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10 décembre 2010 5 10 /12 /décembre /2010 00:09

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« La géographie n’est pas précisément une sciences de livres ; elle réclame le concours de l’observation personnelle. Il n’y aura jamais de bon maître que celui qui mêle un intérêt d’observation personnelle aux choses qu’il doit décrire. La nature, dans son inépuisable variété, met à la portée de chacun les objets d’observation, et l’on peut garantir à ceux qui s’y livrent moins de peine encore que de plaisir. » écrivait Vidal de La Blache dans son introduction à son cours de Géographie sur La France.

 

Il poursuivait « Campagne ou Champagne [...] là aussi désigne une nappe uniforme de plaine [...] nous n’avons qu’à regarder autour de nous pour recueillir des exemples de divisions naturelles. Ces noms, en effet, ne sont pas des termes administratifs ou scolaires, ils sont d’usage quotidien, le paysan même les connaît et les emploie [...] Ce sont des pays plutôt que des régions. Mais ils n’en ont pas moins une grande valeur pour le géographe. L’expression pays a cela de caractéristique qu’elle s’applique aux habitants presque autant qu’au sol. [...] Voilà donc, saisi sur le vif, cet enchaînement des rapports parlant du sol et aboutissant jusqu’à l’homme. »

 

Cette dernière phrase résume bien mon credo : saisir sur le vif les rapports entre les hommes et leur sol qui, sous le travail de leurs mains, la force de leur intelligence pratique, leur écoute, leur observation, se décline en terroir. Souvent, eu égard à mon insoutenable légèreté, vous devez me prendre pour un papillon qui papillonne alors que je suis aussi une petite fourmi qui sait amasser des provisions pour les temps difficiles. Mais, pour rester dans le règne animal, allier les ailes et le labeur, en réalité je butine. Je me gave du suc des autres pour tenter d’en faire votre miel. Démonstration ce matin : alors que je dégustais au salon Brittle le Rosé de Riceys d’Olivier Horiot, mon œil vif remarquait le livre du photographe Michel Jolyot Les Riceys en Champagne un terroir d’exception http://www.jolyot.com et, de fil en aiguille, ce matin par la grâce et la gentillesse de Jean-Paul Kauffmann, fidèle lecteur, je puis vous offrir la préface qu’il a écrit pour ce beau livre. Bonne lecture ! Merci beaucoup JP K.

 

« Apercevant pour la première fois les Riceys il y a une quinzaine d’années, je n’en croyais pas mes yeux. De vieilles maisons vigneronnes bien tenues, ornées de ferronneries, d’admirables façades ne laissant rien deviner du dedans, un vignoble intensément travaillé, un air de superbe et de secret. Comment un tel village à la beauté intacte pouvait-il encore exister en France ? Un village ou plus exactement trois villages en un seul. Je faisais connaissance avec la redoutable complexité ricetonne, presque aussi difficile à concevoir que le mystère de la Sainte Trinité. Trois bourgs distincts et consubstantiels formant une entité unique et indissoluble. Trois appellations d’origine contrôlée aussi (Champagne, Rosé des Riceys, Coteaux Champenois), aucune autre commune champenoise ne peut se prévaloir d’une telle originalité. La complexité qui partout ailleurs est l’indice d’un échec ou d’un désagrément est historiquement aux Riceys un avantage et même un privilège, en tout cas un défi. La singularité de ce lieu et de ce vignoble qui l’incarne tient dans cette complexité fièrement acceptée. Une difficulté - mais non un embarras - qu’on lui envie secrètement.

 

Les Riceys aiment jouer sur les deux tableaux. C’est la nature profonde de ce village. La place a appartenu tantôt à la Bourgogne, tantôt à la Champagne. Et, pour rendre les choses encore plus simples, souvent aux deux à la fois. L’histoire des Riceys abonde en anecdotes (1) où dans la même construction l’on est bourguignon du côté sud, champenois au nord. Il y a dans la mentalité de cette terre une espièglerie, une gaieté libre et truculente, presque rabelaisienne, qui a beau se dissimuler sous un certain quant-à-soi mais n’en est pas moins heureuse et conviviale comme il sied à un pays où l’on cultive la vigne.

 

Cette ambivalence lui a permis de durer et de fonder une identité extrêmement originale, cumulant les deux appartenances sans qu’il n’y ait jamais opposition. Cet aspect multidimensionnel, qu’a su si bien saisir le photographe Michel Jolyot,  n’est pas le signe d’une entrave mais au contraire d’une supériorité. Le village compact - presque urbain - les maisons dépourvues de dépendances, les caves, la pierre, le paysage de combes, le calcaire kimméridgien sont bourguignons mais l’âme est résolument champenoise. C’est le négoce marnais qui s’est tourné vers l’Aube au début du 19è siècle pour acheter des raisins et non l’inverse. Cette légitimité champenoise n’a cessé d’être soulignée par le voisin quitte à ce qu’il en bafoue le bien-fondé quand cela ne faisait plus ses affaires. Contre cet ostracisme, les vignerons ricetons sont entrés en guerre en 1911 et ont fini par l’emporter.

