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12 juin 2012 2 12 /06 /juin /2012 00:09

Rassurez-vous, même si la crasse de fer donne un arome de truffe aux pomerols et que vous goûtiez à son juste prix l’homonymie, je ne vais pas jouer ni au Taulier chez les ferrailleurs, ni au chien truffier par l’odeur du scandale alléché. Le journalisme d’investigation patauge trop souvent dans l’intoxication de la basse police et se fait manipuler à plaisir par les tireurs de ficelles. Faire triompher la vérité, ambition louable, n’est à la portée de quiconque, y compris la justice des hommes. Il est des vérités dites premières, évidentes et indémontrables, et il est parfois salutaire de dire ses vérité, ses 4 vérités à quelqu’un, mais bien souvent il faut se contenter de demi-vérité et « comme deux demi-vérités ne font une vérité » c’est frustrant. Reste les contre-vérités, qui peuvent être la vérité des autres lorsqu’elles ne sont pas négationnistes.


La seule vérité vraie sort de la plume du romancier, sauf s’il s’aventure dans un roman à clés. Là, en maquillant les acteurs, en brouillant les pistes, en mélangeant des faits réels à de la fiction, l’auteur s’adresse en priorité aux initiés en capacité de mettre des noms sous la fiction. Pas toujours très probante cette gymnastique d’écriture où la relecture des avocats brime la liberté de l’auteur. Le seul intérêt, hormis l’éventuel talent du conteur, ce sont les bribes de vérité qui, si elles sont imprimées, portent témoignage des faits qui se sont réellement déroulés.


Je vous livre en vignettes (lisibles indépendamment les unes des autres mais dont la chronologie répond à une logique, la dernière étant évidemment la cerise sur le mille feuilles)  des extraits de mes notes de lecture de L’esprit du vain de Sophie Pons L’écailler du Sud  2006 7,50 prises dans un TGV Paris-Bordeaux qui ne s’arrêtait pas à Libourne

 

Avertissement :

 

« Dans le vignoble, le sous-entendu se maniait au sécateur, sans pitié pour les redondances. On ne cancanait pas, on ironisait entre soi,  à demi-mots, seuls les initiés pouvaient comprendre… »

 

Mode d’emploi :

 

« Dans les châteaux bordelais, parce que les rivalités se doublaient de gros enjeux financiers, la technique était légèrement différente. Plus complexe, mais aussi plus payante. Il suffisait de collecter des éléments sur l’ennemi désigné – plantations illégales, dépassement de quota, assemblages frelatés, stocks non déclarés, déclaration fiscale évasive, succession douteuse, main d’œuvre non déclarée, en cherchant bien, on finissait toujours par trouver quelque chose. Ensuite il fallait recruter un avocat complaisant et menacer, sous prétexte d’un préjudice fallacieux, d’alerter la justice. Ensuite, attendre et voir. Ce chantage de haut vol finissait souvent par un accord amiable contresigné par les deux parties. Au profit du diffamateur, bien sûr, et dans le plus grand secret… »


Certificat de conformité:


« Hormis quelques monuments hérités du Moyen Age et quelques folies conçues par de rares originaux, les châteaux du Bordelais se ressemblaient tous d’une certaine façon. Plus que le confort ou ‘esthétique, leurs bâtisseurs visaient à asseoir leur prestige, à marquer leur appartenance certifiée conforme à l’élite locale. Aujourd’hui encore, la plus modeste des vignerons flanquait sa propriété d’une grille en fer forgé. Les plus impudiques rajoutaient des colonnes ornées d’aigles ou de lions ailés. Les grands capitaines d’industrie, qui s’offraient les vignobles les plus recherchés à coup de millions, se disputaient les bâtiments les plus majestueux avant de lancer des rénovations coûteuses, avec chais pharaoniques, cuvier d’avant-garde, parc paysagé et œnologue diplômé pour superviser le tout. Tandis qu’ils jouaient aux vignerons, leurs épouses testaient les vertus du très sélect « centre de Vinothérapie » du Médoc, qui trempait ses clientes dans le moût de raisin en leur promettant des miracles de jouvence. »


Le Tout Bordeaux et le reste :

 

« Des bataillons de vieilles dames en tailleur strict, collier  de perles et permanentes impeccables, occupaient les bancs de bois. Un amas de gerbes et de couronnes jonchait le parterre, au pied de l’autel. L’odeur entêtante des fleurs mortes se mêlait aux parfums capiteux. Tout Bordeaux en grande tenue de deuil, pleurait la disparition (…) Têts raides, comme statufiées, les parents du gentil W… se tenaient debout au premier rang. Derrière eux une cohorte disciplinées, le petit personnel de la société de négoce et les ouvriers des propriétés viticoles affichaient un air affligé. »

 

Le Maire :

 

« le maire de Bordeaux, guindé comme il se doit, s’arrêta pour serrer quelques mains. L’ambiance funèbre lui seyait comme un gant. »


L’avenue la plus Snob : 

 

« il lui fallut traverser l’avenue la plus snob de Bordeaux, où, pour se différencier du reste du continent et par nostalgie d’un passé plus britannique, les voitures roulaient à gauche. »


Le Vignoble :

 

« À perte de vue, les rangées sages proclamaient le triomphe de l’homme sur la nature, la victoire du cordeau sur la treille, la dictature du rendement contrôlé. »


alessandro-and-co-040.JPG

La Généalogie des N qui sonnent [on] :

 

