Il est de bon ton pour dire toute la chance que nous avons eu de les vivre de repeindre les années 60 en rose bonbon, temps d’insouciance et de légèreté lest’s twiwt again, houla hoop, blousons dorés et yéyés décérébrés mais elles furent surtout pour beaucoup de nous un temps de bascule, de rupture, où l’engagement politique s’assimilait à un combat. Années dures, violentes : le Vietnam, qui déboucheront sur celles qualifiées de plomb avec l’Italie des Brigades Rouges.
Alors comme j’ai un esprit un peu folâtre je me suis saisi d’un nom : fanon* qui dans ma jeunesse faisait parti du vocabulaire de mon pépé Louis éleveur et toucheur de bœufs blancs.
* fanon, s. m. 1. Peau pendante que les taureaux, les bœufs ont sous la gorge. 2. Ornithologique. La pièce de peau charnue, rouge et nue, qui pend sous la gorge de certains oiseaux, notamment du dindon. 3. Terme de vétérinaire. Touffe de poils à la partie postérieure du boulet et au pli de la peau du bœuf et du mouton, située à la partie inférieure du cou. Le fanon cache l’ergot du cheval.
Et puis dans la cascade de mes souvenirs revint Fanon Maurice un chanteur français contemporain de Brel et Ferrat dont j’ai acheté le 33 tours, la galette, son seul grand succès, en 1963 : L’écharpe. Chanson qui fut reprise par Pia Colombo son ex-femme, Cora Vaucaire, puis par le yéyé Hervé Vilard et plus récemment par la chanteuse française Robert sur son album Princesse de rien (1997).
Et puis le révolutionnaire en peau de lapin que je fus en 68 ne pouvait ensuite que vous mettre sous le nez Fanon Frantz : l'un des fondateurs du courant de pensée tiers-mondiste avec son livre emblématique Les Damnés de la Terre, publié aux Éditions Maspero en 1961, préfacé par Jean-Paul Sartre.
Cet homme avait tout pour déplaire à la société rabougrie des années 60 : il était noir, médecin, philosophe : élève de Maurice Merleau-Ponty, psychiatre, penseur très engagé, et surtout compagnon de route du FLN qu’il rejoint à Tunis après son expulsion en 1957 d’Algérie où il était médecin-chef d'une division de l'hôpital psychiatrique de Blida-Joinville. Pensez-donc un homme qui, en 1943, avait rejoint les Forces françaises libres puis s'était engagé dans l'armée régulière après le ralliement des Antilles françaises au général de Gaulle, un homme qui avait combattu avec l'armée française du général De Lattre de Tassigny et qui avait blessé dans les Vosges, rejoignait les fellaghas. Atteint d'une leucémie, il se retira à Washington pour écrire Les Damnés de la Terre. Il décèdera quelques mois avant l'indépendance algérienne le 6 décembre 1961 à l'âge de 36 ans. Il repose au cimetière des «Chouhadas» (cimetière des martyrs de la guerre) près de la frontière algéro-tunisienne, dans la commune d'Aïn Kerma (wilaya d'El-Tarf).
Si vous avez eu le courage de me suivre jusqu’ici : merci et bon dimanche.