Même dans ma thurne parisienne, à peine ai-je tracé le titre de cette chronique que déjà je m’imagine sur les pentes raides du Monte Sant’ Angelo alors que « les feuilles tendres du vermentinu et du biancu gentile verdissent sous l’œil des chèvres sauvages et le vol d’un couple de rapaces qui tournoient dans le ciel. »
« Tout insulaire est une île, et le propre des îles, est d’être toutes différentes. Si Antoine Arena ressemble pourtant à celle qui l’a vu naître, c’est que la Corse, en dépit des apparences, est moins une île qu’un archipel, un amas d’îlots que les reliefs et ses montagnes réunissent et isolent – l’hiver surtout. À l’intérieur de ces petits mondes clos composant cette mosaïque, tout est différent, plus ou moins : la végétation, les usages et jusqu’à la langue qui semble venir d’une île plus lointaine... »
J’aime beaucoup cette idée d’archipel, d’un chapelet d’îles essaimé pour lequel, Antoine Arena le sait, j’ai en des moments difficiles et dangereux consacré avec passion une part d’un temps qui aurait pu se contenter de n’être que parisien. J’aime cette mosaïque et comme le dit Antoine « les plus beaux terroirs sont souvent périlleux. On prend des risques pour les conquérir, et ensuite, pour les travailler. L’important est de faire évoluer les traditions, les façons de faire des anciens. On ne peut pas les reprendre telles quelles, mais il s’agit de les refonder. J’ai un grand respect pour ce que faisaient les vieux, mais nous devons nous sentir capables d’aller plus loin, de prolonger ce qu’ils ont fait. Il paraît que c’est ça, le progrès. Des vignes de mon grand-père, nous n’en avons gardé qu’une seule. Une des parcelles d’en bas, près de la route. Ils étaient moins fous que nous, dans le temps. Ils cherchaient moins la difficulté. Elle venait toute seule. Ils n’avaient pas les moyens que nous avons. »
Oui la difficulté venait à eux ! Grande sagesse à méditer par les adorateurs d’un passé repeint aux douces couleurs de notre temps si opulent mais si insoucieux de la collectivité et si tourné vers le charme de son pour soi. Comme l’écrit si bien Georges Bardawil, « Antoine Arena est tout d’un bloc. On le dirait taillé dans le calcaire duquel, il y a deux ans à peine, il arrachait à la barre à mine et à l’excavatrice de quoi agrandir Carco, la parcelle de trois hectares plantés sept ans plus tôt. Ce n’était rien qu’un hectare dont lui et ses deux fils, Jean-Baptiste et Antoine-Marie, peuvent être fiers. » Les voisin du village, les prenaient pour trois fous. Moi j’aime les fous ! Mais souvent les fous sont les seuls sages de la bande humaine, sans doute parce qu’ils défrisent les idées reçues on ne les prend pas au sérieux.
Quand Antoine dit « Les crises, c’est comme le vent, ça fait partie du paysage, et ça peut même parfois avoir du bon. L’homme est comme la vigne que le vent qui souffle oblige à s’enraciner dans son terroir ou ses certitudes. Je pense encore qu’une crise peut en cacher une autre, et même plusieurs. Il ne faut pas tout confondre, comme on nous pousse à le faire. » Des propos qui me vont droit au cœur et quand Antoine ajoute « Jusqu’à une époque récente, nous dormions sur nos deux oreilles. On se croyait non seulement les meilleurs, mais à peu près seuls au monde à savoir faire du vin. Et nous étions d’autant meilleurs que nous étions les seuls. On ignorait qu’il y avait des vins qui se faisaient ailleurs dans le monde (...) Et puis, patatras ! Ils sont bel et bien là. Et ils nous font concurrence. » je me dis qu’avec René Renou, chacun dans notre registre, nous étions certes des fous mais nous avions raison de bousculer l’establishment frileux.
Voilà, à ma manière, en utilisant le superbe matériau de Georges Bardawil, un hommage rendu à Antoine Arena. Mais si j’ai pris cette liberté avec la trame du portrait que trace, avec talent et passion, Georges Bardawil du vigneron de Patrimonio, c’est pour mieux vous donner envie de courir acheter* son bel ouvrage « Une promesse de vin : des terroirs et des hommes » chez Minerva. Ce livre bien plus qu’une simple galerie de portraits c’est l’œuvre d’un grand sourcier patient, attentif, sensible, d’un inventeur de trésors au sens de notre code civil, d’un découvreur de ceux que j’appelais dans ma jeunesse les héros du quotidien. Dieu que son éditeur est réducteur lorsqu’il présente son ouvrage comme une enquête, Georges Bardawil, arpenteur de terroir est à 100 lieux du gris sur gris des sociologues, à des années lumière des poseurs de questions ouvertes ou fermées, lui, à la manière des maîtres de la géographie humaine, il va vers les hommes et les femmes de la vigne, se pose, les écoute, prend le temps, c’est tout juste si le balancier de la comtoise ne rythme pas ce temps qu’il laisse à ses interlocuteurs pour qu’ils se confient, se laissent aller à nous dire ce que la vigne et le vin a fait de leur vie.
Avant de quitter la Corse et Antoine Arena je voudrais lui dire à propos du brocciu avec lequel Marie Arena a fait le fiadone ( l’ouvrage de Georges Bardawil offre des recettes du cru en fin de chaque portrait, si je puis m’exprimer ainsi) comme Émile Bergerat dans son livre Souvenirs d’un enfant de Paris 1887 : « Qui n’en a pas goûté ne connaît pas l’île » et ainsi de m’attribuer, pour ma capacité à le manier pour préparer l’Organetti di a Marina, un simple certificat d’étude primaire d’intermittent de la l’occurrence une Cuvée Lissandra 2008 Patrimonio blanc chez Lavinia 30,50 € /la bouteille et 27,45 € / par 6 (commentaire : Le Vermentino, le grand cépage des blancs corses, donne ici – sur terroir calcaire – un vin magnifique de fraîcheur, d’élégance florale et de finesse minérale) se marierait bien avec mon Organetti di a Marina
* l’ouvrage de Georges Bardawil n’est disponible que sur demande soit chez les producteurs et chez l’auteur. Je peux servir d’intermédiaire bénévole pour les amateurs.