Appelons un chat un chat, pour la grande majorité des partis de l’UP le pacte de respect de la Constitution Chilienne équivalait à un chiffon de papier destiné à rallier le vote des démocrates-chrétiens de Frei lors de la désignation d’Allende par le Parlement chilien. Celui-ci n’avait obtenu que 36,30% des suffrages. Dans une interview accordé au « guérillero » Régis Debray, publiée dans le Nouvel Observateur, Allende le confirme, la signature du pacte de respect de la constitution n’était qu’une concession tactique afin d’accéder au pouvoir. « Nous savons tous, que la signature du pacte, était une pure stratégie pour gagner le temps en faveur de l’organisation, le déploiement et la coordination d’une formation militaire des différentes composantes de la coalition de l’unité populaire » Dans sa convention de Chillán en 1967 le Parti socialiste, qui se définit comme une organisation marxiste-léniniste, pose la prise du pouvoir comme objectif stratégique à atteindre par cette génération, pour instaurer un état révolutionnaire qui libèrerait le Chili de la dépendance et du retard économique et culturel, et entamer la construction du socialisme. Pour lui la violence révolutionnaire est inévitable et légitime. « Elle est le résultat nécessaire du caractère violent et répressif de l’État-classe. Elle constitue l’unique chemin qui mène à la prise du pouvoir politique et économique et à sa défense. Les formes pacifiques ou légales de lutte ne conduisent pas en elles-mêmes au pouvoir. Le parti socialiste les considère comme des instruments limités d’action, intégrés au processus politique qui nous emmène à la lutte armée. Il est possible pour le gouvernement de détruire les bases du système capitaliste de production. En créant et en élargissant l’aire de « propriété sociale » aux dépens des entreprises capitalistes et de la bourgeoisie monopolistique, nous pourrons leur quitter le pouvoir économique. L’État bourgeois au Chili ne peut servir de base au socialisme, il est nécessaire de le détruire. Pour construire le socialisme, les travailleurs chiliens doivent dominer la classe moyenne pour s’emparer du pouvoir total et exproprier graduellement tout le capital privé. C’est ce qui s’appelle la dictature du prolétariat. »
Même si ce ne sont que des mots de révolutionnaires en costume cravate ou d’adeptes de la minorité éclairée pointe avancée de la classe ouvrière : « Dominer la classe moyenne, détruire les bases du système capitaliste, instaurer la propriété sociale, exproprier graduellement tout capital privé, s’emparer du pouvoir total... » ça peu se traduire en langage populaire « on va vous la mettre jusqu’au plus profond, pour l’instant on veut bien vous accorder un peu de vaseline mais présentez vos culs sans rechigner et surtout nous n’admettrons aucune protestation... » Que la classe dirigeante chilienne soit vent debout face au pouvoir d’Allende n’avait rien d’étonnant mais là où les théoriciens se sont plantés c’est qu’ils ont amené l’économie chilienne, qui n’était, comme dans la plupart des pays d’Amérique du Sud, qu’une économie basée sur un système de grandes propriétés agraires, et de mines exportatrices, avec tout ce que ça comporte d’inégalité sociale, de clientélisme, de corruptions, générant une situation politique explosive et de violence urbaine. La bureaucratie de l’UP, comme dans toutes les démocraties populaires, a été le premier fossoyeur du régime Allende. L’addition d’une planification stupide, d’une politique monétaire laxiste, d’une réforme agraire bordélique, conjugués à des nationalisations non maîtrisées, surtout dans le secteur vital de l’exportation de matières premières, ont fini par déséquilibrer profondément l’économie chilienne. Les dépenses publiques explosent pour atteindre plus de la moitié du PIB en 1973, la production agricole s’effondre, les importations triplent pendant que les exportations stagnent, la balance commerciale d’excédentaire à l’arrivée d’Allende devient déficitaire de 300 millions de dollars en 1973. L’inflation chauffe à des taux à 3 chiffres. Carlos Matus, Ministre de l’économie du gouvernement Allende, déclarait au magazine Der Spiegel, « Si l’on considère la situation sur la base des critères économiques conventionnels, nous nous trouvons, en effet, en crise... Mais ce qui est une crise pour les uns est pour nous une solution »
Ceci écrit, il n’empêche que les Etats-Unis voyaient d’un mauvais œil l’instauration, après Cuba, d’un gouvernement marxiste-léniniste au Chili. C’est une réalité qui s’est traduite par la demande de Richard Nixon à la CIA et à Henry Kissinger d’étrangler économiquement le Chili jusqu’à l’étouffement total afin de précipiter la chute du régime Allende. La CIA a donc financé deux grèves de camionneurs contre le gouvernement d’Allende et a joué un rôle actif dans la préparation du putsch de Pinochet. Du pain béni que ce chaos pour les stratèges de la CIA ; un vrai billard que cette situation catastrophique pour convaincre les réticents dans la caste militaire en leur faisant miroiter les bénéfices d’une économie libérée où ils n’auraient qu’a empocher les dividendes en tenant les rennes du pouvoir civil ; un jeu d’enfants que de brosser dans le sens du poil la classe moyenne excédée par les pénuries, le rationnement, les contrôles bureaucratiques tatillons, l’arbitraires des groupuscules. On ne gouverne pas avec de bonnes intentions, des discours, le quotidien est d’un terre-à-terre abominable et il rattrape toujours les apprentis-révolutionnaires. Tout cela je le vivais chaque jour depuis mon arrivée à Santiago, sans flagornerie je savais que tout cela allait finir dans le sang. Alors, le pacte que nous passâmes la belle Eva et moi ne constituait qu’une simple péripétie dans mon no future. Chloé mise hors circuit j’appréciais encore plus ma vie de chien crevé au fil de l’eau et ce soir-là, après qu’Eva eut regagné son Ambassade, au bar de l’hôtel je croisais un autre spécimen de mon espèce en pleine débine, un certain Luc le Belge.