Dans le hall 1 de la porte Versailles s’exposent les races des animaux domestiques élevés pour la consommation de leur chair ou de leurs produits. Adieu veau, vache, cochon, couvée, pour la pauvre Perrette et son pot au lait… mais qui serait encore capable de décliner les noms de ces races ? Le consommateur achète, du bœuf, du veau, du porc, du mouton, du poulet, des œufs, du lait…mais se réfère pas très souvent aux races des animaux. Bien sûr, dans les souvenirs des plus anciens subsistent quelques noms surtout chez les bovins… mais les consommateurs qui se disent éclairés achètent des signes de qualité certifiés par le Q de l’INAO ou pour l’AB d’organismes du type Ecocert. Vous me direz ça suffit à notre bonheur, la race de la bestiole n’est pas un gage de qualité, ce qui compte ce sont les conditions d’élevage, la nourriture des animaux. Certes, certes mais est-ce que le Roquefort serait le Roquefort sans les brebis de Lacaune ? Et mon bon lait de vache Jersiaise, et les œufs de Marans, et la poule de Houdan, et le porc cul-noir du Limousin ou celui de Bayeux, et la Géline à pattes noires et le Coucou de Rennes…
Bref, profitant des derniers jours de ce salon de l’Agriculture qui est, pour sa façade le Grand salon des animaux, je vais prendre la défense des poules de France et d’ailleurs. Rappelons-nous, la première attaque, de ce qu’on qualifie à juste titre souvent la bouffe industrielle, se porta sur la poule. Quand j’écris la poule c’est que pour faire du poulet il faut faire pondre un œuf à une poule fécondée par un coq. La croissance rapide de cette bestiole, son confinement facile, en ont fait la proie des fabricants d’aliments industriels pour le bétail. Dans le grand Ouest où la terre était rare et les bras nombreux ils ont trouvé des jeunes qui, pour rester au pays, ce sont mis à élever des poulets hors-sol. Je sais de quoi je parle puisque j’ai vu mon frère Alain se laisser convaincre par l’entreprise BVT, être à deux doigts de sombrer avant d’être récupéré par le leader charismatique Bernard Lambert président de la SICA-SAVA qui faisait dans le poulet de chair. Il fut ensuite bouffé par Tilly lui-même absorbé par Gérard Bourgoin l’homme d’Auxerre. L’INRA inventait sa Vedette, petite poule qui fabriquait de gros poulets et Jean Ferrat put ainsi, dans la montagne est belle, chanter :
Leur vie ils seront flics ou fonctionnaires
De quoi attendre sans s’en faire
Que l’heure de la retraite sonne
Il faut savoir ce que l’on aime
Et rentrer dans son H.L.M.
Manger du poulet aux hormones…
Le titre de ma chronique « Défense et illustration des incomparables races de poules françaises » est tiré d’un de ces petits opus dont était friande la France du Maréchal qui aimait tant la terre qui « elle ne mentait pas… » (Formule écrite par Emmanuel Berl). J’en tire pour cet afterwork deux petits extraits qui, avec leur côté rétro, posent assez bien une partie de la problématique de l’agriculture française sous son aspect production animale de qualité où une pure approche élitiste, qui ne permet pas de porter au plus grand nombre des produits authentiques de qualité, est le plus sûr moyen de faire la plus grande place à une alimentation standardisée. Pour sauver des races en voie d’extinction ou leur redonner des couleurs, faire qu’on les trouve à des prix abordables mais rémunérateurs pour que des éleveurs puissent en vivre, il n’y a qu’une seule et unique voie : que les consommateurs mettent leurs actes d’achats en conformité avec ce qu’ils disent souhaiter. Et ce n’est pas une question de pouvoir d’achat : il suffit pour cela d’analyser le contenu d’un caddie pour s’apercevoir que le recours au prix les plus bas que bas pour l’alimentation s’accompagne de choix de produits qui creusent des trous dans les budgets : les forfaits des mobiles en est l’exemple le plus frappant.
