Dans l’avion qui me menait à Toulouse où m’attendaient mes problèmes de lait de vache en feuilletant le Courrier International qui consacrait encore quelques pages à la déferlante chinoise vue par la presse étrangère et plus particulièrement la presse chinoise je ne pouvais m’empêcher de penser aux vieux maos spontex survivants aux affres de la mondialisation (ils existent lire la prose du PCML link) qui voient les nouveaux riches chinois déferler sur nos vieux pays bourgeois pour se goinfrer de nos produits de luxe décadents.
Parole tout d’abord aux craintes d’une journaliste britannique Kim Willsher du Daily Telegraph face à la déferlante chinoise
Le constat : « Après avoir goûté en Europe au secteur automobile ou à la biscuiterie, après avoir pris position dans le port grec du Pirée, les Chinois ont maintenant une soif de vin qui ne semble pas près de s’étancher. Sur les tables de Pékin, de Shanghai et du reste de la Chine, il faut des bouteilles qui viennent de France – et plus particulièrement de Bordeaux. L’engouement est tel que le gouvernement chinois a lui-même investi dans un vignoble français [Cofco est majoritairement détenu par l’Etat chinois]. Mais les Chinois veulent des vins à leur goût : doux, fruités et d’un rouge profond. C’est pourquoi ils ne se contentent pas d’investir massivement dans la production viticole française, mais acquièrent des vignobles entiers pour s’assurer d’obtenir ce qu’ils souhaitent. Ils expédient ensuite la totalité de la production vers la Chine. »
L’étonnement : « Compte tenu des efforts bien connus de la France pour protéger son patrimoine*, et notamment sa langue et sa gastronomie, on aurait pu s’attendre à une levée de boucliers dans l’Hexagone. Rien n’est plus cher aux Français que la notion de terroir, incluant la terre et tout ce qu’elle produit. Pourtant, les Chinois sont accueillis à bras ouverts dans le Bordelais, certains décrivant même les investisseurs asiatiques comme les sauveurs de la région. »
Les perdants : Ceux qui semblent avoir le plus à perdre, à partir du moment où les propriétaires chinois commencent à expédier leur vin directement en Orient, ce sont les puissants négociants*, ces intermédiaires qui achètent du vin ou des raisins aux producteurs à des fins de revente.
Le point de vue de Stéphane Toutoundji « D’autres acheteurs chinois vont venir et, bien sûr, s’ils arrivent en nombre, cela suscitera peurs et jalousies. Mais ils donnent un coup de jeune aux châteaux et redonnent vie à la campagne. Nous, les Français, aimons nous reposer sur nos lauriers et vanter nos qualités. Mais nous avons perdu le marché britannique au profit des vins du Nouveau Monde en y envoyant des crus de mauvaise qualité. C’est une nouvelle chance qui se présente à nous. Et puis il n’y a rien de plus terrible qu’un château en déshérence. »
Ensuite, quelques citations des propos du nouveau propriétaire du Château Laulan-Ducos, Richard Shen Dongjun, directeur-général pour la Chine du groupe de joaillerie sino-belge Tesiro, extraites de l’article de Kuang Xinhua du journal Xin Shiji Zoukan de Pékin.
« Les vins de certaines propriétés [du Bordelais] posent problème ; il y en a qui ont un goût qui ne convient pas aux papilles gustatives des Chinois”, n’a-t-il pas hésité à affirmer, un brin provocateur. Pour lui, il fallait en priorité que le vin soit bon : “C’est la qualité qui doit être le critère le plus important pour juger d’un vin.” M. Shen a affirmé que, s’il avait tenu à venir en personne à Bordeaux pour son projet d’investissement, c’était surtout pour pouvoir déguster le vin, seul, avec des amis ou en compagnie d’œnologues. Il tenait à passer le vin à l’épreuve de ses papilles avant de l’acheter, son objectif étant ensuite de le commercialiser en Chine. “La consommation de vin est de type répétitif, contrairement à celle des diamants, qui se limite à deux ou trois occasions. Alors qu’on ne se marie souvent qu’une seule fois dans sa vie, le vin, on en boit tous les jours !»a insisté M. Shen.
« Le second aspect important, pour M. Shen, a été l’appellation. “En Chine, le vin reste un produit de luxe et les gens n’ont qu’une connaissance très parcellaire des bordeaux. Pour moi, il était hors de question d’acheter un domaine sans considérer son histoire. Or Château Laulan-Ducos se trouve mentionné dans des documents historiques dès 1874”, précise l’homme d’affaires. Son vin devait non seulement présenter de glorieux antécédents historiques, mais être renommé encore actuellement. Le bordeaux produit par la famille Ducos a obtenu 32 récompenses sur le plan international ces dix dernières années et a été recommandé à 17 reprises par le Guide Hachette des vins, le plus célèbre guide des vins français. “C’était pour nous une preuve de qualité. Quand on ne sait pas ce que vaut une personne, on regarde souvent ses antécédents…”, fait valoir M. Shen. »
L’ambition de M. Shen : « Richard Shen Dongjun juge insuffisante la production de Château Laulan-Ducos pour la Chine. “Compte tenu de la manière dont les Chinois boivent, les salariés d’un seul service des transports publics de Pékin seraient capables d’écluser à eux seuls tout le stock.” C’est pourquoi il a l’intention de passer des commandes auprès d’autres domaines français et d’écouler ces crus sous l’étiquette « Lelang ». Une forme de sous-traitance, en somme. L’homme d’affaires affirme que son objectif est de réaliser un chiffre d’affaires comparable à celui atteint avec ses ventes de diamants en Chine, soit 150 millions de yuans [17,5 millions d’euros] par an. « Cent cinquante mille bouteilles à raison de 1 000 yuans pièce cela fait bien 150 millions de yuans. »
Pour conclure le questionnement de Jeannie Cho Lee du South China Morning de Hong Kong
« Toutefois, comment ne pas se demander si cet engouement est bien sain ? Lorsque les Américains sont arrivés en force sur le marché du vin, le Bordelais a nettement revu à la hausse la qualité de sa production et s’est développé à une vitesse prodigieuse. A présent que la Chine s’empare de parts de marché, la situation se renverse. Les forces de vente orientent leurs vins vers l’Extrême-Orient, car les acheteurs et les consommateurs asiatiques sont ceux qui mettent le plus d’argent sur la table. L’ampleur et la rapidité de ce bouleversement me laissent sceptique. Que se passera-t-il si l’économie chinoise subit un ralentissement ou si la demande ne cesse de surpasser l’offre ? »
La réponse est simple : ils se replieront sur le marché français et le pourriront une fois encore... c'est un grand classique...