« Être poète à ses heures » dit-on, la poésie au temps de mes culottes courtes se déclinait en récitation de poésies : « Ô combien de marins, combien de capitaines/Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines, /Dans ce morne horizon se sont évanouis! /Combien ont disparu, dure et triste fortune! /Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune, / Sous l’aveugle océan à jamais enfouis! » Océano Nox de Victor Hugo débité à la vitesse d’un TGV, ânonné, bafouillé, bafoué, humilié par des moutards surtout soucieux de se débarrasser d’un pensum, perdait son souffle épique, se voyait ravaler à un triste slam.
Qui aujourd’hui se souvient de Georges Pompidou, le successeur du Général ? Pas grand monde, et pourtant il fut un Président de la République qui lors d’une conférence de presse, en réponse à un journaliste qui l’interrogeait sur le destin tragique de Gabrielle Russier, convoquait Éluard :
Comprenne qui voudra
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta
Sur le pavé
La victime raisonnable
A la robe déchirée
Au regard d’enfant perdue
Découronnée défigurée
Celle qui ressemble aux morts
Qui sont des morts pour être aimés
Une fille faite pour un bouquet
Et couverte
Du noir crachat des ténèbres
Une fille galante
Comme une aurore de premier mai
La plus aimable bête
Souillée et qui n’a pas compris
Qu’elle est souillée
Une bête prise au piège
Des amateurs de beauté
Et ma mère la femme
Voudrait bien dorloter
Cette image idéale
De son malheur sur terre.
Qui se souvient que ce Président de la République, normalien, amateur de bonne chère et de bon vin, fut l’auteur en 1961 d’une Anthologie de la Poésie Française fort classique ? À mon avis pas grand monde mais sans doute est-ce là le signe d’un temps oublieux d’un passé de moins de 50 ans. Dans sa préface à une autre Anthologie de la poésie se limitant au XXe siècle, Claude Roy écrivait « toute anthologie est une provocation. Elle souhaite provoquer chez le lecteur ignorant, et qui voudrait ne pas le rester, le désir d’aller explorer les domaines et les œuvres dont on lui indique les entrées. Elle avive sa curiosité par un échantillonnage judicieux mais limité. Mais pour le lecteur déjà mieux informé elle est fatalement une provocation au refus, à la destruction du florilège qu’on lui propose, et à une reconstruction personnelle. La fonction première d’une anthologie, c’est de donner envie « d’y aller voir soi-même. »
Donner envie, voilà bien un formidable défi que ce sont donnés les vignerons des Coteaux de l’Aubance en 2008 en souhaitant associer leurs vins, leur terroir mêlant les reflets de l’ardoise aux tons dorés du grès, aux mots de la poésie. Ils ont donc sous la houlette de Gérard Cogan (oenologue-conférencier) et Laura Naudeix (professeur de lettres) organisé un Concours « Vins&Poésie Ballade entre Loire et Aubance » La prochaine édition se déroulera le samedi 19 mars au Château de Brissac. Si d’ici-là vous vous sentez l’âme rimailleuse vous pouvez concourir : le règlement et le bulletin de participation sont téléchargeables sur www.vinsdeloire.fr et www.ot-brissac-loire-aubance.fr . La date limite d’envoi étant le 28 février.
Je vous livre un poème du cru 2010 par Adélaïde Pitré
Expression du Chenin
Au matin.
Des arbres, des fleurs, un chemin,
Un jardin.
Sur cette tendre aquarelle
Chaleur et fraîcheur y mêlent
Autant de Soleils que de gouttes de rosée ;
Transparence d’un lavis jaune serin parsemé
Transpercé d’éclats d’or
Et de reflets du soleil.
Livrée est la clef secrète de cet univers,
Libéré notre imaginaire.
Un vent doux léger se lève,
Caresse chargés de multiples senteurs.
L’éclosion du bouquet
Picote le nez qui s’émoustille
Et reconnaît :
La douceur vanillée des matins endormis,
Le réveil piquant d’un pamplemousse enhardi,
l’accent tonique du chèvrefeuille épique.
Plongé dans la toile,
Les sens éveillé par ce tourbillonnant
Délice d’onctuosité né de cette union naturelle ;
Je savoure
Je me fais l’ami du temps qui passe
J’attends.
Belle et jeune initiative que je ne peux que soutenir mais si je puis me permettre un conseil je trouve que les organisateurs devraient ouvrir un peu plus largement les fenêtres de l’imaginaire, ne pas enfermer leur concours dans une relation trop directe et explicite entre un vin et un texte. Emprunter des chemins de traverse, se laisser-aller à une plus grande liberté de ton et de mots me semblerait bien plus porteur de poésie. Pour prendre une image : s’il vous prend l’envie un jour de séduire, de conquérir une belle avec des mots, les vôtres bien sûr, en une forme que vous souhaitiez poétique, prendre des chemins détournés, s’adonner à la légèreté, s’ingénier à la faire sourire ou rire, n’exige pas pour autant que vous la nommiez. Une plume trop bridée, enserrée, ne donne pas sa pleine mesure, elle chemine alors qu’elle devrait s’envoler, nous transporter.
En un temps où je vivais au milieu de la forêt j’avais gratté un opuscule « Accrocs de vie » où je m’essayais à une forme de poésie un peu brute. Celles qui y avaient jeté leurs yeux trouvaient ça bien mais je les soupçonnais d’une bienveillance coupable à mon égard. Mon assistante, sans me le dire, envoya le manuscrit chez POL ou aux éditions de Minuit je ne me souviens plus, où elle avait un ami. Le retour fut favorable mais il me fallait retravailler certains textes. J’en étais bien d’accord mais le temps me manquait. Donc par bonheur pour l’éditeur le manuscrit est resté sagement dans mes archives. Je vous livre une strophe d’un accroc, une seule car le reste n’est pas sortable...
Adelphine Volant
Née Cerf
Etait la toute petite propriétaire
D’un arbre à pain planté par son grand-père
A l’extrême pointe de l’Entre-deux-Mers
Là où les eaux léchaient les premiers arpents
Du lieu-dit Merle Blanc
Sur la terre où les Cerfs
Venaient à chaque saint Vincent
Sous la voute claire du ciel aux portes de l’hiver
Convoler avec le vent...
Que les Vins des Coteaux de l’Aubance Anjou Villages Brissac fassent de beaux enfants avec la poésie. Merci à Daniel Macault du Domaine des Deux Moulins www.domaine2moulins.com de m’avoir fait part de cette initiative... Bon vent à tous et à toutes pour ce petit brin de poésie avec je l'espère un peu plus de folie pour glisser u peu plus de douceur dans ce monde de brutes !