Ça commence bien voilà que maintenant pour faire l’intéressant le taulier nous fait le coup de la faute d’orthographe grossière comme un vulgaire émetteur de sms en rut. Détrompez-vous je n’ai pas coupé le p du coup je me suis contenté de reproduire une publicité qui se trimballe sur le cul des bus de notre belle capitale après le boulot j’bois toujours un cou ! C’est Canal+ qui nous affiche une belle tête de vampire aux canines bien dégoulinantes d’hémoglobine pour vanter ses films.
En dépit de son départ calamiteux cette chronique va traiter d’un sujet sérieux : le boire après le travail. Pas très nouveau me direz-vous, ça a toujours existé et c’est la raison d’être de certains bistrots. Ceux qui y allaient dépenser le peu d’argent du ménage, les ouvriers surtout, les classes dangereuses, le Coupeau de l’Assommoir de Zola, ont forgé l’image dont se servent encore les hygiénistes-prohibitionnistes. Plus récemment, le très médiatique Hervé Chabalier s’y enfilait sa dose de blanc mais lui c’était en début de journée. Bref, la chopine des joueurs de cartes ou de boules n’est plus qu’un lointain souvenir.
Et pourtant le paysage de la consommation hors foyer, comme le disent les gens du marketing, et plus particulièrement celle des bars et cafés se restructure, en France comme dans d’autres pays. Il se mondialise. Il s’adapte dans les villes à la sociologie des salariés. Mon sujet du jour colle donc bien avec le bandeau générique de mes chroniques de fin de journée : les afterwork des petites bêtes qui peuplent les bureaux de nos villes. Des filles et des garçons qui à l’heure de la sortie de leur open space, parce qu’ils n’ont pas de mouflets à aller chercher à la crèche, aiment à se retrouver autour d’un verre.
Bien plus que ce constat, qui prend maintenant l’allure d’une évidence, ce qui me préoccupe c’est que ceux qui détiennent le nerf de la guerre : le pognon, c’est-à-dire les Interprofessions chères au cœur des révoltés du CAVB, continuent, pour beaucoup d’entre elles, à le dépenser pour soit faire de la pub générique, sans grand effet sur le consommateur, soit à continuer d’associer le vin à la seule table. Dans le travail de prescription comme dans celui de l’image du vin le chantier de ces nouveaux modes de consommation est ouvert et il serait temps d’y consacrer des moyens.
En ces lieux on vend bien plus que du Vin, mais du service dans tous les sens du terme. Ce qui suppose un personnel formé capable de répondre aux questions des clients, des vins bien choisis qui ne soient pas maltraités (chaud, glacé, oxydé…), qui soient servis dans des verres ad hoc propres, des prix raisonnables et pourquoi pas des mises en avant bien menées (c’est-çà-dire non intrusives, non directives, attentives au questionnement des clients…)
Sans épuiser le sujet je vais mettre en avant deux constats : le premier concerne l’initiative du CIVB et ses apéros Vintages de Bordeaux et le second concerne la prolifération de lieux d’un nouveau type où le vin est, si je puis dire, le premier centre d’intérêt.
Pour la dernière des Apéros Vintages de Bordeaux, mardi dernier, je me suis rendu au Floréal, 73, rue du Faubourg du Temple, 75010 Paris. En sortant de la bouche du métro Goncourt je n’eus pas à chercher où se passait la petite sauterie le trottoir était noir de monde et une longue file d’attente s’était formée. Atmosphère joyeuse, détendue, sympathique, musique, papotage et des vins de toutes les couleurs. La grosse machine du CIVB, pour une fois, colle bien avec un mouvement de fond qui remet le vin sur les terrasses. Les fameux occasionnels, avec une proportion de filles quasi équivalente à celle des garçons, tirent le vin vers de nouveaux horizons.
De même, dans beaucoup de quartiers s’ouvrent, non pas des bars à vins traditionnels, mais des formats où se mêlent cave, manger sur le pouce de type tapas ou autres et surtout des vins au verre. Là aussi, comme au Siffleur de Ballons www.lesiffleurdeballonscom , l’ambiance est détendue, libre et conviviale. Nous sommes loin du bistrot classique car en ces lieux c’est le vin qui est à l’honneur et souvent rien que lui. Cette tendance n’est pas nouvelle, notre Pousson de Barcelone vous dirait mieux que moi que là-bas ça bouge depuis fort longtemps dans cette direction ludique et festive. Certains railleront en disant que ces lieux procèdent d’une forme de tribalisme puisque très souvent on n’y propose que des vins d’un certain type généralement étiquetés « nature ».
Moi peu m’importe les portes d’accès à ces nouveaux modes de consommation ce qui m’intéresse c’est la capacité du monde du vin à comprendre et à anticiper les phénomènes qui modifient les comportements. Et là je suis au regret de constater que l’on en reste à des approches tellement globales qu’elles négligent l’infiniment petit des initiatives de ceux qui collent vraiment aux demandes. Il ne faut chagriner personne, le gros de la troupe, ne pas mettre en avant les réussites porteuses de notoriété, d’image, s’en tenir à des messages formatés par des agences de com. qui ne brillent pas par leur originalité, des dossiers presse sur papier glacé que plus personne ne lit…
Au plus près, sortir des sentiers battus, coller au terrain pour mieux observer les infimes mouvements qui deviendront les lignes de force de la demande… Oser aller jeter ses filets dans l’Océan Bleu loin de la masse agglutinée qui ne fait que faire comme tout le monde. Plutôt que de se prendre le chou sur des sujets récurrents qui n’intéressent que nous, de nous jeter des anathèmes à la figure, soyons à l’écoute de nos consommateurs, de tous nos consommateurs. L’extension du domaine du vin est à ce prix… et ce prix, n’en déplaise aux diverses factions irréconciliables, est à notre portée, pas besoin de prélever des CVO pour le financer. Une simple dose de bonne volonté, d’écoute et de dialogue suffit. Mais même cela semble hors de portée du bal des ego ou de la surdité des gardiens du troupeau…