Derrière la maison familiale du Bourg-Pailler, passé le potager puis l’aire où se faisait les battages, en pente douce des herbages, où naissaient des petits rosés – des champignons bien sûr pas les grands nectars défendus becs et ongles par les Provençaux contre les hordes de barbares libéraux – descendaient vers la rivière : l’Auzance. En face, ce n’était plus La Mothe-Achard mais Saint-Georges de Pointindoux la commune où mon père, mon grand frère et ma grande sœur étaient nés au lieu-dit la Célinière métairie propriété du vicomte de la Lézardière.* Donc, sur l’autre rive, accessible par une simple planche jetée au-dessus du petit bras paresseux, c’était les Essais, un gros lieu-dit dont les habitants, du fait de sa proximité avec le bourg de la Mothe-Achard, se vivaient plus comme des mothais –vivre dans un bourg était plus chic – que comme des ploucs de Pointindoux.
Je suis donc né au bord d’un fleuve, certes petit mais, n’en déplaise aux rieurs, l’Auzance se jette dans l’Atlantique à l’estuaire la Gachère située sur la commune de Brem-sur-Mer. Même que le Conseil Général voudrait y ériger, à Vairé, un barrage pour palier une éventuelle pénurie d’eau « En 2025, il faudra pouvoir distribuer chaque année en Vendée près de 45 millions de mètres cubes d’eau potable, soit près de dix millions de plus qu’aujourd’hui. Les économies d’eau permettant de réduire d’1/3 la consommation supplémentaire. Les ressources du département sont tout juste suffisantes actuellement sur certains secteurs. L’eau pourrait en effet venir à manquer sur le littoral, dans le nord ouest du département en cas de sécheresse hivernale suivie d’un été chaud » assure le porteur du projet de barrage sur l’Auzance en Vendée, Vendée Eau. Bien sûr les associations de défense de l’environnement sont vent debout contre. Mais comme mon propos de ce matin est plus mélancolique je ne vais pas mettre mon nez dans ce dossier.
La Gachère donc, est le point d’accroche d’une vaste zone humide, un marais environnant un affluent de mon Auzance : la Vertonne, qui s’étend jusqu’à l’Île d’Olonne et se dénomme donc le Marais d’Olonne. À la maison, le marais à la Gachère était synonyme de braconnage nocturne. En effet, l'anguille est un prédateur et un charognard qui se nourrit principalement la nuit (elle n'aime pas la lumière) et utilise pour cela son odorat, très développé. Comme toujours le braconnage est une survivance de pratiques anciennes : l’anguille, sous toutes ses formes : des civelles aux anguilles argentées, longtemps considérée comme « nuisible », a fait l'objet d'une pêche populaire. Je n’ai jamais pratiqué, je ne suis pas pêcheur réservant ma prédation à d’autres territoires. Moi, ce qui m’étonnait, ignorant que j’étais du destin sans retour de l’anguille, c’était l’expression « y avoir anguille sous roche » car des roches, à la Gachère y’en avait point.
Du côté, de la fourberie supposée de l’anguille, je vous livre la réponse de Pierre Guiraud, lexicographe contemporain, dans « Les locutions françaises », le sens de tromperie cachée viendrait du lien établi plus ou moins consciemment ou d'un jeu de mots entre l'anguille et les deux formes de l'ancien verbe « guiller ».
Le premier, venu du hollandais et signifiant normalement « fermenter » (à propos de la bière), avait aussi le sens de « éviter le combat, se faufiler », un peu comme l'anguille qui tente de s'échapper lorsque quelqu'un cherche à l'attraper (mais n'est-ce pas le cas de tout animal non domestique ?).
Le second « guiller » vient du francique « wigila » (ruse, astuce) et signifiait tromper, d'où également la dénomination de Guillaume pour suggérer la tromperie.
Enfin, l'anguille était souvent assimilée à un serpent, animal fourbe s'il en est (comme preuve absolument incontestable, il suffit de se rappeler du « Aie confiance ! » de Kaa dans le dessin animé « Le livre de la jungle »).
Voilà donc suffisamment d'ingrédients pour que notre pauvre anguille qui ne demandait rien à personne devienne ainsi le symbole de la perfidie, la tromperie, la fourberie.
Plus intéressant encore, c’est que l'anguille classée comme poisson d'eau douce, elle y passe en effet la plus grande part de sa vie, va migrer dans l’Océan. Tout le mystère de son voyage vers la mer des Sargasses qui est une histoire extraordinaire. En effet, lorsqu’elle atteint sa maturité sexuelle, entre 8 et 17 ans, l'anguille va subir une transformation préalable à sa migration : elle devient argenté, prend une tête plus fine avec des yeux qui grossissent. Quelques temps avant le grand départ elle fait en sorte de se constituer le stock de graisse qui lui sera utile pour son voyage qui peut durer 3 ans. De ce long et périlleux périple vers la mer des Sargasses elle ne reviendra car l’anguille meurt sitôt le frai passé. Et pourtant la vie se transmet et ses larves (de 7mm au moment de s'engager sur le retour) retrouveront les eaux où leurs géniteurs ont vécu. La civelle contre vents et marées fera ce long chemin du retour sur la terre de ses ancêtres en se jouant des obstacles humains : barrages, digues). Force au-dessus du commun que cette anguille injustement taxée d’une perfidie dont sont richement dotés les hommes qui la pêchent puis la mangent.
Ha les grillades d’anguilles de la guinguette de la Gachère après la fin des battages ! Une fête avec l’oncle Antoine garagiste à Brétignolles et la tante Lily, des brassées de sarments qui rougeoient très vite, des anguilles pas trop charnues, filiformes, jetées sur le grill, monte la fumée bleue comme celle des paquets de Gitanes, grésillement, l’odeur particulière de l’anguille qui n’est pas celle du poisson grillée, pouvoir manger avec ses doigts, croquer dans la chair blanche ferme mais savoureuse, goût charbonné, et un petit coup de vin de Brem dans un verre Duralex pour se rincer la bouche. Ce n’est pas faire injure à nos amis vignerons du pays de Brem que d’écrire ici qu’en ce temps-là leurs vins avaient de la verdeur et jouaient à merveille leur rôle d’excitants des papilles. Depuis ces années de culotte courte beaucoup d’eau de l’Auzance a filé dans l’Atlantique et toute une génération de vignerons se sont employés à porter haut les couleurs du Fief de Brem devenu récemment comme ses cousins une AOC. Tel est le cas, à Vairé, du Domaine ALOHA Le Petit Poiré, 85150 Vairé 06 31 29 55 05 www.domaine-aloha.com. Ça fait une éternité que je ne suis retourné du côté de la Gachère sans doute je n’y retrouverais mes repères et je serais déçu.
Nom scientifique : Anguilla anguilla
Famille : Anguillidés
Autres noms : Sili, Franche, Morgain, Margagne, Mourguin, Ressort
Anglais : Eel - Espagnol :Anguila - Allemand : Aal
Poids maximum : 6-9 kg (moy. 250 g à 1 kg)
Taille maximale : 1 m
Durée de vie : jusqu'à 25 ans
Période de frai : Mer des Sargasses
Ponte : 800 000 à 1 500 000 env. par Kg
* http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_de_La_L%C3%A9zardi%C3%A8re