Bordeaux, paradis de mes anges
Olympe de mes Dieux, Bordeaux,
J’irai te chanter des louanges,
La besace homérique au dos...
Toujours aussi porté sur la poésie que sur le vin voilà donc notre bourguignon chevauchant Pégazou aux portes de Bordeaux. Il a pris tout son temps, la Charente, le Périgord, il affute sa plume « Et saint Jean me rappelait le principe fondamental : « Ne laeseris vinum ». Ne faites pas mal au vin ! Il fait style « je dirai donc que je suis entré dans le Bordelais sous un arc de triomphe : Montaigne était la première colonne, Saint-Émilion fut la seconde. Il n’y a pas de déshonneur à aimer le vin. Comme Villon, j’avouerai un jour que...
de la grosse bouteille...
J’ay maintes fois tiré l’aureille.
Dumay déclare qu’il n’est pas venu à Saint-Émilion chercher et lire les œuvres du poète local : Ausone dont Thibaudet dira qu’il fut, quoique latin, « le vrai doyen de la littérature française ». Ironique notre bourguignon note que l’opinion d’Ausone sur ses œuvres est empreinte d’une qualité rare à Bordeaux, la modestie, «Si l’on vendait cela aux enchères, Afranius n’en donnerait pas un zeste, ni Plaute un pépin. »
Invité par le syndicat d’initiative de Saint-Émilion, notre Replongeard redoute la fanfare et un triste déjeuner puisqu’on l’a prévenu qu’il aurait « monsieur le maire, monsieur le premier adjoint au maire, monsieur syndicat... » Il se trompait, à midi pétante « quand Pégazou vint se ranger sur la petite place de l’église d’où l’on a une si jolie vue sur la ville, récif doré accroché dans le vignoble vert. Ni musique ni pompiers, mais trois hôtes charmants qui m’installèrent près d’une fenêtre d’où j’avais vu sur les vignes. »
Parmi ses hôtes M.Capdemourlin, président du syndicat vinicole, et tous de parler « de Stendhal, des danseuses du Grand Théâtre de Bordeaux, de l’histoire de Saint-Émilion et, par accident, semblait-il, des vins du Bordelais... pas de Bordeaux. Dumay est un coquin, il met le pic de sa plume toujours au bon endroit. Et voilà que notre et ses hôtes de livrent aux plaisirs de l’histoire « Le vin, connu et célébré depuis si longtemps, est en réalité une création récente. Pendant des siècles, il fut but jeune et frais » Suivent deux belles pages sur lesquelles je reviendrai dans une prochaine chronique estivale.
« Nous avions commencé par un clos-Fourtet corsé, presque rugueux, un peu trop jeune. Adolescent, le vin de Saint-Émilion est dur, « casse gueule », dit-on dans le précis langage vigneron. L’âge lui donne cette souplesse de velours qui se révéla au cap-de-mourlin et devint pâaamante, comme eût dit une héroïne de Colette, avec le château-Ausone (gloire moins discutée que ses vers latins) dont la source appartient à l’un de mes hôtes, M.Dubois-Challon. »
Suis un morceau de choix dont nos présents littérateurs viniques devraient méditer «En silence, nous faisions tourner la liqueur rouge dans nos grands verres. Elle se creusait au centre, montait à ras-bord. Une rose charnue et souple semblait éclore entre nos doigts. Elle avit plus qu’un parfum, un fumet un peu sauvage qui plaît fort aux gens civilisés. Devant cette bouteille ténébreuse, nous eûmes un instant de recueillement qui dépassait le plaisir de boire. Une phrase liturgique de Mauriac me revenait à la mémoire. « Le soleil est réellement dans chaque grain de chaque grappe. » Pas seulement le soleil, mais un long passé plein de luttes, de déboires, d’erreurs, de succès, de travail et d’intelligence. Un chef d’œuvre comme le château-Ausone appartient à la race toute entière. À travers lui, on rend hommage à tous les Français et si tant de poètes vont puiser leur esprit dans les bouteilles, c’est que des millions de paysans taciturnes y déposèrent le leur. »
Dumay est grand et je suis sûr que l’ami François le Débonnaire, en goûtant ces lignes, sera proche de l’extase !
Après cette belle envolée Le Bourguignon s’interroge « Vais-je rouvrir la fameuse querelle des bordeaux et du bourgogne ? » Qu’il est révélateur ce pluriel et ce singulier... Sa réponse, comme toujours, est tout en finesse. « Un mien compatriote, président de quelque parlement, se refusait à rendre une sentence dans ce procès, ayant trop de plaisir, disait-il, à examiner les pièces. Outre mon incompétence, j’arguerai d’une sorte de malchance. Si j’ai tant apprécié le Saint-Émilion, c’est qu’il ne m’a point surpris. Il passe pour le bourgogne de Bordeaux. Vin mâle, il s’oppose aux vins femelles du Médoc. Et puisque, dès qu’il s’agit de verres et de bouteilles, nous avons toujours la ressource de faire donner la garde poétique, j’appellerai à mon secours le cher Monselet :
Au seul Bordeaux toujours fidèle
Buveur d’hier et d’aujourd’hui,
J’admets que pour plus d’un rebelle
L’éclair d’un autre vin ait lui.
À quoi bon fuir le parallèle
Avec un loyal ennemi ?
Disons que le Bordeaux c’est Elle
Et que le Bourgogne c’est Lui.