Je sortais tout juste de ma cambrousse. Une deuxième année de droit un peu tristounette, comme l’écrivais Viansson-Ponté dans le Monde « La France s’ennuie ! » et mon cœur d’artichaut s’effeuillait dans l’indifférence générale. Pour moi l’avenir ne pouvait qu’être beau mais Dieu que le présent était chiant !
Alors, attendu qu'en vertu de la force de mes souvenirs, comme je ne peux réfréner ma plume, je confesse que la mort de Liz Taylor me touche au cœur. Ça tient à ma première rencontre avec elle. Rencontre visuelle, dans une salle obscure : en effet la première fois que j’ai vu Elizabeth Taylor à l’écran c’est dans le film de Mike Nichols Qui a peur de Virginia Woolf ? (Who’s Afraid of Virginia Woolf?) la reprise à l'écran de la pièce de théâtre éponyme d'Edward Albee sortie à Broadway, au Billy Rose Theater le 13 octobre 1962.
C’était en 1967, dans un cinéma de Tours. Je m’étais échoué dans cette ville sans âme pour une certaine Begoňia, une espagnole aux yeux de braise rencontrée au réveillon du Nouvel An. Il pleuvait des seaux, donc cinéma. Le choc absolu, George Richard Burton et Martha Elizabeth Taylor rentrant d’une soirée arrosée à la faculté où George enseigne et que dirige le père de Martha. Ils ont invité un couple de nouveaux venus à prendre un dernier verre. Mari et femme dans la vie – ils se marièrent même deux fois – entre Burton et Taylor, dans ce huis-clos, tout ce qu’un couple peut accumuler comme rancœur se déverse sans aucune retenue ou pudeur. Monstrueux ! Extraordinaire ! J’en sors bouleversé, chaviré par une Liz Taylor qui, pour interpréter le rôle de Martha, a pris quinze kilos et s’est vieilli de vingt ans. Que ma dulcinée du moment, elle, ressortisse de ce film totalement horrifiée eu l’avantage d’éteindre derechef un feu déjà bien mourant mais je lui étais au moins reconnaissant de m’avoir précipité dans les rets de deux monstres sacrés.
Comme la Liz Taylor de Qui a peur de Virginia Wolf ? valait absolument que je fisse Nantes-Tours-Nantes en 2 CV sous la pluie, celle qui vient de nous quitter valait que je lui consacre ce petit billet car, comme le raconte Peter Rainer, ancien président de la National Society of Film Critics aux Etats-Unis. «Elle avait cette présence de star fabuleuse, qui était aussi la cause et la conséquence de sa vie privée. C’était indissociable.» Il ajoutait «Elizabeth Taylor a été lancée par le cinéma, mais devint plus grande que le cinéma»