Carte blanche, avec un aplomb et une décontraction qui les fit ciller, je leur demandais, sans même leur donner d’explications sur ma façon cavalière dont je les avais laissé tomber au Chili, de me laisser à nouveau en Italie avoir un pied dans le camp des comploteurs d’extrême-droite et l’autre la mouvance de l’extrême-gauche. Pour enfoncer le clou j’ajoutais « c’est de votre intérêt bien compris, car moi je collecterai des infos en temps réel, alors que vous vous devez vous contenter de tuyaux de deuxième ou de troisième main… » Booz-Allen, sportivement, en convint mais il me demanda, en dehors d’avoir un don d’ubiquité, comment pourrais-je tenir ce grand écart en temps réel. Mon large sourire déplut à Mac Cracken qui réprima un geste d’impatience. En m’adressant à lui, avec ce qu’il faut d’ironie pour le pousser à bout, je rétorquai « moi je suis le roi, et j’ai deux dames qui seront mes chevaux de Troie… » Booz-Allen, en bon connaisseur de mon dossier concéda « madame ici présente, et votre ancienne compagne Chloé seront donc de la partie… » J’acquiescé en attendant son objection « pour la seconde je comprends parfaitement puisqu’elle est déjà dans la mouvance mais, pour madame, pourquoi irait-elle se fourrer dans ce panier de vieux crabes ? » Francesca, avec son élégance habituelle, tout en resservant le thé, lui répondait « parce que vous m’y contraignez messieurs… » De concert, face à une réponse aussi surprenante, ils froncèrent les sourcils. Francesca poursuivait en se rasseyant « si j’ai dû quitter mon pays c’est de vôtre faute. J’étais menacée, empêchée de faire ce que je souhaitais faire, alors j’estime avoir une dette à l’égard de celui qui m’a tiré d’affaire…. » Mac Cracken, en bon militaire, peinait à suivre la logique spécieuse de Francesca et le lui avouait. Booz-Allen, plus politique, abandonnait le terrain de Francesca et contre-attaquait sur le mien.
« Vous êtes en compte avec nous, j’ai besoin de sérieuses garanties avant de vous accorder un nouveau crédit…
- Je vous l’accorde mon cher Terry, si vous me permettez cette familiarité…
- Je vous l’accorde mais j’ai besoin de bien plus que des paroles…
- Vous êtes protestant Terry ?
- Oui…
- Moi je suis catholique et, contrairement à vous j’ai la chance de bénéficier de la confession. Vous pouvez estimer que j’ai commis des fautes à votre égard, même si j’ai plutôt péché par omission, mais faute avouée est pardonnée si j’exprime l’intention de ne plus recommencer. Si vous êtes aujourd’hui en face à moi c’est que bien plus qu’une intention c’est une volonté que j’exprime…
- Quelle volonté ?
- Celle de traiter d’égal à égal avec vous et non, comme par le passé que vous me manipuliez à votre gré…
- Vous ne manquez pas d’aplomb mais dites-moi d’où vous vient cette belle assurance ?
- De ce que je joue à nouveau sur mon terrain et que c’est dans le merdier actuel un avantage décisif…
- Insinueriez-vous que nous ne sommes pas à la hauteur des enjeux européens ?
- Oui, vous jouez à nous faire peur en surévaluant la dangerosité de l’Ours soviétique et en agitant à tout propos la menace communiste. Le virage est pris et vous ne l’avez pas compris…
- Arrogance bien française…
- Qui n’arrive pas à la cheville de la vôtre Terry !
Francesca face à ce combat de coqs intervint avec une douce fermeté « Monsieur Booz-Allen je vous invite à prendre en compte ce que nous sommes aujourd’hui, à analyser sereinement notre stratégie, à nous répondre sur ce que vous souhaitez conclure avec nous : soit un pacte de non-agression, soit une alliance sans arrière-pensées. Bien sûr vous avez les moyens de torpiller nos projets mais quel bénéfice en tireriez-vous ? Aucun, si ce n’est un apurement de comptes anciens qui n’ont en rien desservis vos intérêts. Vous avez pris le risque de jouer au plus fin avec nous. Vous avez fait fausse route. Restons-en à ce constat et discutons des termes de notre contrat. Sachez tout d’abord que nous n’avons nul besoin de votre argent ni de vos moyens logistiques mais seulement de votre confiance…
- Excellent plaidoyer chère madame mais où sont les garanties que je suis en droit d’exiger ?
- Dans notre silence…
- Soyez plus explicite !
- Nous sommes déjà en possession d’une somme de renseignements qui pourrait écorner votre belle réputation de défenseur du monde libre…
- Du chantage !
C’était Mac Cracken qui explosait.
- Pas de gros mots colonel. Vouloir à tout prix faire capoter le compromis historique voulut par Aldo Mauro et Enrico Berlinguer n’est pas à proprement parler un acte qu’il faut passer sous silence.