L’Enfer a occupé une place de choix dans mon élevage vendéen : que de fois fus-je menacé d’y aller en aller-simple si je péchais mortellement... Franchement ça ne m’a jamais impressionné, fait ni chaud ni froid si je puis dire. Ce Diable, dit Belzébuth, avec ses pieds fourchus, sa queue pointue et son trident m’est toujours apparu comme une menace d’opérette, bouffonne, relevant d’une comptabilité de notaire de la vie éternelle. Dès que j’ai eu trois sous de conscience, je n’ai jamais cru à la vie éternelle : franchement la trilogie paradis, purgatoire, enfer, nichée au fin fond du ciel avec escalier de service pour descendre, relevait du boniment de pochtron. Bien évidemment, pour avoir la paix, je me suis bien gardé d’exprimer mon scepticisme narquois même si, à ma pauvre mère, qui voulait faire de moi un curé, je répondis tout même un jour de guerre lasse : « maman j’aime trop les filles ! » qui la plongea dans l’affliction.
Pour certains hommes de pouvoir, à l’instar de la célèbre phrase de Sartre « l’Enfer c’est les autres » dans sa pièce « Huis-clos » manifestement : « L’Enfer c’est les femmes ! » Dans mon cas ce n’est pas le cas : j’aime les femmes et bien évidemment pour elles je me damnerais car comme le chante Adamo : « c’est ma vie, je n’y peu rien c’est elle qui m’a choisi, c’est ma vie, c’est pas l’enfer, c’est pas le paradis... » alors vous vous doutez bien que même si, comme tout un chacun, chaque jour qui passe me rapproche de l’envol final, de la mise en bière, l’Enfer avec tout son saint frusquin de grilles à rôtir et de braises rougeoyantes ne hante ni mes jours, ni mes nuits. Alors pourquoi diable tartiner sur le sujet me dire-vous ? Tout simplement parce que je fais l’objet de la part d’une charmante Plaimontaise, répondant à la lettre K, d’un harcèlement textuel.
En effet, voilà t’y pas que mes amis de Plaimont se sont entichés du Démon, le malin, jusqu’à l’affubler d’un black béret et de le chausser de sabots pour baptiser leur dernière cuvée : Rosé d’Enfer. Va pour goûter le fruit défendu, femme tentatrice, Eve objet entre les doigts fourchus du démon qui nous fit chasser du Jardin de l’Eden. Au risque de choquer je suis fort aise qu’elle ait succombée et que ce benêt d’Adam l’ait suivi. Trop de délices tue le délice, que serait notre vie sans le péché, la transgression, un long fleuve tranquille où nous aurions tous des tronches de pensionnaires d’une clinique de remise en forme voyageant en car pour une dégustation d’Eau de Luchon.
Ce Rosé d’Enfer l’achèterais-je rien que pour son nom ? La réponse est non. Je l’achèterais parce qu’il est un enfant de Plaimont. Que mademoiselle K se rassure je ne suis en rien la réincarnation du consommateur-cible de ce rosé et mon avis ne vaut pas plus qu’un avis parmi d’autres. Pour autant le concept est sympathique, gentiment provocateur, un chouia transgressif en diable et puis, après tout, il m’a inspiré cette chronique hautement philosophique. Que mademoiselle K ne se décourage pas pour autant, l’ouvrage est de qualité, avec une petite pointe de naïveté qui, après tout, va très bien à la fraîcheur de ce rosé. De plus, dans ce petit jeu, mademoiselle K, j’ai beaucoup apprécié votre ténacité, votre envie de me convaincre, fine et légère, pleine d’humour, alors je vous dis, en Grand Satan que je suis, continuez sur ce bon chemin vous recueillerez demain les fruits de vos efforts !
Reste, afin de ne pas subir les foudres de mon ami André, qu’a toujours la tête près du béret, je vais ouvrir cette bouteille de ce Rosé d’Enfer pour accompagner une platée de bulots aux piments de Cayenne que j’ai acheté chez le poissonnier de la rue du Bac qui cuit, selon les becs fins avec qui j’étais en Aubrac, les « meilleurs bulots de Paris » ( les nature que j’ai dégustés à l’Ecaille Saint-Honoré était top aussi). Ça tombe bien car l’Enfer et le piment de Cayenne vont bien ensemble : le rouge, le feu et le souvenir d’un vrai enfer sur terre : le bagne de Cayenne. Le décor est donc planté.
Le bulot ou buccin ondé Buccinum undatum (Linnae, 1758) vit dans les eaux froides de l'Atlantique Nord. Cette espèce, à grande répartition géographique et à forte densité sur les zones côtières, est largement exploitée depuis une cinquantaine d'années au Canada et en Europe du Nord. En France, la quasi totalité des débarquements est réalisée en Ouest Cotentin par une flottille de caseyeurs. Mon goût pour le bulot date de mes séjours fréquents à Trouville-sur-Mer au temps de ma présidence des Calvados&cidres réunis. Je les achetais sous les auvents de la magnifique Halles aux poissons qui a été malheureusement détruite par un incendie en 2008.
Pour les allergiques à la cuisine Beurk je signale que le bulot est à sa manière un charognard : il se nourrit de détritus et de cadavres et il est donc d’une grande utilité. Je signale ce détail car l’extraction du corps du gastéropode avec une pique (un trident) révèle un tire-bouchon qui passe du blanc-jaune au brun puis au noirâtre à son extrémité. Les restaurants proposent en accompagnement une mayonnaise, pour ma part je suis bulot nature. Les bulots m’attendent. J’en descends quatre. Excellente mise en bouche. Je sors le diable avec son béret et ses sabots du réfrigérateur, le pauvre doit avoir le cul gelé. Ouverture facile, emplissage du verre, cinéma traditionnel du dégustateur (je suis en cuisine donc évier à portée) Le diable en bouche se tient bien, il n’a pas la queue entre les jambes, pas d’attaque violente, il supporte la comparaison et se révèle vif comme un gascon, prêt à l’estoc avec sa rapière (c’est plus seyant que le trident). Que voilà un rosé qui se veut vin, pas éthéré pour deux sous, finale avec ce qu’il faut d’acidité pour avoir le sentiment du croquant. Ensuite alternance à un train d’enfer bulots/ rosé.
Voilà mademoiselle K, l’enfer est dit-on pavé de bonnes intentions, peu importe ce qui compte c’est le plaisir qui vous y mène. Votre Saint Mont rosé que vous avez baptisé, au risque de vous voir excommunier, d’Enfer, s’en tire avec les honneurs. Nul besoin pour lui de quémander des indulgences pléniaires pour mener des païens, non pas au paradis, mais sous une tonnelle. Votre diable mademoiselle K je le trouve bien trop sage dans vêture, il fait très noir et blanc de film d’art et d’essai, moi je le verrais bien totalement démoniaque, rouge pétant : quoi de plus provoquant pour un rosé que de s’afficher en rouge baiser !
Et puis, en finale non de dégustation, je me dois d'évoquer L'Enfer de Dante qui attribue au diable sept mille fonctions. Le diable incarne l'hérésie, la noirceur, la nuit, les terreurs. « Comme le dit Goethe, dans son premier Faust, le diable est tout ce que la raison ne peut comprendre...»