Ma mère, à qui je refusais obstinément de révéler le nom du père, voulait me confier à une faiseuse d'anges de Nantes. Pour me rassurer, se déculpabiliser aussi, elle osait affirmer que c'était une femme sérieuse, une vraie professionnelle qui avait pratiqué son art avec un gynécologue. Je cranais. " T'as été une bonne cliente ! " En retour je recevais la première paire de claques de ma vie. Sous le feu je la traitais de putain. Elle ne cillait pas, sa bouche devenait mauvaise, je la sentais touchée au plus profond. Le sourire las de mon père me retenait de lui balancer des horreurs sur sa part dans sa fin tragique. Affrontant mon regard ironique elle le lisait dans mes pensées. Ses mains se tordaient. " Que sais-tu de ton père ? " La question me prenait de court. Je me sentais toute petite, démunie. Ma mère hésitait. Il fallait que je sache. " Dis-le moi ! " Notre face à face l'empêchait de se dérober. " Après tout, il vaut mieux que tu le saches, ça te permettra peut-être de devenir adulte... " Mon coeur se levait, souffle court je m'attendais au pire. Et ce le fut. Mon père n'aimait que les garçons, les petits. Ma mère parlait de cet homme, soudain jeté à bas de son piédestal, avec tendresse. La douleur venait de changer de camp.
Les jours suivants furent de plomb. Ma petite tête d'oiseau oscillait entre l'envie de porter cet enfant venu se nicher dans mon ventre sans que je le souhaite et une rage meurtrière me poussant à aller trancher le sexe de mon amant. Pas une larme ne sortait de mes yeux, ma sécheresse m'étonnait, me terrorisait. J'aurais aimé fondre. Me réfugier dans les bras de maman. Toutes les deux nous ne savions pas comment trouver une plage de compréhension. Moi, bravache, je campais sur mon statut tout neuf de future mère. Je me voyais déjà donnant le sein à cet enfant à moi, rien qu'à moi, sans père. Désabusée ma mère se contentait de me répondre qu'elle respecterait mon choix mais qu'il me faudrait me mettre au travail pour l'assumer. L'argument pesait de tout son poids. Comme mes affaires scolaires végétaient dans le marais de ma paresse et, qu'au mieux, elles me conduisaient tout droit à finir comme couturière dans une usine du coin, ma fibre maternelle se refroidissait. Mon salut vint de mon beau militaire. Lorsque je lui annonçai la nouvelle, après un coït violent dans la paille d'une grange, il se montra à la hauteur de l'évènement. Tendre il s'enquit d'abord de ma santé, puis, jugulaire, jugulaire, il m'assura qu'il assumerait toute sa responsabilité. Il tint parole. Quinze jours plus tard je partais par le Nantes-Lyon-Genève rejoindre une clinique suisse huppée.
Et pendant ce temps là, à Paris, nous sommes en plein potage car la machine à remonter le temps s'est mise en route subrepticement, constatez-le par vous-même sur la photo ci-dessous :