" Sortez les sortants ! " le slogan de Pierre Poujade, le papetier de St Céré en révolte contre le fisc, a la simplicité des idées courtes qui séduisent ceux du troupeau à la recherche d'un berger et qui sont prêts pour toutes les aventures. Mon souvenir de lui, alors qu'il entamait son déclin, c'est de l'avoir vu sur un ring de catch haranguer les artisans-commerçants de chez moi. Au cours de son discours échevelé il se défit de sa chemise. Avec mes copains nous étions venus pour le bourreau de Béthune et l'Ange Blanc et nous découvrions un illuminé qui finira dans un bureau de l'Elysée auprès d'un Président issu de la IVem République brocardée par le leader de l'UDCA pour son régime parlementaire.
L'élu brocardé, en l'occurence à cette époque le député, occupe une place très particulière dans le bestiaire politique des Français. A la fois flatté, pour gagner ses faveurs, et vilipendé, pour les facilités liées à ses fonctions, elle ou lui, est en permanence écartelé(e) entre sa fonction de législateur au Palais Bourbon et son terreau : ses électeurs. Il est bien loin le temps où le député Indépendants et Paysans du Marais Breton, Boux de Casson, prétendait qu'il pourrait présenter son âne à sa place et qu'il serait élu. De nos jours, madame ou monsieur le député(e), hante les maisons de retraite, tient permanence, guérit les écrouelles : c'est l'assistante sociale des temps post-moderne. Les électeurs - du moins une partie d'entre eux - exigent un juste retour à leur bulletin de vote.
Alors, le ou la pauvre député(e), bardé(e) d'un ou deux assistant(e)s, engrange les demandes en tout genre : au temps de la conscription l'intervention auprès du Ministre de la Défense venait de très loin en tête du hit-parade, pour les dispatcher, courrier à l'appui vers les Ministères parisiens, les administrations locales ou tout autre lieu de pouvoir. Pour ma part j'ai le souvenir des fins de journées, face aux piles de parapheurs, où il me fallait éplucher une à une les réponses proposées à la signature du Ministre. Un vrai pensum ! L'image criante d'un pays hypercentralisé où tout et rien remonte à Paris. Que d'énergie et de temps dépensés pour l'obtention d'un maigre résultat. Pour la petite histoire, dans le fatras gris, de vraies perles, mais aussi des demandes de prébandes incroyables, telle celle d'un père ou d'une mère, je ne sais plus, intercédant auprès du Ministre pour que son rejeton ou tone, mal classé(e) au concours d'entrée à l'Ecole Nationale Vétérinaire de Maison-Alfort puisse faire saute-moutons par-dessus ceux de devant afin que s'ouvrent les portes de cette Ecole prestigieuse. Et, bien sûr, le député du cru appuyait de tout son poids électoral cette demande. Faut pas se gêner, plus c'est gros plus ça passe !
Nos élu(e)s, ceux que nous allons élire au cours de ces élections législatives, sont à notre image, reflets de nos faiblesses, de nos insatisfactions, de nos ambitions, de tout ce qui fait la pâte de la nature humaine. Alors, soyons justes avec eux, demandons leur avant tout d'être des bons législateurs, pas des voteurs de lois mais des élus qui vont oeuvrer au bien commun, élaborer, discuter des textes qui vont faciliter la respiration de notre démocratie, faire remonter au Parlement les soucis quotidiens des Français. Dans une démocratie apaisée, où l'alternance n'est pas la fin d'une guerre et le début d'une autre, mais l'expression de la volonté populaire, de grâce, n'accablons pas nos élus de demandes "de confort ", ne les transformons pas en assistante sociale. Participer activement au travail législatif est plus important que d'être présent au vin d'honneur de l'Amicale des Boulistes du canton ou au goûter du club des brodeuses de Romorantin. Allez, bonne votation, chers lecteurs, je viens de rentrer en pleine forme de mon périple dans la Sierra de Cazorla et j'ai constaté votre fidélité à mes petites chroniques. Merci !