En ce temps de grande votation les processions, tout au long de la semaine, vont se succéder autour des vaches, cochons, couvées qui n’en pourront mais vu que ce n’est pas à eux qu’iront les attentions du gars ou de la fille en quête de suffrages. Mes fonctions de Secrétaire Autoproclamé de l’Amicale du Bien Vivre dite des Bons Vivants exigent que je me tienne en retrait de ce rabattage mais je ne puis me dérober lorsque la sollicitation est venue d’un étranger, haut placé, en attente d’exercer le métier auquel il est destiné par sa naissance.
Trêve de protocole, nous y sommes allés à l’heure du laitier, sans tambours ni trompettes, comme de simples pékins, en Barbour huilés tout de même, casquettes de tweed et pantalon du même acabit, grolles de Savile Road. Nous avions l’air de gentleman-farmer venus tâter le cul de beaux Southdown ou de big Large White ou de grands Hereford pour enrichir nos immenses troupeaux se prélassant en nos domaines héréditaires. Bref, foin des journalistes, nous étions là pour la juste cause des produits de terroir et plus particulièrement des fromages qui puent.
Afin de ne pas nous faire repérer nous conversions en français. Tout s’est admirablement passé, mon hôte, dont la complexion naturelle allie le pâle et le hâle rougeoyant du côté de ses larges pavillons, suite aux nombreux canons dégustés tenait un beau teint bordeaux. Pour autant, loin de se départir de son flegme, lorsque nous retrouvâmes, les membres du bureau de l’ABV, dans un petit salon, il nous gratifia d’un petit speech qu’il m’a autorisé à publier sur mon « espace de liberté »
« Mesdames, messieurs,
La seule notion de « normes minimales d'hygiène » a de quoi glacer le cœur de tout Français normalement constitué ! Je la trouve, quant à moi, terrifiante, comme tous ceux de mes compatriotes qui pensent que la vie ne vaut plus d'être vécue si l'on n'a plus le loisir de savourer les défis à l'hygiène que sont certains produits, créé avec amour par l'humanité - la France surtout - à partir de la planète de Dieu !
Dans une société irréprochable sur le plan bactériologique, qu'adviendra-t-il du Brie de Meaux, du crottin de Chavignol, ou du bleu d'Auvergne ? Dans un futur aseptisé, expérimental, génétiquement organisé, quelle place y aura-t-il pour l'archaïque fourme d'Ambert, le gruyère de Comté mal formé ou l'odorant Pont-l'Evêque ? L'obsession de l'homologation, de la catégorisation, de l'homogénéisation et de la pasteurisation viendra-t-elle émasculer les robustes roqueforts, reblochon vacherin et même le sempiternel camembert ? Cela paraît peut-être stupide à dire, mais une part importante de la civilisation européenne réside dans le génie et le savoir-faire que se transmettent d'âge en âge les auteurs de ces illustres concoctions... »
Tonnerre d’applaudissements.
Le protocole ne me permettant point de répondre à notre hôte je me suis contenté d’évoquer autour d’une flute de champagne offerte par l’ami Olivier Borneuf de Brittle « Charles de Marguetel de Saint-Denis, seigneur de St-Evremond, un des écrivains les plus excentriques du Grand Siècle dont l'oeuvre paradoxale, désinvolte, semble bâtie à coups d'improvisations, comme si elle venait injurier les textes méthodiques de Boileau ou de Racine. Saint-Evremond a vécu deux existences : une première en France dans l'état-major de Condé, une seconde en Angleterre à partir de 1661, après avoir dû s'exiler. On n'a que peu de renseignements sur la vie anglaise de Saint-Evremond ; on sait seulement qu'il a été à Londres courtier en champagne et qu'il y a écrit la plupart de ses opuscules, toujours avec beaucoup de goût et de discernement, jusqu'à être un des premiers à révéler dans le détail, en 1677, les multiples facettes du génie comique de Molière. Et comme l'a remarqué Raymond Dumay, il a eu avant tout le monde l'idée lumineuse d'inventer la « généalogie éblouissant » du champagne, à travers ces propos vraisemblablement rédigés en 1683 : « Léon X, Charles-Quint, François Ier, Henri VIII avaient tous leur propre maison dans Ay pour y faire curieusement leurs provisions. Parmi les plus grandes affaires du monde qu'eurent ces grands princes à démêler, avoir du vin d'Ay, ne fut pas un des moindres de leurs soins. »
Le champagne était lancé.
Et si bien qu'en quelques décennies il allait s'installer partout et avoir la réputation d'être un vin de luxe. Ce qui veut dire aussi celle d'un vin cher, par rapport à tous ses rivaux et concurrents, et ne serait-ce que les bourgognes (...) »
Même si vous pensez que je décoconne mon hôte, pas encore couronné, et moi-même sommes ensuite allés jusqu’à la Gare du Nord à bicyclette sans escorte (David Cobbold voulait nous ouvrir la voie avec son anglaise mais nous avons décliné) et sur le quai de l’Eurostar, loin des bruissements de la campagne, nous avons échangés une poignée de mains cordiale et même si la victoire du Pays de Galles plaisait à son cœur mon hôte pris soin de me remercier de l’avoir accueilli dans un club aussi fermé que l’ABV et m’a tendu un pot de confitures confectionné par ses soins.
Bien évidemment je ne puis révéler l’identité de mon hôte sinon je vais faire tirer les oreilles par Alain Juppé le patron du Quai d’Orsay, car nous ne les avions point prévenus, mais je puis vous certifier que les propos de son speech sont stricte vérité. Ils ont bien été prononcés tels quels.
Le Nyetimber’s Classic Cuvée 2003 ci-dessous, fait à partir de Chardonnay, Pinot Noir et Pinot Meunier est élaboré dans le Sussex. Il a été couronné champion du monde des vins mousseux au concours organisé par le magazine Italien dédié au vin Euposia. Un grand dégustateur s’est risqué à délivrer ce commentaire « Il a des arômes de mandarines, de vanille et citrons, ainsi qu’un goût de sablé et d’abricot, la note biscuitée joue un rôle de soutien » et notre hôte s’est contenté de répondre : « Bollinger La Grande Année ! »