Je suis bon garçon vous en conviendrez puisque même si je trouve Onfray très hédoniste phraseur je le lis même avec retard et je sais reconnaître sa pertinence. En effet, le livre de Michel Onfray dont il s’agit dans cette chronique Les formes du temps Théorie du Sauternes n’est pas récent, publié chez Mollat en 1996, il est accessible en Livre de Poche n°31465 pour la somme de 4,50€.
« La chronologie s'organise en six journées, chacune d'elles étant associée à une divinité tutélaire de la mythologie païenne et à une forme particulière du temps. Ainsi, au premier jour correspond « Gaïa, ou le temps généalogique », au deuxième : « Flora, ou le temps séminal », au troisième : « Hélios, ou le temps aléatoire », au quatrième : « Thanatos, ou le temps ontologique », au cinquième : « Prométhée, ou le temps agricole », enfin au sixième : « Dionysos, ou le temps hédoniste » JM Tartayre
Premier jour Gaïa, ou le temps géologique
« Les pierres qui font le vins sont roturières pour la plupart »
À Sauternes, lorsque les eaux se sont retirées, quand la terre a vu le jour, dès que les pierres ont pu parler, les roturières sont devenues nobles. Plus précieuses que les gemmes taillées par le plus délicat des joailliers, elles ont été magnifiées par les paysans sont toujours les viticulteurs. » pages 17-18
« Dans cette terre, imprégné de ces tourbes magiques, un autre temps est en gésines, celui des racines et des puissances séminales. Du chaos émerge le premier des temps repérables, il n’est plus anarchique, mais cyclique » page 23
Deuxième jour Flora, ou le temps séminal
« La sève est une eau en son genre avec il est possible de lire le mouvement de clepsydres magiques. Ni liquide insipide, ni flux neutre et pâle, elle est une énergie avec laquelle se font les communications entre les sous-sols sombres et les voûtes étoilées, entre les pierres, la terre, le ventre obscur des enfers et l’azur, l’air, la coupole de l’éther » page 25
« La plante, la vigne en l’occurrence, est au carrefour de ces deux univers : la terre et l’air, le magma et le soleil, les ténèbres et la lumière, les racines et les efflorescences. » page 26
« Plante grimpante ou rampante, dansante ou virevoltante, la vigne est un végétal baroque, sinon maniériste, que caractérisent les nœuds, les trilles, les tresses, les labyrinthes, les arabesques, les voltes, les plis, les étirements, les allongements. » page 27
« La vigne fut un instrument de mesure naturel des cycles (...)
« La plante a montré à quoi elle obéissait : au sommeil consubstantiel des hibernations dans la terre, ralentissement, lenteur subie et engourdissements de l’âme ; puis, premières coulées de sève dans le cep, le liquide agit comme une puissance calorifère, les potentialités, endormies, deviennent des puissances puis des actes ; ensuite, sur les branches comme un hommage à l’air, un trajet accompli des ténèbres du sous-sol à la lumière du jour, on aperçoit les premiers bourgeons qui gonflent ; se développant, suintant, mélangés à une liqueur séminale, ils s’ouvrent, collants et gras, pour laisser se déplier un bouquet de feuilles. Dans le cycle, on parlera de débourrement.
Suivent des myriades de boutons qui se structurent en grappes, comme pour annoncer le raisin qui viendra. Lorsque la fleur arrivera, elle durera quinze jours, emplissant les vignobles d’un parfum entêtant qui n’est pas sans parenté avec les liqueurs fortes et spermatiques des gibiers, la lourdeur en moins (...)
Temps spécifique de la floraison.
Alors tombent les pétales qui volent et retournent à la terre. Pour eux c’est fini. Leur destin est épuisé, ils iront nourrir le terreau, la tourbe (...)
Sur la ramure des sarments, après la fleur, on distinguera le fruit. Le raisin changera de couleurs, et le temps se montrera dans ces variations chromatiques : du vert acide du départ à la pourriture de l’arrivée en passant par le spectre des jaunes, cuivres, oranges, marrons, bruns, les grappes se chargeront de toutes les subtilités colorées qui parlent à l’œil du paysan (...)
Après débourrement et floraison, on parle du temps de la véraison. (...)
Ultime station dans le mouvement de ce temps circulaire, il faut parler de la maturation. Pages 31-32-33
Quatrième jour, Thanatos, ou le temps ontologique
« Des fermentations préhistoriques aux faisandages gastronomiques d’aujourd’hui en passant par l’art des fromages aux croûtes ou pâtes elles aussi habitées par les ferments thanatologiques, celui des thés fumés dans les plus lointaines provinces chinoises, ou encore celui des garums ayant traversé le temps et l’espace jusqu’aux nuoc-mâm, le jeu culturel avec la pourriture naturelle n’a cessé de permettre des surprises esthétiques et éthiques, métaphysiques et ontologiques. Cet art de faire la vie à partir de la mort désigne une attitude dialectique certaine (...) pages 58-59
« Noble, la pourriture est une vitalité à l’œuvre, elle se nourrit de l’eau, du suc et des acides du raisin. Comme toute mort, elle est la continuation de la vie par d’autres moyens. (...)
Aussi vise-t-on, dans ce jeu avec la pourriture noble, une eschatologie païenne : sauver ce qui peut l’être par un art de l’œil associé à une sapience antique. De sorte que le paysan verra la progression du champignon, distinguera les bonnes pourritures des mauvaises et les états du travail de la nature. » page 60