Converser, échanger, digresser, s’écouter, ici recueillir la parole d’un homme, engranger son expérience, transmettre aux générations futures son histoire, une tranche de vie. Belle ambition que celle de Gilles Berdin qui, chez Elytis www.elytis-edition.com , publie « Autour d’une bouteille avec André Lurton » puis avec Anthony Barton, Christine Vallette et Xavier Pariente, Florence&Daniel Cathiard... Comme vous les savez j’adore les petits livres qu’on peut glisser dans sa poche pour les lire en tout lieu. Alors, lors d’une de mes razzias dans l’une de mes librairies de prédilection, bien évidemment lorsque mes yeux sont tombés sur l’opus de Gilles Berdin 19x10 format des anciens classiques de Bordas (Racine, Corneille, Molière...) je l’ai immédiatement glissé dans ma gibecière.
Converser avec un grand chêne comme André Lurton n’est pas une entreprise aisée car le risque est important de se sentir un peu « écrasé » par son aura, sa forte personnalité, le poids de son expérience, et de s’en tenir à une forme de respect fort compréhensible. Gilles Berdin, sans passer les plats, ne met donc pas trop de piment ou d’impertinence dans la conversation mais, pour autant, j’ai pris du plaisir à découvrir les propos d’André Lurton. Celui-ci se raconte avec un franc-parler peu bordelais qui me plaît. Pour vous donner envie d’acquérir pour 8€ « Autour d’une bouteille avec André Lurton », selon un rituel bien établi sur mon espace de liberté je vous propose un extrait qui, sans être une conclusion, illustre bien la philosophie d’André Lurton : « Faire ! Faire soi-même pour entraîner les autres ! »
G.B : que faut-il retenir de vos actions ?
A.L : Rien et tout. Je souhaite léguer mon courage d’entreprendre, ma volonté de réaliser, de bâtir. Laisser l’image d’un entrepreneur qui n’arrête pas, qui n’a pas arrêté. Chaque fois j’ai foncé et je n’ai jamais attendu que les autres le fassent pour moi. Il faut faire soi-même pour entraîner les autres. Quand il y a quelque chose de bien, il ne faut pas attendre que d’autres le réalisent à votre place. Entreprendre, oui, il faut entreprendre. Mon grand-père, mon grand exemple, était un entrepreneur né. Il était formidable pour ça, et toute sa vie il fut entrepreneur, créateur, inventeur, bâtisseur. Même si on se trompe, ça ne fait rien, il faut faire quelque chose. C’est un état d’esprit et un état « physique » car il convient toujours de s’accrocher. Il faut avoir le courage et la volonté de faire quelque chose et d’aller jusqu’au bout. Si l’on sent qu’il ‘y a pas de grosses erreurs de commises, il faut aller au terme de son action. Et même si une bévue s’y glisse, il faut rectifier et continuer. Vous montrez ainsi que ce n’était pas ça qu’il fallait faire (rires). Oh, qu’est-ce-que je me suis trompé dans ma vie, ce n’est pas croyable ! Mais c’est comme ça que j’ai pu progresser. C’est l’erreur qui vous permet d’avancer, il ne faut pas la craindre. A condition, quand même, de ne pas trop en faire pour ne pas chuter lourdement.
BONUS
1- Le temps du grand-père Léonce qui « lisait beaucoup pour s’instruire et voyageait pour voir ce qui se passait ailleurs. Qui après la crise phylloxérique planta des cépages américains non greffés : l’Othello, le Clinton, le Noah, l’Isabelle, le Jacquez. Puis dans les années 1930 planta des hybrides : 7053, 12375, 18 315... Bon administrateur « qui avait une comptabilité analytique étonnante pour l’époque. Il avait fait les plans de toutes les parcelles qu’il avait plantées, avec le nombre exact de rangs de vignes et de pieds. Tous les soirs le chef de culture devait noter et venir lui indiquer le travail effectué : ce qui avait été taillé, levé, déchaussé, etc. »
GB : que peut-on retenir de cette époque ?
AL : La journée était rythmée au son d’une cloche qui est toujours là, mais ne sert plus. Elle sonnait dès les beaux jours à 5 h du matin pour commencer le travail. Le personnel travaillait jusqu’à 7 heures jusqu’à midi, déjeunait et reprenait le travail jusqu’au soir. Les gens n’étaient pas bien cher payés et habitaient des logements peu confortables dont certains avaient le sol en terre battue, étaient sans sanitaire, avec seulement une cheminée pour faire la cuisine, et il fallait aller au puits pour se procurer de l’eau. Dès que j’ai pris en mains l’exploitation, j’ai rénové tous les logements et construit des maisons neuves.
2- Marcel Blanck l’Alsacien parle d’André Lurton en proposant que « ce serait le moment d’ériger un monument à André Lurton » comme les alsaciens l’ont fait sur sa commune pour Joseph Schwartz « le monument et l’apôtre des grands crus »
GB : pouvez-vous, s’il vous plaît, préciser comment vous avez connu André Lurton ?
MB : J’ai fait sa connaissance en 1959 à travers les contacts nationaux que je pouvais avoir en tant que membre du CNJA ? J’ai créé en accord avec les instances, un premier « groupe vin » puis un groupe « AOC » d’où sont sortis tous les hommes engagés dans les régions viticoles : Gérard César en Gironde et Lucien Jacob en Bourgogne, Marc Brugnon en Champagne, Paul Avril en vallée du Rhône... Partout, nous cherchions des personnes susceptibles d’avoir des idées allant vers le progrès et à l’époque, elles n’étaient pas très nombreuses. Bien entendu, à Bordeaux, on ne pouvait tomber que sur un Lurton.