Cette histoire est extraite d'une nouvelle de Frédérique Echard : Le balcon publiée dans un livre collectif Les dernières nouvelles de Rome publié pour les cinquante ans de la librairie française de Rome Piazza San Luigi de' Francesi, 23 par La Procure, Palombi et la Librairie Française de Rome. Je la dédie à ceux de mes lecteurs qui ont séjourné à Rome. La narratrice y vit près de la via Sforza sur un boulevard assez fréquenté qui relie la place Cavour à celle du Risogimento. Avec des grands immeubles du XIXième et des trottoirs bordés d'arbres il fait très haussmannien. De ce boulevard souvent arpenté elle ne voyait rien, sauf un balcon installé au premier étage d'un palazzo cossu. Ce balcon, profond et long " dévidait de bout en bout une ballustrade en fer forgé délicatement ouvragée et arborait, neuf mois sur douze, une végétation dense et emmêlée, d'où émergeaient dans la gamme des verts un jasmin, un laurier rose ou un bouguinvillée..." Ce balcon la fascinait.
Elle s'étendra sur deux chroniques. Imprimez-les pour les lire à la fraîche en buvant de "l'Est ! Est !! Est !!!" qui est un vin blanc de Montefiascone, près du lac de Bolsena. Les points d'interrogation ne sont pas toujours portés sur les étiquettes mais c'est un vin célèbre à Rome, sec ou plus souvent doux, jaune foncé, même si ce n'est pas un grand il faut le goûter rien que pour sa légende. Sa légende veut qu'il remonterait à l'an 1111 au cours duquel un certain évêque Fugger fit un voyage d'Allemagne à Rome. le prélat très pointilleux sur le chapitre du vin envoya un de ces hommes de confiance goûter les vins dans toutes les auberges et les tavernes de la route. S'ils lui semblaient bons l'homme devait écrire près de la porte "est" et dans le cas contraire "non est". Bref tout se passa normalement jusqu'à ce qu'il atteigne Montefiascone. Là, à peine eut-il goûté le vin qu'il ressortit en trombe écrire sur le mur : "Est ! Est !! Est !!!". Selon la légende, lui et son maître en burent, heureux jusqu'à leur mort.
" Et voici l'histoire étonnante que mon mari me raconta...
Au-dessus de la boîte de nuit vivait depuis des lustres une vieille dame.
Quand le club avait ouvert, elle n'avait pas apprécié ! Ce qui la dérangeait le plus, ce n'était pas le fait que les murs de son appartement, à partir de 23 heures, se missent à vibrer au rythme abrutissant de la musique. Non, le plus gênant, c'étaient les stations prolongées des garçons et des filles qui attendaient pour entrer, ou qui prenaient le frais avant de se replonger dans l'atmosphère moite et enfumée de la discothèque.
De sa chambre donnant sur le boulevard, que sa fenêtre soit fermée ou non, la vieille dame entendait leurs éclats de voix et de rires comme au milieu d'eux. Ils montaient jusqu'à elle par vagues, certaines immenses, d'autres plus ouatées. Le flux et le reflux de cette marée de sons duraient sans s'interrompre jusqu'à l'aube. Au lever du soleil, il n'était pas rare de voir encore quatre ou cinq personnes conversant sous le balcon aussi paisiblement que si la soirée commençait et qu'elles n'eussent pas dû, bientôt, rentrer chez elles.
Difficile de dormir dans ces conditions. C'est l'argument que la vieille dame avança, par l'intermédiaire de son avocat, dans le procès qu'elle fit aux propriétaires de la boîte de nuit.
Comme toute chose en Italie, l'affaire s'éternisa. Mais la dame n'en avait cure, elle était riche, désoeuvrée, patiente. Et après une longue procédure, un matin d'avril, le juge - que le retour du printemps avait peut-être rendu sentimental - délivra un avis d'expulsion de la discothèque.
La vieille dame en fut si heureuse qu'elle alla sur-le-champ se saisir dans le buffet du salon, de la bouteille de Grappa à laquelle personne depuis la mort de son mari, ne touchait plus. Elle s'en servit non pas un, mais plusieurs verres et si elle ne dormit pas la nuit suivante, les clients du club n'y furent pour rien : elle avait somnolé l'après-midi entier.
Puis elle recommença à attendre.
à suivre demain