L’un des joyaux de notre vieux pays démocratique est sans conteste le scrutin d’arrondissement uninominal à deux tours car il permet parfois au 2ième tour, grâce à des triangulaires, d’accoucher de résultats extravagants et ainsi de faire élire un outsider qui n’en demandait pas tant. Les triangulaires que je préfère sont bien évidemment celles où deux membres du même camp : par exemple l’investi par le parti parachuté de Paris et celui qui attendait son heure depuis longtemps, s’étripent et font élire le 3ième larron qui se contente de tirer les marrons du feu. Je ne remuerai pas le couteau dans la plaie de certains en énumérant tous ces bienheureux élus par la grâce d’ambitions contrariées de leurs adversaires politiques.
Nous sommes donc le pays des constitutionnalistes – j’ai été formé en cette matière par Jacques Georgel et j’ai côtoyé l’un des constitutionnalistes des plus brillants Guy Carcassonne –, il est vrai que nous avons aligné 5 Républiques et que nous adorons modifier nos chères Constitutions. Bref, nous sommes les Paganini des modes de scrutins et nos Ministres de l’Intérieur n’aiment rien tant que les découpages électoraux que certains qualifient de charcutages ce qui me semble bien déplaisant pour les charcutiers qui sont d’habiles artisans qui savent bien que dans le cochon tout est bon.
Hormis ce brave scrutin d’arrondissement qui met sur un pied d’égalité la voix d’un député de la Lozère et celle d’un député de l’Essonne en dépit du fort déficit de voix du premier, je dois signaler à nos jeunes générations que sous la IVe République la «loi des apparentements» fut en vigueur pour les législatives de 1951 et celles de 1956. Dans le cadre du scrutin proportionnel, elle permettait aux partis qui se déclaraient apparentés de concourir séparément lors du scrutin, tout en additionnant leurs résultats pour l'attribution des sièges. Les partis apparentés pouvaient ainsi obtenir ensemble, au niveau de la circonscription électorale concernée, une majorité des voix et donc la totalité des sièges à pourvoir. Au passage, ils éliminaient leurs rivaux politiques communs. Ainsi les membres de la Troisième Force socialistes SFIO, MRP, RGR qui l'instituèrent, et aussi le CNIP, purent limiter la puissance électorale du PCF et du RPF. En 1956, elle joua également au détriment de l'UDCA de Pierre Poujade.
Ce long préambule, qui n’est pas celui de la Constitution, pour introduire un affrontement des plus pacifiques entre 3 représentants de l’Appellation Picpoul de Pinet. Que voulez-vous j’ai un faible pour elle car je trouve cette dénomination à primesautière, légère, en effet ça part comme la comptine enfantine Pic et pic et colégram, ça rebondi sur poule de pour atterrir sur Pinet charmant petit village situé au nord de l’étang de Thau. Pour les férus de précisions diverses et variées ils n’ont qu’à se reporter sur http://www.picpoul-de-pinet.com/appellation.asp
Mais pourquoi diable provoquer une triangulaire à propos de ce petit vin blanc – le qualificatif petit étant sous ma plume une mention valorisante – me direz-vous ? Tout simplement, comme vous avez pu le constater, parce que ça m’a donné l’occasion d’étaler toute l’étendue de ma science politique et, plus prosaïquement, parce que je suis un grand amateur d’huîtres et que les huîtres aiment le Picpoul de Pinet
Ma triangulaire regroupera :
1 Vert : un Picpoul vin issu de l’agriculture biologique du Domaine Azan
1 Rose : un Picpoul provenant de la cave de l’Ormarine
1 Indépendant : un Picpoul provenant du domaine Félines Jourdan.
Bien évidemment les étiquettes – pas celles des flacons qui sont assez traditionnelles à l’exception de celle du vin AB – n’engagent que moi et n’ont aucun rapport avec une quelconque coloration politique des vignerons en question.
Le millésime c’est 2009. Le Vert et le Rose affichent 12°5 et une contre-étiquette assez succincte situant l’appellation et indiquant que c’est bon avec les crustacés et le poisson, l’Indépendant lui n’a que son étiquette et titre 13°5. Tous contiennent des sulfites. Les flacons du Vert et de l’Indépendant arborent sur le goulot la Croix du Languedoc alors que le Rose est frappé des armes de Pinet. Le Vert et le Rose se rattachent à l’Appellation Coteau du Languedoc Contrôlée et l’Indépendant à l’Appellation Languedoc Contrôlée.
