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23 mai 2010 7 23 /05 /mai /2010 02:22

Le moment de surprise passé, sans mot dire, nous emboitions le pas de la vieille dame trainant ses savates, et dont le chignon de guingois ressemblait à une pièce-montée en déroute, pour nous rendre tout au bout d’un long couloir débouchant dans une véranda encombrée d’un capharnaüm de plantes et de statues de plâtre. Dans les bras de l’une d’elle un gros matou gris aux yeux orange nous toisait sans agressivité. Jeanne frissonnait. La vieille dame, toujours dans un français chantant, s’adressait au mur vert « Conrad, tu as des visiteurs... » et, se tournant vers nous, elle disait d’un air tendre « il devient de plus en plus sourd... » Le matou gris sautait de son promontoire pour venir se frotter aux chevilles de la vieille dame alors qu’émergeait de la masse des plantes un petite homme en blouse blanche dont les yeux de myope, surmontés de sourcils filasse d’un blanc resplendissant, nous observait avec un réel étonnement. Il s’avançait vers nous en souriant « si Emma m’appelle en français c’est que vous êtes Français... » De concert, Jeanne et moi l’assurions que oui, nous étions bien des Français. Conrad, pince sans rire, tout en nous serrant avec effusion la main, surtout celle de Jeanne, nous taquinait « même si mon plaisir est immense je ne permettrais pas de dire : quel bon vent vous amène car ici aucun vent n’est bon et, comme je pense que je dois au hasard votre venue c’est que vous avez des soucis » Nous approuvions. « Emma, voudrais-tu nous préparer du thé ? »

Nous passâmes dans un petit salon. Conrad, très disert, avant même que nous n’ayons exprimé la moindre demande, nous assurait qu’il ferait tout pour nous aider. « Je suis un ancien des Brigades Internationales. J’ai vécu plus de 10 ans en France et c’est là-bas où j’ai épousé Emma. Vraiment vous ne pouviez pas tomber mieux. Qui vous a amené jusqu’ici ? » Je repensai au rouquin qui nous attendait dehors. Conrad s’esclaffa lorsque Jeanne lui précisa que le gamin nous avait conduits chez lui parce que nous cherchions un docteur « Vous savez ici tout le monde est Her Doctor. Mais pourquoi diable cherchiez-vous un docteur ? L’un de vous est-il souffrant ? » Je le rassurai en expliquant que nous cherchions surtout un téléphone. Conrad chaussa ses lunettes qu’il avait jusqu’ici juché sur son front. « Vous ne seriez pas un peu flic sur les bords pour avoir l’idée de venir chez un médecin pour téléphoner. C’est astucieux. Vous savez j’ai tellement joué avec eux que je les lis à livre ouvert. Malheureusement ici nous n’avons même plus de flics mais rien que des mouchards, ça pullule, rien que des petits cafards qui grouillent. Si vous n’étiez pas tombé sur moi, même un homme ayant prononcé le serment d’Hippocrate aurait été capable de vous dénoncer. Tout le monde ici à peur, tout le monde ici crève de peur, nous sommes gouvernés par des petits hommes sans idéaux qui flattent les plus bas instincts. Ce pays, lorsque le gros Ours, pour des raisons que j’ignore, retirera sa grosse patte protectrice, s’effritera, se désagrègera, se désintègrera. Il ne restera rien. Même pas ce fichu mur... »

Emma avait fait entrer le petit rouquin qui s’empiffrait de gâteaux en buvant un soda. Je fis part de mon marché avec lui. Elle s’expliqua en allemand avec le gamin qui, le nez dans la crème, l’écouta sans broncher. Emma m’expliqua qu’il valait mieux que ce soit elle qui s’occupe de l’acquisition du fameux ballon car la détention d’un aussi gros billet vert par un gamin éveillerait les soupçons et le risque était grand que la police politique remonte la filière. J’en convins en ajoutant que nous désirions aussi que les risques qu’ils prenaient pour nous aient une contrepartie. Elle se récriait « Si vous voulez que Conrad vous fiche à la porte proposez-lui vos dollars. » Le dit Conrad plongé dans l’observation attentive des genoux de Jeanne restait de marbre. Quand je lui communiquais le numéro de Sacha il fronçait les sourcils et se récriait « mais c’est le préfixe des numéros du 103 de la Ruschestrasse. Qu’est-ce que vous voulez au juste ? Me compromettre ? Qu’est-ce qu’un vieux débris comme moi peut-il encore gêner ? Vous êtes qui ? » Je soupirai « un agent dormant des services français... » Il branlait sa belle tête « mais alors qu’est-ce que vous foutez ici en cavale ? » Jeanne prenait les devants « C’est à cause de moi ! » Cette seule déclaration rassurait le vieil homme qui se levait en m’enjoignant de le suivre « Venez ! Votre ami il mange à quel râtelier lui ? » Ma réponse ne parut pas le surprendre « Il n’en sait rien lui-même... »

 

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