De Gaulle avait des goûts simples mais, comme tout bon militaire, un solide coup de fourchette. On raconte que sur le paquebot qui le menait à Tahiti en 1956 voyant Olivier Guichard ne pas prendre du potage, le Général s’exclama « Comment peut-on reconstruire un pays avec des gens qui refusent le potage ! » Selon son beau-frère Vendroux on ne lui connaît qu’une faiblesse : les œufs à la neige. Pour les fêtes à Colombey un pâtissier de Troyes livre un vacherin aux marrons que la famille du Général a baptisé un Pompidou. Le chef pâtissier de l’Elysée assure que le Général n’aime guère les douceurs mais que tante Yvonne se laisse facilement séduire par la poire Bourdaloue.
Dès son arrivée faubourg Saint-Honoré le général avait prévenu « Je ne veux pas de gaspillage. Il y en a eu trop avant dans cette maison. L’économe tante Yvonne veillait à ce que soient respectés les souhaits du Général, parfois un peu trop au pied de la lettre comme en témoigne cette anecdote contée par madame Claude Dulong dans la « Vie quotidienne à L’Elysée sous Charles de Gaulle ». Lors d’une visite du shah d’Iran il était prévu 40 invités à déjeuner, en conséquence de quoi 40 pigeonneaux – pas un de plus – avaient été préparés. Mais, catastrophe, au dernier moment le shah arriva avec deux attachés militaires de plus. En hâte deux biftecks furent préparés. On les destinait « aux bouts de table occupés par des gens de la maison habitués à tous les sacrifices. »Le malheur voulut que le maître d’hôtel, sans doute novice, ignorait qu’en dehors de ses appartements le chef de l’Etat devait être servi le premier en même temps que le souverain reçu. Il se vit donc proposer l’un des deux biftecks alors que dans les assiettes de ses voisins il voyait des pigeonneaux. Il demanda des explications. Face au cafouillage il demanda sèchement « Qu’on m’apporte un œuf ! » et se vit resservir un autre bifteck, sans doute le second prévu. Il y eut après le repas, dit-on, une explication un peu vive dans le bureau du Général.
Cependant le Général voulait « que les choses se passent avec ampleur et mesure, bonne grâce et dignité » et il soulignait »C’est bien aussi ce que veut la maîtresse de maison, ma femme. Nos réceptions sont donc fréquentes et nous tâchons qu’elles soient de bon ton. » Kroutchev fut gratifié d’un bar braisé, d’une poularde de Bresse et d’une glace Montmorency. Mais c’était toujours à un train d’enfer : ainsi l’acteur Pierre Bertin invité à l’Elysée, fin gourmet, raconte « Il y avait de superbes langoustes. Les trouvant excellentes, j’en repris. Mais tout alla si vite que je n’eus pas le temps de toucher à ma seconde portion. Quand au champagne servi à la fin du repas et que j’adore, je n’eus pas le temps de le boire car, au moment où je trempais mes lèvres dans la coupe, le général se levait ! »
Pour compléter ce petit tableau quelques anecdotes sur De Gaulle et le vin tirées du livre de Corinne Lefort et Karine Valentin Grand Palais :
« Tout juste apprenons-nous qu’au menu de son repas de noces figuraient un barsac, un haut-pomerol, un pommard et du champagne [...]
Par contre lorsque Yvonne, en bonne chrétienne, décidait de faire maigre le vendredi et dissuadait ainsi le sommelier de servir du vin blanc au Général, celui-ci tempêtait à son encontre en lui rappelant qu’un militaire pouvait bien être dispensé de cette pratique. [...]
Lorsque Charles de Gaulle séjourne à Colombey, la famille se retrouve autour de plats bien traditionnels, assez roboratifs. [...] Le dimanche chez les De Gaulle, on prépare de la soupe, des tripes à la mode de Caen, de la blanquette de veau et on finit par de la mimolette, le tout accompagné d’un ou deux verres de vin de pays servi par le Général en personne. Parfois, en soirée, le grand homme s’autorise un doigt de Porto en suivant le journal télévisé. »