Lorsqu’Yves-Marie Le Bourdonnec, le boucher-bohême d’Asnières, déclare que la viande anglaise est la meilleure du monde beaucoup de français n’en croient pas leurs oreilles : la réputation de la table anglaise est chez nous exécrable. Le mot de Talleyrand en atteste « En France, nous avons trois cents sauces et trois religions. En Angleterre, ils ont trois sauces mais trois cents religions. » et Bernard Shaw de renchérir « Si les Anglais peuvent survivre à leur cuisine, ils peuvent survivre à tout. » L'eau étant l'élément fondamental de la cuisine anglaise les bons produits anglais, oui il y en a, semblent voués quoiqu’il arrive au massacre. C’est l’opinion d’Alexander Watt correspondant gastronomique du Daly Telegraph à Paris « Mais qu’est-ce que la ménagère anglaise en fait de ses magnifiques légumes ? Bien trop souvent elle les massacre au lieu d’en tirer « la meilleure cuisine du monde ».
Photographie © Martine Murat
Certes notre homme est écossais. Certes notre homme remet lady Dorothy Fitzgerald le nez dans ses affreuses casseroles en aluminium. Certes notre homme écrit dans le numéro de mars 1957 de Cuisine et Vins de France. Mais sa réponse à la dite lady qui avait déclaré dans le Daily Mail que « the french are overrated as far as cooking and marketing go. Given the goods, the Englishwomen can produce the finest food in the world. » (les français sont surestimés tant pour la question de la cuisine que pour le marché. Qu’on lui donne les vrais vivres et l’Anglaise est bien capable de faire la meilleure cuisine du monde.) est très intéressante car il remet les pendules à l’heure.
Sans vouloir vexer les défenseurs de l’exploitation familiale qui, qu’on le veuille ou non, est la mère du productivisme du Grand d’Ouest : normal peu d’ha donc beaucoup par ha, l’Angleterre est un pays de grands propriétaires fonciers qui adorent regarder pousser l’herbe – j’exagère à peine – et le Prince Charles peut se permettre d’être « organic », de vendre ses confitures bio et à sa mother couronnée d’être l’une des plus primée par l’UE.
Que rétorque notre perfide écossais à la toute aussi perfide anglaise !
« Lui donner des vrais vivres ! Même s’il n’existe guère en Angleterre des marchés de l’ordre de ceux dont je viens de parler (les Halles, la marché Buci et Saint-Germain) , il existe bien les vivres essentiels pour faire une excellente cuisine. La meilleure qualité de viande de bœuf au monde vient de l’Écosse. Et en Écosse aussi se trouvent des poissons que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Notre saumon est incomparable, qu’il soit simplement grillé, poché au court-bouillon ou fumé. (Avant d’aller plus loin, je dois dire que moi-même je suis Écossais !) Et l’art des Écossais à fumer les poissons s’applique aussi aux vrais Kippers, aux truites et au Smoked Haddock d’Aberdeen. Permettez-moi de vous affirmer que le Haddock dit fumé, que l’on trouve dans la plupart des marchés de Paris, n’est pas véritablement fumé ; il est teinté et n’a pas du tout le goût délicat du Haddock fumé d’Écosse, qui est en vente toutes les deux semaines, aux Halles.
Parmi les autres produits de toute première qualité que l’on trouve en Angleterre, comptons la fameuse Sole de Douvres et le Whitebait (Friture de Blanchaille). Puis il y a le fameux Mouton du Pays de Galles et, d’Irlande vient le célèbre Irish Stew. N’oublions pas que le plat national d’Écosse est le Haggis. De tous les coins de la Grande-Bretagne vient une quantité d’excellentes choses pour faire une cuisine magnifique : le jambon d’York, le Cochon de lait, les Lamproies (le roi Henri 1er en a mangé une telle quantité qu’il en est mort), les Œufs de Pluviers, le fromage de Stilton etc. Et il y a autant de gibier qu’en France. Si nous n’avons pas les Ortolans nous avons, par contre, l’unique Grouse d’Écosse. »
Tout ça pour tirer une morale très simple à l’attention des Français, et surtout des producteurs français de denrées alimentaires, le made in France perd chaque jour que Dieu fait un peu plus de sa saveur. Pourquoi ? Tout bêtement parce que le maquis des signes dit de qualité obscurcit l’offre, la banalise, n’offre souvent qu’une garantie minimale, n’est composé que de minables lignes Maginot destinées à protéger les producteurs bien plus qu’à promouvoir des produits réellement originaux. L’exemple de la viande de bœuf, évoquée par Yves-Marie Le Bourdonnec, a force de démonstration : l’image de la bonne viande française se dissout au point de voir Mac Donald s’emparer d’un des fleurons des races françaises : le Charolais. Alors que nous possédons le plus beau troupeau à l’herbe – exception française – que nous n’engraissons pas nos animaux, comme le font les américains et les argentins, dans de monstrueux feed-lots, rien n’est fait pour que le consommateur s’y retrouve. Alors il fuit, se désintéresse du produit. Et pendant ce temps-là les grands amateurs, les journalistes gastronomiques, dans leur isolement hautain, tranchent : « il n’y a plus de bonne viande en France... » Grotesque ! Ridicule ! Reste que la part de responsabilité des producteurs dans ce déficit d’image est patente : choisir risquerait de mécontenter ceux qui n’ont qu’une vision syndicale de la question.
À l’heure où certains en France dépensent beaucoup d’énergie pour promouvoir la Table Française il est essentiel de ne pas mettre en exergue une approche uniquement élitiste des bons produits nécessaires à la confection d’un bon repas mais d’avoir le courage d’appeler un chat un chat : ça s’appelle une segmentation claire, lisible, qui ne se cache pas derrière des catégories juridiques : AOP, IGP, labels... mais qui annonce la couleur. Nous ne sommes plus ou pas seuls au monde, de très bons produits existent partout, l’origine France garde encore du crédit mais encore faut-il ne pas le gaspiller en agitant notre excellence élitiste tout en proposant au plus grand nombre des produits d’une banalité affligeante. Entre le moins cher du moins cher et les sommets il existe un espace à conquérir mais encore faut-il que nous sortions de nos ambigüités si commodes. David quand est-ce que nous partageons un beau Haggis ?
Ceci n'est pas un écossais interprétation libre d'un tableau de René Magritte