Depuis que mon statut bien usé de «grand serviteur de l’État» s’est enrichi du titre envié de « long nez et de gorge profonde » non patenté, je me retrouve invité et propulsé en des enceintes emplies de la fine fleur de l’aristocratie du bouchon et du flacon. Ma longue expérience des alcôves ministérielles me permet d’afficher, en des lieux de haute tradition, la sérénité d’un vieux routier mais je ne puis m’empêcher de penser « S’ils savaient ! Ils me feraient subir le sort des nobles de l’Ancien Régime au temps des Grands Jours : ils me décapiteraient en effigie pour imposture.
Les Grands Jours ça fleure bon l’Ancien Régime puisque de source sûre - merci professeur Norbert - ils furent créés au Moyen Âge par les comtes de Champagne avant d’être récupérés par le Roi, après la Fronde, pour mettre au pas la noblesse. Tribunaux d’exception, présidés par un Commissaire du Roi, composés de magistrats étrangers à la Province en cause, forme d’assises extraordinaire, ils jugeaient en premier et dernier ressort d’affaires civiles et criminelles. Comme c’était du dernier chic, certains nobles obtenaient du roi de tenir les Grand Jours dans leur apanage. L’ordre valait bien quelques têtes dans un panier (on décapitait en ces temps là).
Des Grands Jours, il y en eut partout, à Bordeaux mais aussi à Beaune en Bourgogne, mais les plus célèbres sont ceux d’Auvergne où le procureur général Denis Talon proclamait que ces assises permettaient de « tirer les peuples de l’oppression des puissants » Cependant beaucoup n’étaient décapités qu’en effigie, c’est-à-dire ne subissait la peine que fictivement, un peu comme l’ont fait par la suite certains manifestants brûlants des mannequins représentants un homme politique honni, ainsi le comte d’Espinchal seigneur de Massiac fut exécuté en effigie mais son château fut confisqué et rasé.
Vous voilà donc rassurés sur mon funeste sort et sachez que dans ma vie je n’ai eu droit qu’à des « Non à Cap 2010 » badigeonné sur des cuves de caves coopératives par des « bestiaux » à qui de grands féodaux avaient fourni la peinture blanche et la nature du slogan. Bref, le jeudi 25 mars au petit matin frisquet je m’embarquais vaillamment dans un wagon du TGV national destination Dijon. En ce long tube métallique je fus privé de ma boisson matinale favorite : le café pour cause de trajet trop court. En la capitale du nouveau duc de Bourgogne fraîchement adoubé par de fidèles électeurs (même le célèbre JP Soisson n’a pu réussir la performance de François de se faire confirmer dans son mandat) je sautais dans un flamboyant TER direction Nuits Saint Georges. Les gares de la ligne fleurent déjà bon la splendeur du vignoble : Vougeot, Beaune, Meursault...
Débarqué au petit jour à la gare de Nuits, qui semblait posée au milieu de nulle part, j’entreprenais de me rendre pédestrement au 5 quai Dumorey muni de ma « petite boussole moderne » : le GPS de mon Iphone. En effet, pour « expier » mes fautes d'occupant intempestif des ors de la République chers lecteurs (voir chronique publiée le 4 août 2009 : La nuit du 4 août : abolition des privilèges, sauf le mien http://www.berthomeau.com/article-21109272.html ) j'avais décidé que mon Grand Jour de Bourgogne serait « carbon neutral » donc pédestre. J’avoue que je fus à deux doigts de me perdre sur le triste chemin de la gare mais, bandant mon courage, je parvins jusqu’au quai Dumorey où, à peine entré dans l’enceinte de la maison Jean-Claude Boisset, je croisais Jean-Claude Boisset que je saluais. Nous sommes de longue connaissance avec Jean-Claude et ce retour Quai Dumorey prenait pour moi des allures de pèlerinage puisque j’y avais entamé ma quête d’idées, auprès du club des 10, pour tenter de pondre ce qui devint mon rapport éponyme qui me priva de prénom.
Plongée dans la cave voutée pour une matinale des Maisons et Domaines de JCB : Louis Bouillot (le crémant), Domaine de la Vougeray, Jean-Claude Boisset (avec l’ami Grégory), Ropiteau frères (Meursault), J.Moreau&fils (Chablis), Bouchard Aîné&fils (Beaune), Antonin Rodet (Mercurey) pour la Bourgogne et Mommessin et Hospices de Beaujeu pour le Beaujolais. Je commence par ce dernier car, comme vous en vous doutez, il se trouve au cœur de mes préoccupations de l’opération Beaujolais « Grand Corps Malade ». Mon tour de chauffe se poursuit et, tel une égraineuse je remplis mon petit carnet de notes. Vous aurez droit, dans une prochaine chronique, à la relation de cette dégustation impeccablement organisée. À ce propos, permettez-moi de dire à ceux de mes confrères qui, par « idéologie », ne mettent jamais les pieds en ces lieux pour eux « infréquentables », qu’ils ont tort. Restreindre son champ vision par des œillères conduit à l’ignorance et au déni de réalité.
