J’avoue qu’il ne m’est pas facile ce matin de trouver les mots justes pour m’adresser à vous, frères japonais, frappés par les éléments et l’orgueil de l’Homme, vous qui êtes dans le malheur, l’angoisse et, pour les plus touchés d’entre vous par le dénuement. Tout d’abord, permettez-moi de m’incliner devant la dépouille mortelle de vos disparus, tous ces êtres chers emportés par la fureur de notre Terre. Je salue aussi avec respect votre grande dignité, votre extrême courage et votre vaillance face à l’étendue du désastre qui vous terrasse.
À Paris, comme dans nos vignobles ou nos territoires, je croise souvent ceux d’entre vous, passionnés, amoureux de notre pays qui, bien plus que beaucoup d’entre nous, connaissent et apprécient tout notre patrimoine gastronomique et culturel. Ces liens que nous avons su tisser entre nous, avec patience, attention, en respectant votre réserve, votre extrême politesse, votre culture, nous font un devoir d’être à vos côtés dans votre terrible épreuve. Nous le sommes, et de partout, jaillissent des initiatives, de réels désirs de traduire nos mots de compassion, notre empathie, par des actes à la hauteur de la chaleur de nos sentiments.
Le Japon est un grand pays, il se relèvera, nous n’en doutons pas, en mobilisant toutes ses énergies, toutes ses forces, tout son génie. Notre mobilisation à son côté, à vos côtés frères japonais, relève profondément de cette Fraternité que nous proclamons sur le fronton de notre République. Dans ce monde mondialisé le lointain nous est si proche et tous ces liens tissés au fil des dernières décennies, qu’ils soient commerciaux, culturels, sociaux, nous nous devons de les resserer dans ces temps d’absolue difficulté.
L’un de vos compatriotes, le grand chef de cuisine, francophile convaincu, Hiroyuki Hiramatsu, à la tête d'un groupe qui fait la part belle à la cuisine française, constatait qu’« Il y a plus de passion au Japon pour la cuisine et le vin français qu’on en trouve en France. Les japonais sont maintenant très cultivés et informés de tout ce qui touche à la cuisine française et quand la nourriture est bonne, ils sont très enthousiastes. Les samedis et les dimanches, ils peuvent attendre deux ou trois heures pour obtenir une table ! Même ma mère attendra volontiers une heure et demi ». Alors, si vous me permettez ce raccourci, j’ose écrire que « vous êtes plus Français que les Français et que c’est à nous maintenant de faire, dans le respect de vos souhaits, le chemin inverse ».
Vous êtes trop pudiques pour nous le dire mais nos agitations nationales, nos postures, notre opportunisme, ne doivent pas vous faire accroire que votre malheur nous sert de prétexte pour raviver nos chamailleries. L’urgence c’est vous. Chez nous il sera toujours temps pour nos élites dirigeantes, nos grands corps techniques d’experts, de se mettre à la portée du peuple que l’on dit souverain. Le nucléaire est une chose trop importante pour ne la laisser qu’entre les mains des industriels du secteur. L’acceptation du risque par les citoyens passe par autre chose que de la communication formatée et fermée. Ce type d’autisme ne nourrit que les peurs, les intérêts des lobbies et des groupes d’activistes. Donnez-nous la parole et, contrairement à vous décideurs, nous vous la rendront.
Pardonnez-moi cette digression, chers amis japonais, mais j’estimais que nous vous devions la plus grande clarté sur la nature de nos sentiments à votre égard. Nous sommes à votre disposition en tant citoyens du monde. Mon petit espace de liberté est là pour relayer, susciter, amplifier, et pourquoi pas aussi coordonner, dans la mesure de mes possibilités, l’élan de sympathie qui se lève dans la sphère des femmes et des hommes du vin français. Nos fameux réseaux sociaux se doivent de s’activer, de faire ! Et surtout, je ne manquerai pas de raviver nos énergies lorsque l’actualité s’éloignera quelques peu de vos décombres, de votre pays ravagé. Il n’y a pas, face au malheur, de grand et de petit pays, vous tendre la main, amis japonais, ce n’est pas la détourner du chaos de nos frères haïtiens.
Difficile aussi, au terme de cette chronique, de trouver la formule de politesse qui dépasse la pure convenance pour exprimer la force et la réalité de nos sentiments. Alors, reprenant le courageux député de Denain Patrick Roy permettez-moi, amis japonais, de vous dire « Nous vous aimons ».
Jacques Berthomeau