A toute chose malheur est bon disait mémé Marie. Ralliant samedi Montpellier nuitamment pour participer au colloque Vignerons Européens de Slow Food le lendemain, j'ai eu le bonheur d'être pris en charge par des amis, de ceux dont notre viticulture attend beaucoup, le genre étoile du berger. Après un dernier verre nous devions gagner un gîte au pied du Pic St Loup, une pure merveille selon notre guide qui fut, en son jeune temps, adorateur d'un grand timonier. Bref, bien installé dans une spacieuse limousine, moi surtout, nous avons fait le tour du Pic St Loup, tels des derviches tourneurs, sans jamais voir le bout de notre périple nocturne. Par bonheur, tout près de nous, le domaine de l'Hortus, hâvre de paix, nous ouvrait les bras. Nous y avons tous dormi, peu bien sûr, mais au matin, avec le jour naissant, l'accueil étonné de Jean Orliac et de son épouse fut d'une grande simplicité chaleureuse. Grand merci pour l'hospitalité, le petit déjeuner, la courte ballade les pieds dans la rosée face au Pic St Loup, la visite du chais, et encore cette si rare disponibilité. De cette rencontre vous bénéficierez d'un texte écrit par Jean Orliac. Il me plaît par sa sincérité et sa vérité. Il me plaît beaucoup plus que les PPM : propos post moderne du créateur de Slow Food au Corum. Dieu que les hommes se complaisent à adorer leur belle image, et pourtant sur le fond, hors de leur énorme égo, des passerelles se jettent au-dessus de fractures qui ne sont que des postures intellectuelles.
FAUT-IL TIRER SUR LA TECHNIQUE ?
"Aujourd'hui le discours dominant sur la "défense du vin" s'accompagne toujours d'un rejet de la technique. On oppose ainsi le vin "technologique" forcément "industriel" au vin authentique forcément "naturel". Celui-ci deviendrait un îlot de résistance dans un monde dominé par le monstre proliférant de la technique, monstre froid de la compétition se nourrissant de la destruction de toutes les diversités tant biologiques que culturelles.
Dans cette conception une seule voie s'offrirait à nous pour ré-enchanter le monde, mettre la Nature au centre (voire le Cosmos), s'effacer devant "Elle" en renonçant à nos oripeaux techniques, remettre l'homme à sa vraie place qui est marginale dans l'univers. L'essentiel pour le vigneron et l'homme en général ne serait plus d'élaborer un corpus de connaissances rationnelles visant à mieux comprendre ses pratiques pour les améliorer mais de se fondre dans le cosmos en pratiquant ce qu'il faut bien appeler le culte de la nature.
Au fond l'amour du monde passerait obligatoirement par la détestation des hommes, du moins de ceux d'aujourd'hui coupables de sacrifier à leur appétit de jouissance et à leur volonté de puissance.
Nous avons ici une sorte de constat qui, s'il met bien l'accent sur une des tentations des sociétés d'aujourd'hui, est aussi et surtout une position philosophique (c'est-à-dire pour faire vite, une théorie de la place de l'homme dans l'univers, une éthique, une doctrine de salut).
Cette position philosophique nous ne la partageons pas sans doute à cause des valeurs transmises par nos parents et grands-parents (c'est fondamental pour nous vignerons qui travaillons sur plusieurs générations) mais aussi parce que nous pensons autrement tout simplement.
Nous adhérons à une autre conception de l'homme qui, si elle admet qu'il se trouve dans la nature, le dote d'une liberté qui le fait échapper - au moins pour partie - à ses déterminations et le fait créateur de son histoire. La science par exemple est une tentative grandiose de se hisser à la hauteur de l'univers, tentative déjà perceptible dans l'invention des premiers outils comme elle l'est dans les religions, le langage et toutes les formes d'art.
Dans cette conception, la culture n'est pas un sous produit somme tout périphérique de la nature, mais une authentique création dialoguant avec elle.
Une création qu'il nous est impossible d'ignorer pour le meilleur ou, peut-être pour le pire, sauf à renoncer à notre condition d'homme.
Prenons l'éthymologie du mot "agriculture", "culture du sol", soit la transformation du sol à l'aide d'une visée culturelle, ou, dit autrement la production d'un écosystème nouveau dont l'équilibre n'est maintenu que par une action compréhensive (intelligente). Ce qui signifie, que pour nous le vin "naturel" n'existe pas, ou ce qui est équivalent, que tous les vins le sont, au sens où leur existence ne relève pas d'un miracle mais du domaine du possible défini par les lois de la physique, de la chimie et de la biologie, tous les vins sont naturels comme tous les objets fabriqués ou non, présents dans l'univers. Par contre il existe des vins plus ou moins culturels, ou pour le dire plus justement des vins dont la culture a présidé à leur élaboration est plus ou moins complexe ou sophistiquée. Il existe des vins de haute culture comme des vins de basse culture, les vins dit "industriels" appartiennent manifestement à cette deuxième catégorie.
Les cultures véritables qu'elles soient scientifiques, artistiques sont des produits de l'histoire, un phénomène d'accumulation constituant une tradition mais aussi une émergence de nouveautés radicales, ces nouveautés ne prenant véritablement leur sens que parce qu'elles entrent en résonance avec la tradition et qu'elles deviennent capables de devenir la tradition de demain.
Dans notre métier de vigneron nous sommes libres à toutes les étapes de l'élaboration de notre produit. Notre responsabilité est de choisir dans les innovations techniques celles que nous souhaitons transmettre à nos enfants. Cette responsabilité implique bien sûr la possibilité de se tromper, dans ce cas ce sera à nos successeurs de remettre l'ouvrage sur le métier, voire à nous-mêmes si notre vie est assez longue pour cela.
Nous espérons donc que pour cette année 2007 nous saurons, en exerçant notre liberté, faire évoluer nos savoir-faire dans un sens digne de l'histoire de ces objets infiniments naturels et infiniment humains que sont nos vignobles et les vins que vous aimez."
Jean ORLIAC www.vignobles-orliac.com
