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2 novembre 2014 7 02 /11 /novembre /2014 00:09

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Le texte qui suit me touche au cœur car il est le miroir qui me renvoie les images de ma jeunesse lorsque le dimanche j’accompagnais mon père, entrepreneur de travaux agricoles et de battages, dans les petites borderies de mon bocage vendéen crotté et arriéré pour voir ses clients.


Pour bien comprendre le texte d’Aurélien Bellanger tiré de son livre paru chez Gallimard « L’Aménagement du Territoire » vous trouverez toutes les explications à la suite du texte ci-dessous :


 aménagement

 

« André Taulpin (2) se souvenait avec nostalgie des travaux de l’autoroute. Il avait fallu combattre, comme au temps des guerres chouannes, pour chaque parcelle de terre, il avait fallu aller négocier, pendant des heures, avec de vieux garçons irascibles qui défendaient leurs exploitations minuscules, retranchés dans la pièce unique des fermes où ils étaient nés, comme leur père et leur grand-père avant eu. André Taulpin leur avait souvent rendu visite avec des enveloppes  d’argent liquide, pour les indemniser de la perte d’un poulailler, d’une dépendance en ruine ou d’une prairie caillouteuse.


Ils parlaient un mélange de français et de patois difficilement compréhensible. Un chien enchaîné gardait généralement la ferme, défrichant depuis des années le même cercle de terre. Ils l’appelaient « Monsieur le sénateur » et le recevaient avec certains égards. Il y avait une gazinière et un  frigo, mais ni le téléphone ni la télévision. Le sol était en terre battue. On lui offrait un verre de gnôle ou de cidre, puis la conversation commençait, difficile et tortueuse, mais au final assez plaisante. Cela lui avait rappelé son enfance : la manière dont on attribuait aux hommes le titre de « gars » – « le gars Bertrand », « le gars Jean » – et aux femmes le titre de « mère », la  façon de ponctuer toutes les phases des « heula » longs et idiosyncrasiques, le respect instinctif pour les autorités politiques lointaines, doublé de méfiance et de crainte – dialectique assez semblable à celle qu’on retrouvait chez les animaux  d’élevage – la certitude au fond qu’à Paris tout le monde se trompait, mais que ceux qui exerçaient le pouvoir méritaient leur place – on était encore dans une société d’ordre, plutôt que dans une société  de classes.


Il avait fallu tout négocier, mètre après mètre, dans les endroits les plus reculés du monde – les fermes, qui se partageaient souvent une voie d’accès unique, étaient représentées, sur les panneaux blancs qui signalaient leur présence aux intersections, par des graphes simplifiés qui se terminaient en cul-de-sac. La route, dont la partie centrale se recouvrait progressivement d’herbe, finissait soudain dans une cour de ferme. On entrait alors dans le domaine dangereux de la propriété privée.


Les armes de chasse étaient nombreuses, chargées et accessibles.


La gendarmerie elle-même abordait certaines affaires de mort accidentelle avec une grande prudence.


Mais en trente ans, Argel (3) avait perdu les neuf dixièmes de ses agriculteurs. Ceux qui restaient ne défendaient plus leur terre, mais les revenus de celle-ci »


(1) Question :Vous avez situé le roman en Mayenne, d’où est originaire votre famille. C’est selon vous une région sans particularités. Une sorte d’espace intermédiaire entre la région parisienne et la Bretagne.


 

Aurélien Bellanger : C’étaient les marches de Bretagne. C’est un territoire qu’on définit par des référents extérieurs. Il est à peu près connu par les gens qui vont en vacances en Bretagne. C’est un département qu’on traverse en 40 minutes par l’autoroute, mais où on s’arrête rarement. En géographie, on appelle ça une interface. Un coin qui a perdu tout intérêt géostratégique. J’y allais en vacances. Un côté de ma famille travaillait dans le négoce en grain, l’autre était exploitant agricole. J’assistais aux récoltes, je jouais dans le blé, les silos. Le marché du blé n’a aucun secret pour moi.


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(2)  Question : Au centre du livre, il y a ce grand groupe industriel de BTP, le groupe Taulpin, fondé par André Taulpin. On ne dévoile rien, mais vous en faites une entité inquiétante.


 

Aurélien Bellanger : C’est assez fascinant de penser que de tels géants sont l’émanation d’une personne. La simple idée de posséder personnellement une telle entreprise est vertigineuse. Prenez une holding : qu’est-ce que ça veut dire, de posséder 51% d’une entité qui possède 51% d’une autre entité? Et d’en conclure qu’on a des droits sur l’existence de cette dernière entité?


 

Les entreprises sont des objets romanesques intéressants, ni vraiment concrets, ni vraiment immatériels. Beaucoup de romans parlent d’amour, c’est-à-dire d’un objet relationnel un peu vague et indistinct qui lie deux, parfois trois personnes. Une multinationale, c’est la même chose, mais avec 50.000 personnes.