Amen !
Retour pédestre à la gare puis saut de puce jusqu’à Beaune où le passage souterrain de la gare est digne d’un collecteur d’égout mal entretenu. Je gagnais à pied le long des remparts l’Hôtel de la Poste où je déposais mon balluchon, puis soleil aidant petite flanerie dans le centre de Beaune où je m’offrais le luxe d’un rafraichissement en terrasse. À l’heure dite, ou presque, la navette me happait pour me transporter jusqu’au Château du Clos Vougeot. J’aime les voyages en autocar, surtout dans les cars modernes, car on y est haut perché : l’angle de vision s’ouvre et c’est un bonheur. Nous arrivions aux abords de l’enceinte sacrée mais notre bus fut bloqué par des stationnements « à la française » : que la plaie automobile est parfois à l'image de notre vieux pays : incivique, alors face au vent, et dieu sait qu’il cinglait une bise glaciale (j’y récolterai le lendemain un orgelet) nous gagniions le cellier Cistercien pour la dégustation de Grands Crus. Ici tout est Grand, y compris le Président Louis-Fabrice Latour qui m’accueille avec chaleur. En effet, je suis l’invité, en ce lieu prestigieux, de l’Union des Maisons de Vins de Bourgogne.
Après quelques serrages de louche je me collais donc, avec systématisme et professionnalisme, au 20+20 soit 20 Grands Crus Blancs et 20 Grands Crus Rouges. L’angoisse me rongeait, allais-je tenir le choc ? Confronté à la vérité du Grand Cru allais-je pouvoir coucher sur mon petit carnet fort élégant autre chose que des banalités d’un « usurpateur de notoriété ». La magie du lieu me dopait. J’enchaînais me faufilant entre certains « encombrants » qui, avec une certaine suffisance, se permettaient de stationner ou de bavasser au pied des saintes tables. Service diligent et impeccable, un vrai bonheur que d’aller et de venir : le 12 monsieur, merci, puis le rituel dégustatif répétitif, honnêtement : je jouissais ! Jouissance spirituelle empreinte d’une réelle élévation d’esprit qui vous fait pénétrer en des espaces insoupçonnés.
Tiens les gars de la DGDDI ont des têtes de gars de la DGDDI. Le Préfet, lui, a une tête qui me revient, oui Christian de Lavernée qui fut directeur au 78 rue de Varenne. Irruption du nouveau connétable de Bourgogne, l’ami François Patriat, les félicitations tombent drues sur son éternel sourire, à quelques pas de lui son concurrent défait, François Sauvadet, fait bonne figure. Je m’attaquais alors à la lignée des 20 Grands Rouges et ma quête de religiosité en fut troublée mais j’allais, tel un fantassin en bandes molletières, vaillamment au terme de mon labeur extatique.
Vous aurez droit aux secrets de mon petit carnet de dégustation lorsque les poules auront des dents. Je plaisante bien sûr mais il me faudra peut-être le Nihil Obstat de Patrick Essa de www.degustateur.com pour commettre l’irréparable. Patience donc car, après l’apéritif bourguignon, nous gagnâmes le salon d’honneur, à l’étage, où un dîner de prestige nous fut servi. Comme je ne vous cache rien, en ma future et hypothétique chronique de Clos Vougeot, je vous transcrirai le menu solide et liquide de ce souper fort agréable. Discours de bienvenue de Louis-Fabrice Latour puis intervention bilingue d’Aubert de Vilaine, précise et passionnée avec la retenue qui sied à ce grand monsieur pour mobiliser les énergies derrière la candidature au Patrimoine Mondial de l’UNESCO « les climats du vignoble de Bourgogne » www.climats-bourgogne.com (vous pouvez devenir acteur de cette candidature en rejoignant l’association ad hoc).
Applaudissements nourris !
Nous dînons et nous conversons. Louis-Fabrice Latour, notre hôte, nous délivre, en une allocution très « négoce bourguignon », tout ce qu’il faut savoir sur les tendances et les nuances de la Grande Bourgogne en 2 langues aussi.
Applaudissements !
Nous dînons et nous conversons, et c’est un Louis-Régis Affre, ému, qui monte au micro pour évoquer les deux grandes figures du négoce bourguignon : Georges Faiveley et Louis Latour qui ont marqué sa carrière de « grand serviteur du négoce des grands vins français ».
Bravo !
La belle soirée tire à sa fin et, avant que nous remontions dans notre bus, l’Union des Maisons de Bourgogne, nous offraient une écharpe noire siglée en lettres d’or « Grandes Maisons/Grands Crus ». Merci cher Louis-Fabrice, de vous préoccuper de la protection de mon cou « d’imposteur en beau costume Victoire » qui est si fragile, si passible d’être la proie d’une « exécution en effigie » pour avoir osé participer à ces « Grands Jours »... qui par bonheur étaient ceux d'une Bourgogne hospitalière.
à bientôt sur mes lignes... pour le meilleur et le pire... la transcription de mes petits carnets...