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26 novembre 2006 7 26 /11 /novembre /2006 00:25

Le Comité de grève, réuni dans la salle des professeurs, recevait le Doyen, Claude Dupond-Pronborgne, flanqué de quelques professeurs, ceux qui ne s'étaient pas tirés, d'un paquet de maîtres-assistants et d'assistants penchant vers nous. Nous avions convoqué le Doyen - avec la dose de grossièreté qui sied à une assemblée dont c'était le seul ciment -  pour vingt heures, afin qu'il prenne acte de nos exigences. Pas question de négocier avec lui, même si nous n'étions d'accord sur rien, sauf de maintenir la mobilisation, il devait bouffer sa cravate. Sans protester, le Doyen et son dernier carré avait tout avalé. Tous arboraient le col ouvert, le tableau était pathétique. Tous à plat ventre, même Salin, l'un des futurs thuriféraires des papes de l'Ecole de Chicago nous donnait du cher collègue. Mais si eux étaient pathétiques nous, nous étions lamentables. Nous pratiquions une forme très primaire de langue de béton brut mal décoffré, grisâtre, granuleuse, du genre de celle qu'on utilise pour se lester avant de se jeter à la baille un jour de désespoir sans fond. " Sous les pavés, la plage..." Nous étions à cent lieux de la poésie de nos grafittis.


Vers onze heures, face à l'enlisement, je pris deux initiatives majeures : ouvrir en grand les fenêtres - le nuage de notre tabagie atteignant la cote d'alerte - et proposer une pause casse-croûte. Pervenche, avec son sens inné de l'organisation, à moins que ce fusse son atavisme de fille de chef, nous avait fait porter par le chauffeur de son père - sans doute était-ce là une application directe de l'indispensable liaison entre la bourgeoisie éclairée et le prolétariat qu'elle appelait de ses voeux - deux grands cabas emplis de charcuteries, de fromages, de pain et de beurre, de moutarde et de cornichons, de bouteilles poussiéreuses de Bordeaux prélevées dans la cave de l'hôtel particulier de la place Mellinet. Rien que de bons produits du terroir issus de la sueur des fermiers des Anguerand de Tanguy du Coët, nom patronymique de mon indispensable Pervenche. Quand au Bordeaux, le prélèvement révolutionnaire s'était porté sur un échantillon représentatif de flacons issus de la classification de 1855. Face à cette abondance, la tranche la plus radicale du Comité hésitait sur la conduite à tenir : allions-nous nous bâfrer en laissant nos interlocuteurs au régime sec ou partager avec eux notre pitance ? Ces rétrécis du bocal exigeaient un vote à bulletins secrets. A dessein je les laissais s'enferrer dans leur sectarisme.


Sans attendre la fin de leur délire je sortais un couteau suisse de ma poche, choisissais la plus belle lame et tranchais le pain. Face à ce geste symbolique le silence se fit. De nouveau je venais de prendre l'avantage sur les verbeux, leur clouant le bec par la simple possession de cet instrument que tout prolo a dans sa poche. Eux, l'avant-garde de la classe ouvrière, à une ou deux exceptions près, en étaient dépourvus. Dupond-Pronborgne étalait sur sa face suffisante un sourire réjoui : il exhibait un Laguiole. Je lui lançais " au boulot Doyen, le populo a faim ! " Spectacle ubuesque que de voir notre altier agrégé de Droit Public ambeurrer des tartines, couper des rondelles de saucisson, fendre des cornichons, façonner des jambons beurre avant de les tendre à des coincés du PCMLR ou des chtarbés situationnistes. Nous mâchions. Restait le liquide et là, faute de la verroterie ad hoc, nous séchions. Se torchonner un Haut-Brion au goulot relevait de la pire hérésie transgressive dans laquelle, même les plus enragés d'entre nous, ne voulait pas tomber. Que faire ? Face à cette question éminemment léniniste, nous dûmes recourir à l'économie de guerre, c'est-à-dire réquisitionner les seuls récipients à notre disposition soit : trois tasses à café ébréchées, oubliées là depuis des lustres ; deux timballes en fer blanc propriété de deux communistes de stricte obédience qui les trimballaient dans leur cartable, un petit vase en verre soufflé et quelques gobelets en carton gisant dans une poubelle.  

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commentaires

G
Bonjour.<br /> Apres avoir mangé votre petit texte ou la description de mon grand père n'est on peut le dire qu'une simple vision d'un vieux crouton avide de son passé peu glorieux. Je vous ecris afin de vous soumettre une petit suggestion. Jugez vous avant de juger les autres et même si vos ecrits sont ma fois correctes, la modestie ne semble pas etre votre point fort. <br /> Guillaume Fattal.
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J
Désolé pour votre grand-père mes écrits sont une pure fiction et j'ai emprunté le nom de Claude Durand-Prinborgne par commodité en pensant que mes petits écrits n'iraient pas jusqu'à des personnes l'ayant connu. Bref, je vais rectifier. Cependant, en 68 vous deviez être dans les limbes mais sachez que beaucoup de dirigeants n'ont pas eu une attitude toujours très digne face à nos délires. CDP je le concède fut de ceux qui tenta de sauver la face. Mon immodestie supposée tiendrait à l'écriture d'une autobiographie alors que je ne suis qu'un modeste littérateur. Les faits décrits n'ont jamais existé sous cette forme. Portez-vous bien mais comme l'écrit Maxime Le Forestier on ne choisit pas ses parents et sa famille. La vôtre est respectable donc soyez un bon petit fils comme je suis un bon grand-père... 
L
Un petit commentaire pour montrer ma venu sur ton blofg Bonne journée
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