« les N, donc : grande dynastie locale, descendants en droite ligne des conquérants anglais qui avaient occupés l’Aquitaine à l’époque de la guerre de 100 ans. Cette généalogie semblait apocryphe, mais la famille se plaisait, depuis la Restauration, à invoquer d’improbables ancêtres chevaliers. Les N disaient moins volontiers que leur fortune s’était bâtie à l’époque du commerce triangulaire, en armant des navires qui partaient pour l’Afrique la soute pleine d’étoffes, de quincaillerie et d’armes, les échangeaient contre des captifs destinés aux colonies avant de rentrer à bon port chargés d’indigo, de sucre et  de café. C’est à cette époque qu’aviat été fondé à Bordeaux, la maison N, une des premières à investir dans les plantations de sucre à Saint-Domingue, une des dernières à se spécialiser dans le commerce des vins après l’abolition de l’esclavage, une des rares à se convertir au catholicisme. »

 

Le Patrimoine des Doubles Prénoms des N qui sonnent [on] :

 

« de génération en génération, le patrimoine des N s’était enrichi de propriétés viticoles que ses rejetons rachetaient à des propriétaires plus nobles qu’eux mais moins doués pour les affaires. Leur fortune avait survécu à la seconde guerre mondiale, car, comme d’autres, le grand-père n’avait pas dédaigné commercer avec l’Allemagne nazie, même s’il avait assuré par la suite que c’était le moyen d’aider secrètement les réseaux résistants (…) Les N échapperaient de justesse à la grande crise qui avait ébranlé le négoce bordelais après une sombre histoire de vins frelatés. Des maisons plus solides avaient sombré, les N avaient résisté. L’aîné James-Paul dirigeait la société familiale depuis la mort de son père, le frère cadet Philippe-Antony gérait de main de maître trois prestigieux châteaux du Médoc, un lointain cousin issu d’une branche ruinée exerçait sur une autre propriété à Pomerol. William-Alain, le fils de James-Paul n’était pas une lumière mais il aurait pu, de l’avis général, parvenir à perpétuer le nom des N. »


L’Abri Anti-Atomique pour se protéger des Socialo-Communistes des A qui sonnent en [eix]

 

« les A, qui comme leur nom l’indiquait, avaient accompagné la vague corrézienne partie des montagnes à la conquête de la région bordelaise juste après la guerre (…) la famille avait, à tout hasard, fait construire un abri anti-atomique pour stocker ses vins au début des années 80, quand la coalition socialo-communiste menée par François Mitterrand avait remporté les élections. »


Les Journalistes du Vin reçus au Château :

 

« B reconnut quelques journalistes à leur air confit du contentement de soi et à leur satisfaction visible de côtoyer ceux qui comptent. Leur complaisance servile, une certaine façon de pencher la tête en voûtant légèrement les épaules, leurs rires appuyés, les trahissaient sans erreur possible. Le temps d’un dîner, les seigneurs du vin prétendaient les traiter en égal. Par intérêt économique, parce qu’ils savaient qu’un jour ou l’autre un bon article paierait leurs faux-semblants. Mais ils les recevaient par pure nécessité et non sans un certain mépris. D’où le rôle crucial des attachées de presse : auprès d’elles, les journalistes pouvaient à leur tour déverser leur dédain. Tout était prévu, codifié, huilé par l’euphorie douce que donne le bon vin. »

Le Requin, un Prédateur Redoutable, un Vautour : les doux qualificatifs de G qui sonne d’une Galante façon


« Regardez la famille G : le grand-père est descendu de sa montagne natale il y a trente ans avec un petit pécule de maquignon. Depuis ils ont accumulé un patrimoine colossal, une maison de négoce, des vignobles, des châteaux. Tout ça en trente ans. »


« Savez-vous comment les G ont bâti leur fortune ? La récupération des veuves sans descendance, c’était ça la spécialité du père G. Un très bel homme, entre nous soit dit. Difficile de résister à son charme. D’ailleurs, les dames esseulées ne résistaient pas. Il obtenait la gérance des vignobles et attendait patiemment que le temps fasse son œuvre. Une fois la propriétaire au cimetière, il faisait jouer son droit de préemption. Un système d’une simplicité enfantine. Son fiils jean a pris la suite, haut la main. Tout le monde le sait dans la région. Mais personne ne dit rien. Qui n’a pas un cadavre dans son placard ? La loi du plus fort règne dans le vignoble. Et le père G a su s’imposer, par tous les moyens. Prêt à tout pour se faire respecter. Vous ne le saviez pas ? »


« G avait acquis Altus pour une bouchée de pain il y a plus de vingt ans. Un vrai coup de maître, parce que ce vignoble-là c’est un des plus beau du monde. »


« Madame B a hérité de Altus, son nom figurait sur les étiquettes depuis un demi-siècle, tous les répertoires professionnels du Bordelais la présentent comme la propriétaire du château. Voilà qu’i=on découvre tout à coup, sous un montage juridique compliqué que la propriété appartient  en fait à la famille G depuis plus de vingt ans et que madame B n’est qu’un prête-nom doté d’un poste fictif dans un vague conseil d’administration… Ce n’est plus du business, c’est  de la magie, non ? »

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commentaires

A
<br /> Bonjour Jacques,<br /> <br /> <br /> Je partage vos passions de vin et de lecture. Ce polar terroir m'a plu et m'a fait beaucoup rire et sourire. Son style satirique est un peu stéréotipé mais correspond bien au genre des polars.<br /> Quant aux portraits de la ville et des ses habitants, on aime bien ce style dans les romans de Balzac, les sculptures de Daumier ou quand il s'agît des noveaux riches russes. Et voilà que ce<br /> procédé satirique est appliqué à Bordeaux moderne et son histoire.<br />
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