Le Vert a été acquis chez Biocoop 55 rue de la Glacière dans le 13ième pour 5,89€
Le Rose a été acquis chez Monoprix Bièvre toujours dans le 13ième pour 3,95€
L’Indépendant a été acquis à la Grande Epicerie du BM dans le 7ième pour 7,90€
Le scrutin étant à 2 tours :
- au 1ier dégustation à l’aveugle (n’y voyez aucune ironie par rapport au choix des électeurs dans certaines votations) le matin dans ma cuisine ;
- au 2ième à l’heure du déjeuner face à un plateau d’huîtres les 3 candidats seront testés en situation réelle (là encore aucune malice de ma part).
Étant à moi tout seul le peuple souverain je procéderai au dépouillement des suffrages et proclamerai les résultats. En cas de contestation de la validité du scrutin vous aurez la possibilité de déposer un recours auprès du Conseil d’Etat.
Mercredi je fais l’acquisition rue Daguerre d’une douzaine de Fines de Claires N°2, de pain de seigle, je rentre at home j’ouvre mes huîtres, fait ma vinaigrette à l’échalote, je dresse la table, je fais ouvrir les flacons et emplir 3 verres pour le 1ier Tour qui se déroule sur la paillasse de la cuisine, l’évier se révélant un beau crachoir. Je déguste. C’est serré mais je penche pour le n° 3, le 1 et le 2 sont vraiment au coude à coude.
Ensuite 2ième tour, une huître nature et une gorgée du Picpoul dit Indépendant, puis même opération pour le Rose, puis pour le Vert. L’Indépendant est le plus Picpoul mais le Vert se tient bien et le Rose n’est pas ridicule.
Je confronte les résultats du 1ier Tour où le N°1 était le Vert, le N°2 le Rose et le N°3 l’Indépendant et ceux du second. C’est vraiment serré même si l’Indépendant garde une courte tête d’avance.
Je procède alors à un test redoutable le couple infernal huître+vinaigrette puis gorgée de Picpoul pour voir si ça change la donne. Pas vraiment même si le Vert y gagne quelques voix.
Les Résultats :
Le Picpoul provenant du Domaine Félines Jourdan par C. M.H et S. Jourdan à 34 Mèze est élu avec 35 % des suffrages exprimés.
Le Picpoul provenant du Domaine Azan Floriane&Olivier Azan 34850 Pinet obtient 33% des suffrages exprimés.
Le Picpoul L’Etang de Sol provenant de la Cave de l’Ormarine 34850 Pinet obtient 31% des suffrages exprimés.
Commentaires de JB le Alain Duhamel de la dégustation politique : 3 candidats de qualité dont les vins expriment bien ce qu’un amateur d’huîtres attend du Picpoul de Pinet : couleur franche jaune paille, beau nez plein de fraîcheur, vivacité en bouche, petite pointe d’acidité laissant une bouche nette et légère. Si l’Indépendant l’a en définitive emporté c’est qu’il allie un peu plus de soyeux à sa vivacité que ses concurrents. Reste qu’un élément qui n’a pu être pris en compte dans le choix de l’électeur unique, étant donné les particularités du mode de scrutin, c’est le prix. En effet nous allons de 2 € en 2€ du simple au double entre le gagnant et le 3ième alors que les écarts sont extrêmement faibles. Cette structure de prix, assez explicable en fonction, tant de la structure qui produit le vin : coop, Domaine dont un AB que de la distribution : Monoprix, Biocoop et GE du BM, reste difficilement compréhensible du consommateur moyen qui, il est vrai, n’est pas forcément en mesure de faire des comparaisons car il ne fréquente pas forcément les 3 types de magasins. Quoi qu’il en soit, ce qui serait intéressant c’est que mes confrères et concurrents papier se collent un peu plus à ce genre d’approche croisant les circuits de distribution et l’origine des vins (au sens des entreprises qui les font) pour vraiment aider ceux des consommateurs qui se trouvent confronter à ce type de constat.