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Pour Taulpin, je me suis un peu inspiré de Francis Bouygues. J’ai piqué à Bouygues l’idée d’une sorte de franc-maçonnerie interne au groupe. J’ai repris le siège, ce palais totalement immonde et délirant à Guyancourt, qui ressemble à un vaisseau spatial avec des ailes en verre. J’ai même découvert après avoir terminé le livre que Bouygues avait eu des liens avec Jacques Foccart, comme mon personnage, ce que j’ignorais en écrivant le livre.


 

(3) Aurélien Bellanger :Depuis une dizaine d’années, il était question que la LGV passe dans mon village, et il y avait une chance sur deux qu’elle traverse le champ de mes grands-parents. Par la force des choses, j’ai suivi de près les débats et l’avancée des travaux. Par ailleurs, je voulais depuis longtemps écrire un roman géographique. Cette histoire permettait de parler des grands projets industriel, du territoire français.

 

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commentaires

C
<br /> Nous vivons dans le Montpelliérain, la mise en place de la LGV de contournement de Nîmes -Montpellier et le doublement de l'autoroute A9, c'est actuellement le plus grand chantier TP de France,<br /> il faut y ajouter la croissance démésurée de la construction immobilière provoquée par l'afflux de populations qui sont attirées par le soleil , le vie culturelle intense de la ville, et quelques<br /> emplois qui se créent. J'ai suivi des spéculations dues à l'abandon de caves coopératives qui n'ont plus d'approvisionnement. certains présidents de caves coop encore en vie s'ingénient<br /> à prendre le pouvoir de ces caves mourantes, et les absorbent par une simple délibération en acceptant la prise en charge des frais de gestion. Une fois légalement absorbée, ils vendant<br /> l'emplacement à un promoteur. Je connais un certain président qui en est à sa 3° opération du genre. Un des villages ayant subi une opération de ce genre, absotion de sa cave coopérative et<br /> séduction d'une maire igorante de ce village qui a racheté la cave trés cher payée et a mis en faillite la commune, un ancie du village me disait on a payé 2 fois ce bâtiement une première fois<br /> lorsque les vignerons du village l'ont cpnstruite et maintenant la commune l'a rachetée avec les impôts souvent des mêmes famillesLe nouveau maire, a transformé le bâtiment en partie en logements<br /> sociaux et en partie en local d'animation, c'est un petit file d'un ancien maire qui avait connu la construction de la cave, de plus il est eonologue fils d'un vigneron connu<br />
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P
<br /> Ce problème de la langue est fascinant.On oublie qu'avant la Grande Guerre, malgré l'édit de Villers-Cotterêts de 1539 et la Révolution de 1789, les patois étaient les langues les plus usitées au<br /> quotidien ( et le latin pour les dimanches et fêtes carillonées ) Le tout aussi éclectique que notre Taulier ( assez<br /> bien vivant le jour des morts pour nous fournir 2 chroniques)Philippe Meyer, nous fit lecture ,sur Une des Radios nationnales, d'une lettre au préfet de police où de bons citoyens se plagnaient<br /> et demandaient que l'on mette fin à l'impunité de gens qui ,sous couvert qu'ils ne parlaient pas francais, ne respectaient pas lois, us et coutumes qu'lls ne comprenaient pas et qu'aucun<br /> dialogue, de ce fait ne semblait possible avec eux et qu'il fallait bien renvoyer chez eux.Le chroniqueur évoquant ces reproches en phase avec l'actualité récente, posait la question de l'époque<br /> et de la localisation de cette missive qui s'avéra être parisienne, datait de la fin du lXX éme siécle et concernait ces " étrangers qui ne sont même pas d'ici " les bretons ,qui montaient à<br /> Paris pour essayer de trouver du travail !<br /> <br /> <br /> En alsace le problème de la langue est un vaste problème qui reste d'actualité.Immédiatement après 1945 il était défendu de parler alsacien à l'école - il fallait éradiquer cette langue qui<br /> faisait de nous des bôches pour les parigots. En sixième, néanmoins pour les cours d'allemand on séparait les " allemands fort " des " allemands faibles" c'est à dire ceux qui parlaient alsacien<br /> chez eux de ceux "purs" francophone.On n'imaginait pas l'apport et la richesse d'une seconde langues " naturelle " Et merde au puriste l'essentiel étant de se faire comprendre, ce qui se fait<br /> naturellement entre habitants de chacune des rives du Rhin qui nous reli<br /> <br /> <br /> Quant à Bouygues...! Quant à Bouygues..., c'est le moment de rappeler ,alors que vient de disparaitre un autre " Capitaine ( chevalier ?) d'industrie " de même ampleur et de même acabit - le<br /> pittoresque de Margerie - quel prédateur il fut.Le pont de l'Isle de Ré construit malgré les recours devant le TA, et pour avoir critiqué cette façon de faire,l'éviction de Michel Polac de TF1<br /> propriété de Bouygues qui avait bien compris quel outil représentait la première chaine de télé de France face au pouvoir politique.<br />
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