Mon titre sous des dessous forts légers et une apparence par trop volatile est pourtant le chapeau d’une chronique on ne peut plus sérieuse. Vous n’en doutiez pas je l’espère. La mine où je suis allé puiser ce minerai c’est bien évidemment Le spécial Vins du Point qui est le bébé dodu que Jacques Dupont porte chaque année sur les fonds baptismaux de la cause du vin depuis je ne sais combien d’années. Cette année 2010 le parrain du bébé est feu Roger Dion, géographe et historien, professeur au Collège de France, qui a lu, lors du baptême, quelques beaux passages de sa Somme « Histoire de la Vigne et du Vin en France, des origines au XIXe siècle », accompagné de feu Pierre Desproges qui lui tenait la burette d’huile pour l’onction du poupon en répétant à l’envi « On peut boire de tout mais pas avec n’importe qui ».
C’est allongé sur la plage pour me sécher après ma visite matinale aux poissons de la baie – j’adore les bancs de barracudas, je les suis, je me fonds dans leur sillage, j’en suis un – que le bébé « Duponnien » me fut porté alors que le soleil montait dans un ciel encombré de nuages. Sur la couverture du Point Christophe Curtat, un verre de Saint-joseph à la main, me contemplait d’un air avenant. Alors, vous commencez à me connaître, bien évidemment je me suis sitôt jeté sur la page 168 consacrée au Saint-joseph et je tombai à nouveau sur le souriant Christophe Curtat, toujours un verre à la main, mais juché entre les branches d’un arbre. Étrange face à face que ce jeune vigneron en pantacourt dans un arbre et moi en calcif de bain sur le sable. Pour en savoir plus sur la tête d’affiche de mon Dupont Merveilleux du Vignoble je me plonge dans la bio du susdit et qui lis-je ?
« J’ai travaillé avec mon père, paysan céréalier dans le nord de l’Isère, puis je suis parti dans l’industrie. J’ai été responsable d’une agence de travail temporaire, et encore avant d’une boîte qui fabrique des bornes d’incendie. En dernier, je vendais des bijoux et des ornements pour la lingerie féminine ! »
Tiens, tiens, mon sonar reniflait un bon filon et je repartais vers la page 157, qui est le point de départ de la présentation des 13 appellations au top, pour parcourir les CV des emblèmes de vigneronnes &vignerons choisis par notre Dupont (sur la couverture c’est un mec, Christophe Curtat, au-dedans c’est une femme à chapeau Annick Pérolari dans ses vignes de Berlou, le Jacques y sait y faire dans le bon dosage, la parité comme on dit aujourd’hui).
Que lis-je sur la première bio ?
Haut-Médoc Sophie et David Faure Château Mille-Roses : que dit David qui a perdu ses parents très jeune, dont le père était vigneron et céréalier. « J’ai fait mes études à Beaune. J’avais vingt ans, un BTS viti-oeno en poche, du bien, mais pas de transition familiale affective. Je voulais un projet de vie. Alors je suis devenu éducateur sportif, moniteur de parapente, ça m’a permis de gagner de la confiance en moi et de rencontrer Sophie... »
Je tenais mon titre mais pas encore ma chronique. Retour à Christophe Curtat « J’ai commencé en 2005, un petit bout de vigne en location, on a tout bu avec les copains. En 2006, j’ai trouvé 1 hectare à louer et j’ai commencé à vendre. J’ai tout le temps squatté chez les autres, c’est pour cela que mon vin s’appelle Nomade [...] Aujourd’hui j’ai 4 hectares, et enfin je vais être chez moi. » Puis de nouveau David Faure « Le projet, je l’ai monté à 29 ans. Premier millésime en 1999, avec 0,50 hectare. Maintenant j’ai ici 9,50 hectares, les autres terres de mes parents sont en location. Elles m’ont permis de réhabiliter les bâtiments. »
Je tenais déjà un beau bout de ma chronique sur l’installation de nouveaux vignerons venus d’ailleurs. Comment faire pour s’installer lorsqu’on n’a pas de terre ? Christophe Curtat répond sans prendre de gants « On peut s’installer, mais sans rien au départ ce n’est pas évident. Il y a deux mondes du vin : ceux qui sont installés, qui font des belles choses et qui sont ouverts. Transparents sur leur compétence, ils ont envie de faire passer le message. Les autres, très protecteurs, très paysans, ne sont pas les plus compétents, mais ils ont les terres. Aller voir les anciens et attendre qu’ils aillent plus mal pour récupérer leurs vignes, je ne sais pas faire. Et puis les prix grimpent. De 40 000 à 120 000 euros l’hectare en dix ans. » Beau sujet que celui-ci où la libération des droits de plantation pourrait peut-être faire bouger la situation, mais ça c’est une autre histoire que Florence Kennel (Bruxelles dérégule Paris pleure) dans le même numéro préfère occulter en entonnant les couplets qui plaisent tant aux gens en place.
