Selon une tradition bien établie sur ce lieu-dit tout est parti d’une improbable rencontre un samedi sous les auvents du marché Saint-Germain. Je baguenaudais le nez au vent lorsque je suis tombé nez à nez avec le Pape Noir. Pour être clair ce n’était, ni le supérieur général de la Compagnie de Jésus, ni le Pape du tableau « Figure with Meat » de Francis Bacon (1954) où la silhouette isolée du Pape, dominée par les deux pièces d’une carcasse de bœuf, traduit bien l’angoisse du temps. Le mien, solitaire, juché, presqu’oublié, nimbé d’une fine couche de poussière, semblait admettre qu’il était là pour l’éternité. Je le prenais entre mes mains puis l’asseyais en pleine lumière pour tirer de lui un cliché.*
En rester là eut été sacrilège je menai dans les jours qui suivirent mon enquête pour savoir qui se cachait sous la soutane immaculée. La vérité ne se cachait pas au fond d’un verre mais plutôt du côté du Verre Volé (1). Là vous allez me dire que je vous embrouille en vous menant dans le fin fond des Caves du Vatican comme l’aurait dit André Gide. Que nenni, mon enquête menait mes pas du côté du Palais des Papes avant de sauter le Rhône sur le Pont d’Avignon pour m’enfiler une flopée de routes départementales chères à feu Jean Yanne, faire le tour d’une tripotée de rond-point et échouer dans la cour de la coopé, celle d’Estézargues bien sûr !
Bref, ce fut aussi simple qu’un coup de fil à Jean-François Nicq.
L’histoire de ce Pape Noir qu’il m’a conté me plaît car elle commence par un gros bide pour se finir en cuvée « collector ».
- Acte 1 : des clients scandinaves de la cave, en 1999, désirent une cuvée étiquetée avec la reproduction d’un tableau d’un peintre de leur cru. Celui-ci représente un Pape Noir.
- Acte 2 : flop des 2304 bouteilles Pape Noir dans le Grand Nord !
- Acte 3 : la coopé qui a tiré 10 à 20 000 étiquettes les a sur les bras…
- Acte 4 : une joyeuse petite bande déboule une poignée d’année plus tard et trouve l’étiquette géniale.
- Acte 5 : passage à l’acte des susdits qui déboule entre les cuves, dégustent et assemblent leur cuvée du millésime.
Dans le lot des petits loups assemblés y’a le Verre Volé où je suis allé quérir deux quilles de Pape Noir qu’est un Côte-du Rhône. Ça m’a coûté quelques coups de pédales et une petite poignée d’euros 13 très exactement. Reste mon titre qui a pu vous sembler provocateur : le Pape Noir est un blanc. Il n’était que le résultat d’un choix entre les deux couleurs du vin. En effet, j’eus pu titrer : le Pape Noir est un rouge mais alors c’eut été m’engager vers l’excommunication via une Bulle du Pape. Bien sûr si tel avait été le cas j’eus pu fuir sur la Mule du Pape sur le chemin des Oliviers (fine allusion au terroir d’Estézargues, plateau de galets roulés, où la vigne n’est apparue qu’après le grand gel de février 1956 de sombre mémoire pour l’oléiculture du Sud de la France. En effet, le thermomètre est descendu bien au-dessous des – 10° C et les arbres ont été « carbonisés ». Ce fut la St Barthélémy des Oliviers qui ravala notre verger oléicole au rang du pur témoignage. C’est donc la vigne qui a pris le relais de l’olivier). La cave d’Estézargues est donc la dernière du Gard (1965) ce qui explique peut-être la démarche de ses coopérateurs qui ne suivent pas les mêmes chemins que leurs voisins.
(1) Le Verre Volé Cave à vins – Bistro 67 rue Lancry Paris 75010 et 38 rue Oberkampf www.verrevole.fr
* J'ai découvert le Pape Noir chez Bacchus et Ariane 4 Rue Lobineau, 75006 Paris 01 46 34 12 94