Je radote peut-être mais telle est la réalité des choix d’une grande majorité de nos concitoyens et tous les beaux discours sur la nécessité de maintenir des éleveurs dans des zones difficiles resteront vides de sens si celles et ceux d'entre eux qui choisissent de créer de la valeur, se heurtent à l’indifférence du plus grand nombre. Pas sûr que les 4i de la génération Y aient vraiment très envie que ses nuggets soient faits avec du bon poulet bien de chez nous, elle s’en fout de l’origine mais elle conduira sans doute ses chiarres voir les Gélines à pattes noires à la Porte de Versailles pour défendre le respect de la nature : « Anatole ne touche pas à ce poulet, c’est sale… »
Le 15 février 1934, M. Best, directeur de « Lafayette Poultry Farm écrivait dans Vie à la campagne :
« Mon expérience en Amérique… tend à me faire croire que la France ne pourra jamais concurrencer la marchandise de second ordre faite à des prix bon marché, et, d’autre part, les autres pays ne pourront jamais concurrencer les Français s’ils continuent à développer leur génie comme artisan, qui a fait leur réputation internationale.
Laissons la quantité aux étrangers, mais veillons pour qu’ils n’arrivent pas à faire en série des produits dépassant en qualités et quantités ceux faits par nous-mêmes.
Le résultat de la qualité se trouve dans le cours des Halles où vous voyez, par exemple aujourd’hui des œufs qui se vendent 45c et d’autres 1fr05, c’est-à-dire qu’il y a abondance d’une qualité et manque d’une autre.
Il ajoutait : « nous avons ainsi trouvé que les clients se rappellent la qualité longtemps après avoir oublié les prix. »
L’auteur de « Défense et illustration des incomparables races de poules françaises » Louis Serre, dans le style incantatoire que nous affectionnons exhortait les éleveurs de poules :
« Jadis nous avons sacrifié les races de Barbezieux, La Flèche, Le Mans, Crève-cœur, qui ont fait la gloire de la cuisine, de la bonne chère française, mondialement réputée, pour sourire aux nouvelles venues d’Amérique. Nous avons eu le tort de laisser péricliter ces races incomparables, au point qu’il n’e reste que de rares représentants et sans doute dégénérés. Allons-nous aujourd’hui sacrifier nos Bresse, Gâtinaises, Faverolles, Marans, Gournay, Bourbonnaises, Bourbourg, Caussades, Gélines de Touraine, Caumont et tant d’autres sur l’autel consacré au culte des races anglo-saxonnes ? Non, vous dis-je, non. Notre sottise a des bornes et la masse de nos aviculteurs de bonne foi viendra à résipiscence. »
Qu’en reste-t-il, hormis la Bresse ?
Voir Nos belles poules françaises http://www.gallinette.net/francaise.htm
Que conclure de mes histoires de poules ? Rien, si ce n'est que j'ai lu dans une savante étude que notre Industrie Agro-alimentaire bénéficiait à l'exportation d'un avantage comparatif par rapport à ses concurrentes : une image de qualité de ses produits de base. Alors, que faisons-nous pour mettre chaque jour un peu plus de réalité dans ce constat ? Plutôt que d'arpenter les allées d'un salon de carton-pâte nos décideurs devraient dépoussiérer leur approche de l'activité des éleveurs et des viticulteurs... au lieu de ne se focaliser que sur les producteurs de commodities internationales...
Avec leurs mains dessus leurs têtes
Ils avaient monté des murettes
Jusqu’au sommet de la colline
Qu’importent les jours les années
Ils avaient tous l’âme bien née
Noueuse comme un pied de vigne
Les vignes elles courent dans la forêt
Le vin ne sera plus tiré
C’était une horrible piquette
Mais il faisait des centenaires
A ne plus que savoir en faire
S’il ne vous tournait pas la tête...