 

Le fond est champenois, la forme pour une large part bourguignonne. On ne saurait les séparer, comme l’âme et le corps. Les vignerons des Riceys se plaisent à souligner malicieusement qu’ils appartiennent à la plus importante commune viticole de la Champagne « bien avant Vertus », insistent-ils. Au demeurant, il existe bien des pays en France nommés champagne, qui est le contraire du bocage (champagne berrichonne, champeigne tourangelle, champagne charentaise) et la champagne auboise ne craint pas de revendiquer sa différence au sein de la grande champagne viticole.

 

Bien qu’il représente une part très faible de la production, le rosé de Riceys résume parfaitement cette double appartenance. Il est proche d’un vin rouge tout en se gardant de l’être vraiment. Le secret de ce vin qui ne ressemble à nul autre repose sur cette ambiguïté. Il joue deux rôles à la fois mais n’en endosse aucun car sa nature profonde tient dans cette conjonction. Un tel caractère pourrait brouiller les cartes et entretenir une image floue, un juste milieu, un état intermédiaire, une moyenne sans caractère. C’est tout le contraire. Ce vin si rare ne saurait être confondu avec les autres rosés, synonymes parfois de facilité et même de vulgarité. Le rosé des Riceys est le plus sophistiqué des vins. Outre qu’il requiert des raisins parfaits, il exige du vinificateur une perspicacité et une exactitude peu communes. À travers le pinot noir, le plus difficile des cépages, ce rosé doit rassembler deux qualités antinomiques : la puissance et la légèreté. Ce n’est pas un hasard si le vignoble des Riceys a bâti sa réputation sur ce pinot si périlleux à travailler. C’est un cépage qui ne supporte pas la médiocrité. Pour en venir à bout, il faut le talent du terroir et le savoir-faire des hommes. Les Riceys peut s’enorgueillir de posséder les deux tant il est vrai que le pinot noir s’avère une quête, une sorte de Graal difficile à atteindre. Sur les pentes vallonnées aux expositions magnifiques, tout est fait pour parvenir à une belle maturité. Alors ce cépage donne ici toute sa mesure : enjoué, vif, charmeur, velouté avec une générosité et une densité qui confèrent à ce rosé un style inimitable.

 

Je n’aurais garde d’oublier le champagne qui constitue l’essentiel de la production des Riceys. S’il est vrai que l’Aube n’a plus rien à prouver dans ce domaine et a perdu tout complexe d’infériorité vis-à-vis du voisin marnais volontiers hégémonique, les vignerons ricetons savent qu’à chaque millésime on remet son titre en jeu. Signe des temps : la vendange aux Riceys voit affluer un nombre croissant de représentants des maisons les plus réputées d’Épernay ou de Reims. À présent, ils ne se cachent plus. Une évidence s’impose : les raisins de ce village sont de plus en plus recherchés. Le négoce marnais ne fait plus reproche au pinot noir aubois de « terroiter ». Au contraire, cette typicité dont les vignerons ont toujours tiré fierté est tenue à présent pour un avantage.

 

Les Riceys, condensé de la France viticole, miroir d’un monde rural qui change sans pour autant perdre son âme campagnarde. Les pays de vignoble savent encore perpétuer les mythes et les rites. Ce coin de l’hexagone donne un bon aperçu de la complexité du vivant fait d’interdépendances, d’éléments contradictoires et de paradoxes. Souplesse et robustesse de ce pays. On en revient toujours à la complexité, maître mot du vocabulaire œnologique. Un vin simple n’est pas un vin qu’on a envie de déguster, encore moins de commenter. La complexité qui définit un vin de qualité dépend du cépage, du terroir et de l’homme.

 

Dans sa triple appartenance, sa situation géographique originale, son terroir hors-série, les Riceys récapitule à sa façon tout ce qui nous fait aimer le vin et ses hommes qui l’élaborent.

 

 

Jean-Paul Kauffmann*

 

 

  • Ancien rédacteur en chef de l’Amateur de Bordeaux, auteur de Voyage en Champagne

(1990), de La Morale d’Yquem (1999) et du Bordeaux retrouvé (1989)

(1) Les Riceys, son vignoble, son histoire par Gilles François. (Diplôme universitaire Vin et Culture 2001), 87 pages.

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