Revenons à nos néo-vignerons, ma quête s’avérait plus que fructueuse puisque se rajoutèrent à mes deux initiaux 4 autres petits nouveaux ce qui portait mon score à 6 au moins sur 13 ce qui validait ma fulgurante intuition initiale :
Santenay Domaine Bachey-Legros, Christiane Bal « J’étais psychologue clinicienne, les vignes étaient en fermage. J’ai commencé à revenir quand mes fils ont montré qu’ils voulaient reprendre. J’ai fait avec 0,5 hectare, en douceur. J’étais en libéral, il fallait que progressivement je dise à mes patients que j’arrêtais. J’ai véritablement cessé mon activité en 1997 »
Beaujolais Château les Bachelards Sophie et Lilian Bauchet « Durant dix ans, j’ai été à mon compte à la tête d’une société d’informatique de gestion dans l’Oise. On a acheté en juillet 2007. On voulait changer de vie, et je suis vraiment amateur de gamay, mon père avait une bonne cave, avec un goût particulier pour les crus du Beaujolais. On a choisi la région. On a flashé sur le lieu, l’environnement et les vignes, où on passe facilement avec les tracteurs pour le bio. Les gens râlent un peu en voyant de l’herbe dans les vignes, mais ils viennent voir, ils acceptent. On a 5 hectares en fleurie, 1,2 ha en moulin-à-vent et un peu moins de 1 hectare en beaujolais-villages. L’époque où je gagnais de l’argent est révolue, mais j’ai gagné autre chose. Ma légitimité démarre, je veux la construire. »
Bergerac Château Jonc-Blanc Isabelle Carles et Franck Pascal « Franck vient de Madagascar, moi de Paris. On a travaillé dans l’ingénierie alimentaire, la boulangerie industrielle, les abattoirs de poulets, une entreprise rachetée par un groupe allemand qui a fermé le secteur agro-alimentaire, et on est parti à la Réunion. Franck bossait pour une boîte d’importation de produits phyto et de bitume. Je suis revenue fin 1998, j’avais un peu de mal à accrocher. Franck a suivi. Il a sacrifié sa carrière et ma rejointe. Ici, on a trouvé par la Safer, on avait le statut de jeunes agriculteurs. En 2000, le foncier était très haut, on pouvait préempter, mais il fallait la plus grande discrétion, on n’a donc rien visité, on est resté au bout de l’allée. Les premiers temps, quand on revenait des vignes, on ne pouvait même plus descendre de voiture tellement on était perclus de douleurs. On a eut de la chance que ce soit le millésime 2000. »
Saint-Chinian Domaine de Cambris Annick Pérolari « J’ai vécu en Afrique avec mes parents, je suis rentrée à 17 ans, un peu perturbée car je ne comprenais pas la mentalité d’ici. Je me suis installée en J’étais l’assistante dentaire de mon mari. C’est lui qui était attiré par le vin. En fait, je réalise son rêve, mais c’est sans regret. La formation m’a permis de comprendre le métier, mais c’est avec la première vinification que j’ai vraiment eu de l’émotion. Toute cette évolution dans les cuves... J’ai alors ressenti ce qu’un homme pouvait ressentir. Nous les femmes, on connaît la maternité ; pas les hommes qui, avec le vin, se conduisent comme avec un bébé : il faut le surveiller, prendre la température, etc. C’est ce qui a déclenché mon affection pour le métier. »
Voilà mon travail de mineur, d’extracteur de pépites, terminé. Même si certains trouveront que tout cela est bien anecdotique, rien qu’une simple mise en avant journalistique de trajectoires individuelles bien particulières, microscopiques, peu représentatives de la grande masse des vignerons, moi je trouve dans ces portraits matière à réflexion sur la forte attractivité de la vigne et du vin sur des hommes et des femmes venus d’horizon très divers. Tel n’est pas le cas pour d’autres activités agricoles. Reste pour moi une grande interrogation : la pérennité de ces démarches individuelles dans la jungle, le maquis de la vente de ces vins de micro-producteurs. Certes notre Dupont Merveilleux du Vignoble en mets une petite poignée en avant, les promeut, mais combien d’entre eux restent dans l’ombre, sur le bord du chemin, cherchant des clients dans des salons, passant beaucoup de leur temps pour parfois des résultats bien minces. Je ne sais mais ça me pose vraiment question.
Bon il ne vous reste plus qu'à lire la Bible, pardon Le spécial Vins du Point moi je redécolle, non non je ne vais pas faire du parapente mais je retourne sur le continent comme on le dit ici, quand on ne dit pas « en France». J'espère que mon commentateur-fleuve (ce n'est pas une critique mais un simple constat) Luc Charlier qu'est dans la lignée des gens d'au-dessus - je n'ai pas écrit d'en haut pour ne pas froisser ses attaches au père Léon - va nous dire comment il a atterri au fin fond de la ptite Catalogne française...