J’aborde cette question avec beaucoup de détachement pour deux raisons essentielles : tout d’abord je me considère, et ce n’est pas une coquetterie, comme un dégustateur-imposteur, donc je ne pratique pas la critique vinique ; ensuite venant de la coulisse politique, qui n’est pas plus que d’autres mondes peuplée que de prévaricateurs, je ne m’associerai jamais au slogan « tous pourris » qui permet aux démagogues de toute couleur de baver sur la démocratie.
Reste le fond de ma question qui peut s’exprimer d’une autre manière : un critique, où qu’il écrive ou s’exprime, n’est-il pas par construction quelqu’un qui s’arroge un pouvoir ? En effet, s’autoproclamer c’est « décider soi-même d'exercer une fonction, de s'attribuer un statut. » Bien sûr, dans le système Gutenberg puis celui des médias dit audiovisuels, pour s’exprimer le critique avait besoin d’un support et il devait se soumettre au choix : d’un éditeur, d’un rédacteur en chef ou d’un patron de chaîne. Pour autant, lui demandait-on, hormis d’écrire ou de s’exprimer dans un français et un style correct, de présenter l’attestation de ses états de service.
Alors le professionnalisme ferait-il la différence ?
Voir la chronique du grand Lalau
Robert Parker n'aime guère les blogueurs
« Le grand Bob s'y montre assez expéditif. A croire qu'il avait une casserole sur le feu ou des cookies dans le four. »
La réponse de Robert Parker tient presque de la parabole:
« Il y a deux écoles dans la critique ou la littérature vineuse:
1) Le professionnel payé qui est habituellement indépendant et bien formé;
2° Les blogueurs qui offrent leur avis gratuitement, et qui, pour la plupart, manquent de sérieux et de professionnalisme »
Lire la réponse de Lalau.(Hervé rassure-toi Bob lit mon blog comme Michel Rolland...)
Pour moi qui ne suis qu’un simple lecteur ou auditeur ce qui peut m’inciter à me référer à un critique pour choisir un film ou un livre ou une pièce de théâtre (pour le vin j’avoue que je ne m’y réfère pas) c’est que je lui accorde une forme de crédibilité, d’indépendance. L’important pour le média qui l’emploie c’est que le dit critique attire sur son nom un lectorat qui se reconnaisse en lui. En effet, la critique est toujours subjective puisqu’elle est le fait d’un individu qui a une histoire, un système de valeurs, des références, des à priori, des aversions, ce n’est qu’un homme. Pour la critique de bouche, cuisine et vin, la problématique se complique car ceux qui la pratique on beaucoup de mal à l’exprimer, surtout pour le vin car il n’existe pas de vocabulaire spécifique, ou si peu. De plus la discipline mobilise plusieurs sens : la vue (l’étiquette aussi), l’odorat, et le goût. Bien évidemment, le système dit de notation, qui en soit n’est pas absurde, ne vaut que pour le seul notateur. Il est relatif, purement systémique : Parker, B&D, RVF, Duponnesque ou la gente anglo-saxonne qui elle aussi est dotée de ses à priori et parfois d’une suffisance qui vaut la française.
Reste ces foutus petits cons de blogueurs qui écrivent tout et n’importe quoi, sans contrôle éditorial, des autoproclamés quoi ! Avant de repasser le plat d’une chronique traitant de ce sujet permettez-moi deux remarques préalables :
- Quel pouvoir prescriptif ont ces autoproclamés ?
- Combien survivront à l’usure du temps ?
Même si les termes pourront vous paraître grandiloquents nous assistons, comme pour l’économie mondiale, à une tectonique des plaques dont nous avons bien du mal à mesurer les effets. L’Internet, les blogueurs, les réseaux sociaux existent et faire comme si tout cela n'était que de la roupie de sansonnets relève de la cécité et d'une forme de bêtise. Sans remuer le couteau dans la plaie j’ai le souvenir récent des railleries de certains sur les prémices du printemps arabe en Tunisie… Nous sommes face à un nouvel outil de communication qui dérange, irrite, exaspère mais pour autant, sans lui conférer une quelconque supériorité, le considérer comme un joujou pour jeunes cons agités ou pour vieux cons en déshérence est une grossière erreur.
J’ai commis sur ce sujet plusieurs chroniques. Je vous en donne les liens.
