Le sieur Cabanes qui affirme du haut de sa grande carcasse « Je suis un dandy et je vomis la vulgarité. J’appelle à un soulèvement de l’esprit pour la défense du style, de la droiture et de l’élégance. » vient de commettre un petit opus portant le titre provocateur Éloge de la vulgarité aux éditions du Rocher. L’homme a du panache et sa profession de foi me va comme un gant. L’homme se défend contre les beaux esprits peu amicaux « un dandy soit, mais un dandy stalinien. Je les emmerde. Alors ils insistent. Mais d’où vient-il, ce « bolcho », avec ses grands airs, pour toiser le monde de haut ? » L’homme excipe sa « basse extraction » pour clouer le bec à ceux d’en haut. C’est de bonne guerre camarade mais, ne pas être issu de la cuisse de Jupiter, c’est mon cas, ne permet pas d’absoudre d’un trait de plume ses silences passés. Faut assumer coco ! La charge est brillante mais elle eut gagnée en honnêteté intellectuelle si dans le paquet des vulgaires quelques coups de boules fussent consacrées à deux monuments de la vulgarité : Georges Marchais et les époux Ceausescu. Cette réserve remisée, le fils de Denise, est brillant, fringant, sa plume est un scalpel, sa culture raffinée, alors je vous offre quelques morceaux choisis.
« Goujateries. Pierre Assouline dans son ouvrage Le Portrait note l’épisode d’un dîner d’autrefois à l’ambassade d’Angleterre : une marquise importunée par son voisin de table très éméché lui lance : « Monsieur, vous êtes ivre ! » Il répond : « Et vous, Madame, vous êtes laide, mais moi, au moins, demain, je serai sobre. » Vulgarités plastronnantes. La grossièreté peut être une affectation, une décontraction affichée, un coup de dent aux raideurs bourgeoises comme pour mieux affirmer l’arrogance de classe héritée de longue main. Un dîner encore : on entend un long et sonore pet ; le coupable, à la dame à sa gauche et à belle voix : « Ne vous inquiétez pas, madame, je dirai qu’c’est moi. » Et parfois les goujateries mornes et les cynismes mondains ne sont que les traces de l’ancienne vulgarité boutiquière dans le salon du bourgeois pas fini, le parvenu.
Nomenclature sémantique en forme de monologue que le « dominant » adresse au « dominé » sous les vivats du public du chapiteau :
« Je suis distingué, tu es vulgaire.
Je suis rare, tu es commun.
Je suis unique, tu es quelconque.
Je suis irremplaçable, tu es habituel.
Je suis incomparable, tu es banal.
Je suis brillant, tu es terne.
Je suis fin, tu es grossier.
Je suis raffiné, tu es trivial.
Je suis aisé, tu es pauvre.
Je suis le consommé, tu es la soupe (le public rit)
Je suis un prince, tu es un bouseux.
Je suis profond, tu es futile.
Je suis mince, tu es gras. »
Quand la séance dérape légèrement, un spectateur dans les travées se lève, prétend parler au nom des « dominés » et lance à l’orateur : « Excrément d’exégète ! Crevette desséché ! Chèvre dégénérée ! Jument qui pisse ! Ver de terre en gelée ! », etc. Insultes dont il précise qu’elles viennent toutes du fond littéraire français, et il conclue par un bruyant « Je te chie ! » Tout le cirque est debout.
Sur le livre d’or consacré au curé d’Ars, à la cathédrale de Bayonne, ce vœu ardent récent : « Faites que nous puissions toujours louer nos appartements » Un certain affaissement vulgaire de la spiritualité. »
Pour terminer l’oncle Maurice professeur de latin qui lance à la cantonade « Les demoiselles, ça ne se mange pas, ça se suce ! » Et il brandit ainsi comme des trophées les carcasses d’oies encore rissolées du feu de la braise, et que l’on appelle en Gascogne les « demoiselles », dont les lambeaux de chair grillée déposent une pellicule joliment grasse sur toutes les bouches »