenus professionnels, scientifiques, hommes du monde. Les Italiens sont restés des amateurs cuisinant au petit bonheur, suivant des méthodes traditionnelles transmises de génération en génération. Les Italiens, pourrait-on dire, jouent encore avec la nourriture. »

 

 

« Les Italiens sont restés des amateurs cuisinant au petit bonheur, suivant des méthodes traditionnelles transmises de génération en génération : Plaidoyer pour 1 édition en français d’Artusi Remix de Don Pasta

Je reviendrai dans une prochaine chronique sur le ragù qui illustre bien l’esprit de l’ouvrage de Don Pasta « Le ragù est une chose très personnelle. Aussi imaginez son bonheur quand, goûtant pour la première fois au ragù de Betta, il s’aperçut que, en effet, il était différent de celui de sa mère… et meilleur. »

 

Considéré par le New York Times comme « l'un des plus inventifs et dynamiques militants du monde de gastronomie et du bien manger » Daniele, revisite Pellegrino Artusi et son «La Science de la Cuisine et l'Art de bien manger» - 1ère édition 1891), avec l'appui de la méthode et des réflexions de L'Artusi, comme on l'appelle familièrement en Italie. Son livre n'est pas une relecture ou une réécriture de l'œuvre de L'Artusi, c'est un hommage affectueux, habité et sincère à l’homme qui a été l'un des pères de cette cuisine italienne qui est d’abord nourriture, un langage qui permet de transmettre une histoire familiale, paysanne, collective.

 

Vous vous doutez bien que ça touche au plus près mon cœur d’héritier d’une longue lignée de laboureurs.

 

Daniele, a donc entrepris, pendant toute une année, une longue quête à travers toute l'Italie pour rassembler des centaines de façon faire une cuisine familiale. La dénomination de recette ne convient pas car, comme le dirait avec humour Don Pasta, à la manière de Jacques Brel, chez ces gens-là on ne pèse pas, on sent… on fait « on ! » quand on pose la question des proportions.

 

Donc Daniele a voyagé à travers toute l'Italie à la rencontre de grands-mères, il a lancé des appels via les réseaux sociaux pour recueillir un maximum de témoignages afin d’aboutir à une sorte de recensement de la cuisine italienne domestique et populaire des temps modernes qui nous fait comprendre ce qui a changé dans la tradition et dans les limites géographiques.

 

Remix, en musique, un remix est une version modifiée d'un morceau musical, réalisée en studio ou parfois en live avec des techniques d'édition audio, destinée en général aux DJ pour les clubs.

 

Tout l’art et la sensibilité, de Daniele sont dans ce subtil assemblage d’une cuisine des générations modernes et du fort héritage de la tradition culinaire. Il y exprime toute sa sensibilité, son rapport charnel avec la terre, ceux qui la cultivent. Faire avec peu mais faire bon pour nourrir le corps mais surtout l’âme. Nourriture supplément d’âme. Ça me rappelle ce texte de Camilleri dans son dernier livre publié chez Liana Levi.

 

En 1 heure ½ maximum la récolte était vendue, parce qu’elle venait d’une terre cultivée avec amour et que l’amour ça donne bon goût…

 

« Bartolomè Sgargiato était un paysan qui habitait à l’extérieur de Vigàta, sur la montagne du Crasto, où il possédait une petite maison, héritée de son père Jachino.

 

Il vivait là avec sa femme Assunta, leur fils aîné Jachino qui avait dix-neuf ans, leur deuxième fils ‘Ngilino qui en avait dix-sept et leur fille Catarina qui, avec ses quinze printemps, semblait déjà une femme. À côté de la maison, une étable abritait un âne, une cinquantaine de poules et une dizaine de lapins. La maison était placée au milieu d’un terrain de deux arpents de bonne terre cultivée en potager. Et c’était le potager qui, avec les œufs, nourrissait la maisonnée.

 

Tous les matins, un des fils à tour de rôle descendait à Vigàta avec l’âne enfardelé pour vendre à la criée les légumes tout frais et les fruits de saison, pommes de terre nouvelles, fèves, pois chiches, concombres, cornichons. En une heure et demie maximum, la récolte était vendue, parce qu’elle venait d’une terre cultivée avec amour par Bartolomè et ses enfants et que l’amour, ça donne bon goût. »

 

« Par le fait les Sgargiato affanaient dans la campagne tous les jours que Dieu fait, du matin au soir. Comme les dimanches étaient travaillés aussi, sur toute une année les jours de repos se réduisaient à quatre : la saint Càlo, Pâques, Noël et le jour de l’an.

 

En janvier, ils semaient en pleine terre les fèves, les fenouils, les petits pois et, sous abri, les oignons, les carottes, les tomates, les céleris, le persil, les radis, les concombres, les aubergines, les poivrons, les courgettes.

 

En février, l’ail, les asperges, les choux, la roquette.

 

En mars, les pommes de terre. Et ils buttaient les artichauts.

 

En avril, ils buttaient les fèves et les pommes de terre, ils ramaient les petits pois et ils plantaient le basilic, les pastèques et les melons.

 

Et ainsi de suite, tout au long de l’année…

 

La suite ICI 

 

Reste un dernier obstacle à lever : comme nous les Français sommes assez peu portés sur la pratique des langues étrangères, il est donc d’utilité publique que le livre de Don Pasta puisse être publié au plus vite dans une version française afin que nous puissions pénétrer au plus profond du terroir de cette Italie longtemps divisée en un patchwork de grandes villes autonomes, de provinces, d’États souverains.

 

Je lance donc un appel aux éditeurs qui souhaitent sortir des sentiers battus et rebattus des livres de recettes sur papier glacé : faites œuvre utile en contribuant à l’extension du domaine des produits cultivés et préparés avec amour…

 

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commentaires

S
attendons le livre en français....
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