« L’Internet pousse les murs » de l’espace public tout «en enlevant le plancher » les gate-keepers chargés de surveiller la frontière fulminent link
Les afterwork du taulier « Le temps des médias de masse est révolu. Celui du lien est en train de naître. » link
« Ne pas confondre un passe-plat avec un maître-queue… » dixit François Morel à propos de Claire Chazal : qu’en est-il en notre petit monde du vin ?link
Pour ceux qui voudraient aller à l’essentiel
« Internet n’est pas un média comme les autres. Beaucoup voudraient l’inscrire dans une chronologie qui commencerait avec la presse et se poursuivrait avec la radio et la télévision. Internet serait en quelque sorte l’aboutissement naturel de l’évolution des médias de masse, puisqu’il parvient à associer le texte, le son et l’image dans le format numérique du multimédia. Mais cette conception, qui fait s’enchaîner les grands supports d’information, est trop simple. Elle transpose paresseusement vers Internet des modèles qui sont forgés dans le monde des médias traditionnels : une pratique du contrôle éditorial, une économie de la rareté, une conception passive du public. Il suffirait de dompter ce jeune média rebelle pour que se perpétuent les modèles économique, culturel et politique qui se sont établis tout au long du XXe siècle. »
« Le web ne se laisse pas apprivoiser facilement. Il pose des défis redoutables aux producteurs d’informations, aux détenteurs de la propriété intellectuelle, aux politiques de communication des entreprises, des institutions et des partis. » Le vieux modèle séparant l’espace de sociabilité (les échanges interpersonnels) et l’espace public voit ses frontières devenir poreuses. Autrefois « entre les deux, des « gardiens », les bien-nommés gate-keepers, éditeurs ou journalistes, se sont chargés de surveiller la frontière. C’est sur cette séparation que se sont édifiées les principales oppositions qui structurent l’espace public : la conversation et l’information, les individus et les citoyens, le privé et le public, le marché et la politique, etc. Ce découpage, renforcé tout au long du XXe siècle, est au fondement d’une économie de la représentation qui place d’un côté l’espace des interactions entre les individus, de l’autre les univers de plus en plus professionnalisés et clos sur eux-mêmes de la politique, de l’information et des industries culturelles. »
Brouillage, effacement de la ligne de démarcation, « Internet élargit l’espace public. Il ouvre grand les portes d’un univers qui s’était enfermé dans un dialogue entre des journalistes encartés et des professionnels de la politique. »
Danger crient les initiés « agressivité des débats, fausseté des informations, diffusion de rumeurs, rétrécissement de l’espace privé, pillage des œuvres protégées, exhibition narcissique... »
Chance proclament les révolutionnaires du Net ce serait la disparition de l’espace public et la prise du pouvoir des internautes »
On se calme ! « Il est cependant hasardeux de tenir des positions aussi tranchées, dans la mesure où Internet instaure moins une compétition entre professionnels et amateurs qu’un système d’interdépendances agissant sur les uns et les autres. »
Comme l’écrit Dominique Cardon dans son petit livre rouge «La démocratie Internet» promesses et limites au Seuil La République des idées « Internet pousse les murs tout en enlevant le plancher. Il ôte d’abord le privilège d’accès à la publication dont bénéficiaient naguère les professionnels. L’apparition des amateurs sur la scène publique étend considérablement le périmètre du débat démocratique. La parole publique ne reste plus sans réponse, dans une posture d’autorité imposant à son public silence et déférence. Elle peut désormais être commentée, critiquée, raillée, transformée par un grand nombre de personnes autrefois inaptes ou ignorantes. Mais Internet aspire aussi dans l’espace public les expressions personnelles des internautes. Le web s’empare de conversations qui n’étaient pas reconnues comme « publiques », en profitant des nouvelles pratiques d’exposition de soi des individus. »
Sur son blog Hervé Lalau, un peu excédé par cette profusion, cette agitation, cette obsession du flux, à juste titre craignait un raz-de-marée du moins disant. Ce n’est pas une crainte injustifiée car l’autoédition ouvre la porte au déferlement du n’importe quoi et au triomphe du plus petit commun dénominateur. L’histoire de la bande-FM libérée en 1981 en est un bon exemple : les grands gagnants de celle-ci furent les diffuseurs en boucle de musique-soupe : NRJ tout particulièrement. Cependant le contre-exemple c’est la chaîne de TV ARTE née sous les lazzis au temps de Jack Lang qui, sur une ligne éditoriale de qualité, a su s’imposer dans le paysage des généralistes.
L’intérêt du Net c’est que nos diffuseurs vivent sur un modèle économique qui, pour l’heure, ne nous impose aucune ligne éditoriale. Alors à nous de faire en sorte de mettre dans les tuyaux des contenus de qualité qui petit à petit gagneront une audience fidèle pratiquant le bouche à oreille. Moi qui fais partie de la génération des baby-boomers, je considère le blog comme mon devoir de transmission. Je l’assume au jour le jour, sans souci de reconnaissance mais pour le plaisir de créer ou de recréer des liens sans le souci des gate-keepers chargés de surveiller la frontière de l’info d’origine contrôlée. Reste aux journalistes professionnels à retrouver dans leur rédaction le sens profond de leur métier et notre vie en commun fera progresser le débat démocratique... »