Le pourcentage des cépages dans les jus de nos jours tu n’y coupes plus, dès que tu approches ton museau d’une sainte table où l’officiant t’attend de pied-ferme pour emplir, avec une juste parcimonie ton petit calice, c’est un tir nourri. Sauf bien sûr pour les vins monocépage, encore que souvent il m’arrive de recevoir une piqure de rappel du côté du pinot noir ou du chardonnay qui sont aussi bien bourguignon que champenois et d’ailleurs bien sûr.
Je hais les pourcentages, ça m’obstrue l’esprit !
Pour autant je ne nourris aucune prévention pour ces braves cépages mais lorsque je fais connaissance avec un vin je ne demande pas qu’on me débite illico presto son CV. C’est comme si lors d’une rencontre amicale, ou plus si affinités, tu t’empresserais de demander à l’élu de ton cœur son numéro de Sécurité Sociale imprimée sur sa Carte Vitale.
Comme à l’accoutumée, après les avoir bien vertement critiqués, raillés, nous nous calons sur les codes de nos partenaires des vins dit du Nouveau Monde. Maintenant nous buvons du Chardonnay, du Sauvignon, du Pinot Noir, et sous les ailes de nos AOC nous déclinons les pourcentages de cépages pour bien sûr informer ces pauvres ignorants de consommateurs.
Moi je veux bien, mais ils ont le dos large nos braves consommateurs. Je suis sûr qu’on aurait de belles surprises si l’on effectuait un petit sondage auprès d’eux sur l’adéquation qu’ils font entre les cépages et ceux d’une appellation. En clair ils s’en tamponnent comme de leur premier costume bleu marine de premier communiant pour les garçons, et comme leur premier soutien-gorge bonnet A pour les jeunes filles.
Le cépage, comme le montre avec un humour décapant la BD de Michel Tolmer c’est le sésame pour entrer dans le cercle des initiés. C’est le bon moyen de briller, faute de mieux, en société, entre amateurs. Les vignerons l’ont compris, avec le pack géologie, ils en mettent plein la tartine des gars et des filles qui hantent les dégustations. « Et ma syrah par ci, et mon gamay par-là, et je te mettrais t’y aussi une petite goutte de mauzac, un soupçon de grolleau, une grosse louche de vieux carignan – le carignan est presque toujours vieux même si quiconque m’a précisé à quel âge il l’était – et puis ce cabernet-franc et ce cabernet-sauvignon, et bien sûr le sauvignon, du merlot, du pinot et comme de bien entendu ce chardonnay qu’aiment tant les filles d’Outre-Manche.
Le must, ce sont les petits cépages de derrière les fagots comme ceux des savoyards : Jacquère, Altesse, Roussane, Chasselas, Gringet, Velteliner pour les blancs ; Mondeuse, Persan pour les blancs ou ceux du Jura le Savagnin, le Poulsard, le Trousseau. En Alsace c’est plus simple puisqu’avec leurs 7 cépages sur l’étiquette ils ont optés de tout temps pour cette mise en avant.
Vous allez me dire que je fais une fixation sur la mention des cépages et que je ne suis pas dans le bon wagon. Objection vos honneurs, mes petites remarques ne sont là que pour mettre le doigt sur un fait que nul ne pourra contester :
- Les vins de France peuvent apposer le cépage ou les cépages et le millésime ;
- Les IGP ex-vins de pays itou et comme le gros de ces vins viennent du mammouth pays d’Oc drivé d’une main de fer par le boss Jacques Gravegeal ça fait beaucoup de monde dans la cour des cépages ;
- Les AOC sont en train de copier par-dessus l’épaule de leurs voisins et ce faisant se diluent dans le grand océan.
Certes j’extrapole un chouïa, je pousse le bouchon très loin, mais je constate depuis ces dernières années une dérive de plus en plus accentuée dans le gros du peloton. Comme les vins d’AOC et d’IGP deviennent dans ce segment de marché de plus en plus cousins germains du fait du nivellement œnologique, que leur soi-disant typicité est plutôt un rideau de papier qu’une réalité, alors pour tenter de se différencier on se paye de mots.
La magie du vin, celle d’un vin, ne peut pour moi s’accommoder de ces dosages de cépages en pourcentages, ça fait très potard au fond de son officine en train de peser ses potions sur sa balance de précision. Et qu’on ne vienne pas me dire que ça permet de nourrir les discussions entre amateurs de vins. Désolé les questions à la con du type « c’est de la syrah ou du mourvèdre », j’dis n’importe quoi, me gonflent. Ça fait bête à concours. Un de ces 4 on va me demander de faire un Quizz ou un QCM à la sortie d’une dégustation pour vérifier si j’ai bien engrangé toutes les données délivrées.
Les fiches techniques sur un vin moi je trouve ça très bien, pour les autres. Ça meuble les critiques et les chroniques, elles ne sont souvent que des cache-misères. Pas sûr que cette technicité mal digérée soit un bon vecteur pour l’extension du domaine du vin.
Je ronchonne. Je bougonne. C’est l’âge sans doute. Comme je ne suis obligé à rien maintenant je m’abstiens de plus en plus de défiler devant les tables de dégustation, avec un petit carnet à la main qui ne me sert à rien, et un verre dans l’autre main qui lui reçoit sa petite ration que j’ai de plus en plus de mal à apprécier. Au mieux je fais de la figuration, au pire je gêne.
Même qu’au Grand Tasting de B&D je me suis demandé ce que j’y faisais en dehors de serrer la paluche aux copains.
Dorénavant j’ai décidé d’aller voir les vins chez eux, chez leurs géniteurs. Au moins dans les vignes je prendrai du bon air… et je m’entrainerai à reconnaître les cépages sur pied. Désolé, pas mieux !