La France, ce vieux pays de Droit romain écrit, qui adore empiler les lois et les règlements, fabriquer des codes à reluire rouge, dont le plus abouti est celui des IMPOTS qui n’a pas attendu McDo pour être obèse, pondre via sa bureaucratie des circulaires interprétatives, survit car ses citoyens appliquent un grand principe pour son droit public « nul n’est censé respecter la loi » La règle horizontale, celle qui toise tout le monde à la même hauteur, égalitaire dit-on, fait les délices de ceux qui se spécialisent dans l’utilisation des trous, des failles, pour le fiscal ont dit des niches – je ne sais pourquoi cette appellation fait florès y compris pour désigner des marchés fort rémunérateurs – pour tourner la loi. La vigne, la fabrication du vin et son transport, ont été de tout temps en France le paradis de la fiscalité et de la répression des Fraudes : pensez-donc à la DGGDDI et à la DGCCRF les hommes et les femmes du Vin occupaient le haut du pavé. En écrivant cela je ne leur jette pas la pierre car ils savaient, avec doigté et intelligence, démêler les fils et faire preuve de pragmatisme : pas vrai Robert et Dominique ! Ils faisaient parti de la famille. Aujourd’hui c’est plus diffus, plus dématérialisé dit-on. Reste aux vignerons à se dépêtrer ! La simplification administrative est un sujet que chérissent les Ministres en arrivant mais leur peu d’allant à se mettre les mains dans le cambouis de leur Administration fait que, l’Union Européenne aidant, la ponte continue !
Bref, j’offre à l’ami David Cobbold ce texte so british pour qu’il comprenne mieux l’ambigüité à la française qui nous permet de vivre sur nos textes, en les exhibant à la face de la Terre entière, pour mieux les tourner.
« Un dîner d’adieux fut offert à Aurelle par les officiers de cette division écossaise avec laquelle il avait passé quatre années rudes et vivantes.
Il dut, avant de se mettre à table, boire un cocktail et un sherry, puis encore un vermouth italien, réveillé d’une goutte de gin. Un empressement affectueux que ce mélange de boissons, plus que britannique, lui firent sentir avec délicatesse, qu’il était, pour ce dernier soir, non plus un membre, mais l’hôte du mess.
- J’espère, lui dit le colonel Parker, que vous ferez honneur à l’éduction que nous vous avons donnée et que vous viderez enfin tout seul votre bouteille de champagne.
- Je vais essayer, colonel, mais j’ai encore beaucoup à apprendre.
- Il est vrai, grommela le colonel, que cette paix arrive mal à propos. Tout commençait à s’organiser. Je venais d’acheter un cinéma pour nos hommes ; nos artilleurs travaillaient de mieux en mieux ; j’avais des chances de devenir général et Dundas m’apprenait le jazz. Et voilà les politiciens qui font la paix et Clémenceau qui démobilise Aurelle ! Ah ! la vie n’est qu’une damnée chose après l’autre.
- Oui, messiou, soupira le général Bramble, c’est triste de vous voir partir ; restez encore huit jours avec nous.
- Je regrette, sir, mais je suis démobilisable avec le troisième échelon et j’ai mon ordre de transport en poche : je dois me présenter demain à Montreuil-sur-Mer, d’où l’on m’enverra à Arras, d’où l’on m’expédiera à Versailles, d’où je rentrerai à Paris, si je survis à ce circuit... Je resterais bien volontiers, mais je dois suivre le sort de ma classe, ainsi que disent, non sans grandeur, les militaires.
- Pourquoi, dit le colonel Parker, s’obstiner à envoyer des soldats dont les civils redoutent le retour et qui sont nécessaires au confort des officiers supérieurs ?... Nous autres, Anglais, nous avions adopté pour notre démobilisation, un projet plus intelligent. Les hommes, classés par professions, partaient seulement le jour où les ouvriers de leur métier manquaient en Angleterre. Ainsi, nous devions éviter le chômage. Un gros volume expliquait, avec clarté, tous les détails : c’était vraiment très bien... Well, au jour de l’application, cela a marché aussi mal que possible. Tout le monde s’est plaint, nous avons eu de petites émeutes, les journaux les ont dramatisés et, après quelques semaines d’essais, nous en sommes revenus, Aurelle, à votre système de class qui est égalitaire et imbécile.
- C’était facile à prévoir, dit le docteur : tout règlement qui néglige la nature humaine périra. L’homme, qui est un animal absurde et passionné, ne peut se complaire dans un système intelligent. Pour qu’une loi soit acceptée par le plus grand nombre, il est nécessaire qu’elle soit injuste. La démobilisation française est inepte, c’est pourquoi elle est excellente.
- Docteur, dit le général, je ne veux pas que vous disiez que la méthode française est inepte : c’est le dernier soir que messiou passe avec nous, laissez-le tranquille.
- Cela n’a aucune importance, sir, dit Aurelle : ils n’y comprennent rien, ni l’un ni l’autre. Il est certain qu’en France, en dépit de décrets et de circulaires absurdes, tout va plutôt mieux qu’ailleurs. Mais ce n’est pas parce que nos lois sont injustes, c’est parce que personne ne les prend au sérieux. En Angleterre, votre faiblesse, c’est que si l’on vous ordonne de démobiliser les hommes par classes, vous le ferez. Chez nous, on le dit, mais par des sursis, par des passe-droits, par mille injustices assez justes, on s’arrange pour ne pas le faire. Un bureaucrate barbare a voulu que l’interprète Aurelle, pour se faire démobiliser, eût à parcourir le circuit Montreuil-Arras- Versailles, dans un wagon à bestiaux. C’est inutile et vexatoire. Mais croyez-vous que je le ferai ? Jamais. J’irai tranquillement demain matin, à Paris, par le rapide, et j’y montrerai un papier couvert de cachets à un scribe du G. M.P. qui, après quelques plaintes désabusées, me démobilisera en maugréant. Le grand principe de notre droit public, c’est que nul n’est censé respecter la loi.
- Hough ! fit le général suffoqué.
- Docteur, dit le colonel Parker, versez du champagne à messiou, il est trop lucide.
Des départs de bouchons se firent entendre aussitôt sur un rythme rapide de mitrailleuses en action. Le colonel Parker commença un discours sur les charmes des femmes birmanes, si aimables et si douces ; le docteur, pour des raisons techniques, leur préférait les Japonaises. »
Les Discours du Docteur O’Grady André Maurois chez Grasset 1922