« Mais encore, chère Jeanne ? » L’ironie de ma question la mettait hors d’elle : « Vraiment ce n’est pas le moment de jouer les jolis cœurs. Je suis carbonisée et si je ne trouve pas une vraie planque dans la demi-heure qui vient je suis bonne pour le 103 de la Ruschestrasse avec un bon de sortie immédiat pour le goulag ». D’un geste brusque je la saisissais par le bras et l’immobilisais face à un arrêt de tramway. Ses chevilles se tordaient et, si je ne l’avais pas retenue d’une main ferme, elle partait en vrille. « Lâchez-moi, vous me faites mal ! » Rouge pivoine, elle tentait de me faire lâcher prise. Par bonheur aucun passant ne prêtait attention à nous. « Maintenant Jeanne vous fermez votre gueule, vous vous calmez, vous me prenez le bras avec tout l’amour dont vous vous sentez capable à mon égard et nous attendons tranquillement le prochain tramway » Je n’avais pas élevé la voix mais mon ton ne laissait aucun doute sur mes intentions. Pourtant Jeanne se regimbait « vous n’y pensez pas. Je n’ai pas une seconde à perdre... » Ma poigne ferme la maintenait immobile. « Pauvre conne, courir est le meilleur moyen de vous faire repérer. Vous allez m’obéir sans discuter et me suivre... » Elle me fusillait du regard « et pourquoi vous suivrais-je ? » Le tramway se pointait dans un bruit infernal de ferraille crissant. Je gueulai « parce que vous n’avez pas le choix ma belle et parce que je suis un putain de flic qui ne pense qu’à vous sauter... »
Estomaquée mais enfin silencieuse, Jeanne tendait deux tickets au contrôleur du tramway. Je l’entraînais au milieu du wagon. Elle s’asseyait en tirant sur son bout de jupe droite. Je me penchais vers elle raide comme la justice pour lui murmurer à l’oreille « Rassurez-vous, je ne baise qu’avec consentement » Elle lâchait entre ses belles dents « Goujat ! » Je lui prenais la main « c’est la seule thérapie que j’ai trouvé pour lutter contre votre panique. Désolé ! » Je sentais sa main moite frémir et, sourcils froncés, elle retrouvait un peu de sérénité : « Vous êtes vraiment désolé ? » Je lui caressai la joue « mais oui je le suis la belle mais l’heure n’est pas, selon votre expression, à jouer les jolis cœurs. En peu de mots dites-moi ce qui vous est arrivé à l’ambassade ? » Inquiète de nouveau Jeanne jetait un regard circulaire pour s’assurer qu’aucune oreille ne trainait près de nous. Elle inspirait une bouffée d’air. Le tramway s’immobilisait. Deux policiers en uniforme montaient. Jeanne frémissait. Je l’attirais vers moi. Elle se laissait aller. « Ne vous inquiétez pas, ces deux là ne sont au courant de rien. Dites-moi tout pour que je puisse valider la petite idée qui me trotte dans la tête. » Je sentais le gras de sa cuisse se presser contre la mienne. Mon érection fut immédiate. Jeanne dans un souffle murmurait « vous avez un plan pour me sortir de là ? » J’opinai.
- Wladimir s’est tiré une balle dans la tête.
- Qui est Wladimir ?
- Mon amant.
- Mais encore ?
- Le premier secrétaire de l’ambassade d’URSS à Berlin.
- Vous l’avez connu comment ?
- Lors d’un tournoi de tennis.
- Où ?
- Ici.
- Et comment ça c’est passé ?
- Dans les vestiaires.
- Ok, mais après...
- Il m’a délivré un sauf conduit et je le rejoignais à l’ambassade.
- Etrange comme procédure...
- Pourquoi parlez-vous de procédure ?
- Il était marié ?
- Je suppose que oui.
- Ça ne vous a jamais étonné qu’il affiche sa liaison avec vous de façon aussi ostensible à l’ambassade ?
- Mais nous ne faisions rien dans son bureau à l’ambassade.
- Vous faisiez quoi alors ?
- Je lui donnais des cours de français.
- Vous plaisantez...
- Non, je lui enseignais vraiment le français et sa secrétaire assistait à mes cours.
- Mais alors, vous faisiez ça où et quand ?
- Chez moi.
- Chez vous, à l’Ouest...
- Oui.
- Comme c’est étrange...