Le titre de ma chronique de ce jour est emprunté à François Simon dans son « N’est pas gourmand qui veut » où, sur la quatrième de couverture, il écrit : « Le restaurant n’est donc plus ce havre consigné, cette salle des plats perdus, cette réserve de notables. C’est devenu le dernier théâtre des vies qui maraudent aux heures ultimes du jour, de la semaine. Comme si allaient apparaître le plaisir soudain, la révélation du sens enfoui, l’ivresse magique d’un Condrieu sur une chair blonde… » Ha ! le Condrieu, je suis sûr de l’avoir aimé d’un amour éthéré, car inaccessible, bien avant d’y avoir trempé mes lèvres ; un peu comme en mes jeunes années je fondais d’amour en contemplant, depuis le remblai des Sables-d’Olonne, les premières et rares, elles aussi inaccessibles, Suédoises venant se dorer sur la plage de sable blond.
En mes temps Viennois, j’aurais pu pousser jusqu’à Condrieu, et pourtant en dépit de ce que je viens de vous confier, je n’y suis jamais allé. Pourquoi ? Sans doute parce que mon métier, contrairement à celui de François Simon – même si pour moi goûteur s’apparente plus à une sinécure qu’à un boulot où il faut se lever tôt le matin – menait plutôt mes pas vers des lieux moins accueillants. Irais-je un jour ? Je ne sais, mais avant même que ce jour existât, je me devais de trouver le prétexte pour vous faire part de ma flamme juvénile, et jamais éteinte, pour cette blonde – l’appellation, bien sûr – toute d’or vêtue, un peu comme Charlize Théron pour la pub de Dior J’adore. C’est donc à François Simon, Figaro ci/Figaro là/Je suis fameux autant qu'un roi/ nul n’est parfait – Mougeotte mon dieu ! L’imprécateur Lapaque du Littéraire doit en manger son black béret – dont j’apprécie le talent de plume et l’éthique professionnelle, que vous devez l’accouchement de cette chronique. Bien mieux que moi, qui en serais resté à mes fantasmes féminins, d’extase et d’épectase, il sait trouver les mots pour chanter ce vin quasi-divin.
« Condrieu au sud de Lyon (cinquante kilomètres pile) a tout simplement de la veine, s’y écoule un vin de rêve, le condrieu précisément. Vin blond, du soir, de fleurs blanches, pamplemousses, légèrement toasté, beurré pour tout dire, une petite merveille, gentiment ignoré, surcoté pour les spécialistes, bah, ces derniers ont probablement raison, laissons-les à leurs thermomètres, leurs températures trop chaudes, à farfouiller dans les durites et les pistons, l’inox et les polyphénols, la glaise et le glaive ; les chais moroses, les caves froides, debout, une main dans la poche, le buste en avant, le verre dans le nez ; pour ma part, ma religion est toute faite, le vin, c’est à table. Ou en bibliothèque, sur une nappe de pique-nique, dans un lit, dans la cabine d’un train, sur la banquette arrière d’une automobile. » Quel régal ! Cependant, je me dois d’avouer que je suis un sournois car, pratiquant la même religion que lui, avec les mêmes rites, je lui ai confié le soin de chanter la messe en mes lieux et places. Certes, j’ai commis une chronique : les positions du vin : debout, assis, couché, qui plaidait la même cause http://www.berthomeau.com/article-21377653.html mais lui le dit avec une vacherie fort pertinente.
En rester « au vin blond du soir », décolleté vertigineux, ongles carminés et fleur de jasmin dans les cheveux, m’exposerait aux lazzis des experts et, comme je n’aime rien tant que de céder aux délices de la provocation, j’ai décidé de confier la chute de cette chronique à Susy Atkins, une anglaise experte en vin qui écrit dans le Sunday Time, qui fait de la télé sur la BBC2, qui en 2004 a été nommée par l'International Wine & Spirit Competition «Communicateur de l'année», qui a de l’humour, du peps et de la fraîcheur. Sa question sur le Viognier : « Viognier, the « New Chardonnay » ? » , dont le Condrieu est la maison-mère, et sa réponse me ravissent.
« Utterly, fantastically, fashionable daahhling. As hip as Gucci, as chic Agnès B. Why? That’s a bit like asking why hemlines rise and fall, though we reckon a lot of it is down the fact that Viognier’s original stomping ground, the Northern Rhône, has itself become one of the most fashionable wine region in the world. When the Rhône star was in the ascendant, everything associated with it rose in people’s estimation, even a half-forgotten, obscure variety like Viognier. Equally, it has such an incredible aroma that after one sniff, winemakers around the world fell under its spell. Whatever the case, Viognier has been plucked from chorus line like Alice Faye * in a 1920s musical»
* Alice Faye est une actrice, danseuse et chanteuse américaine. Elle fut une des reines des comédies musicales de la 20th Century Fox. www.alicefaye.com/
C’est bien beau tous ces mots mais pour boire y’a pas photo il faut dénicher le bon flacon chez le bon vigneron. Que faire ? Me plonger dans un guide ? Ce n’est pas ma tasse de thé. Alors me vint une idée : consulter des gens du coin, leur demander leurs préférences. Ce que je fis. Par retour, il me fut donné 3 noms. J’ai, par commodité, commencé par téléphoner au premier vigneron conseillé. S’il me permet l’expression, je suis tombé directement sur lui. Présentation faites je m’enquis auprès de lui de là où je pourrais trouver un flacon de son vin à Paris. Christophe Pichon – c’est le nom de mon vigneron – avec beaucoup de gentillesse chercha à me donner l’adresse la plus proche de mon domicile. Et puis tout au bout de notre conversation, sans façon, il m’a proposé de m’envoyer une bouteille. J’ai accepté car ce geste m’a honoré moi qui ne suis ni un critique à gros tirage ni une star de la note mais un petit bloggeur solitaire. J’ai remercié Christophe Pichon. L’homme dégage une réelle empathie et mon impression a été confirmée par ce que j’ai lu par la suite sur la toile : « Christophe Pichon est un homme respectueux. Calme et pondéré il envisage son métier de vigneron avec philosophie et humanisme et ne prétend pas révolutionner le petit monde viticole du Rhône septentrional autrement qu’en persévérant dans la voie rigoureuse qu’il s’est tracée depuis ses débuts en 1985. » J’ai reçu la bouteille. Je l’ai photographiée. Je vous la propose avant même de l’ouvrir car déboucher un Condrieu au débotté pour le déguster debout dans sa cuisine constituerait une désinvolture inacceptable. Comme je suis un buveur assis, je le proposerai lors d’un repas entre amis et, bien sûr, je trouverai l’occasion de chroniquer sur lui. N’attendez-pas pour autant, notez les coordonnées de Christophe Pichon 36 les Grands Val, Verlieu, 42410 Chavanay0474870678 cliquez sur le lien ci-après www.cote-rotie.com/vignerons-c... . Comme au cinéma ou les livres rien ne vaut le bouche à oreille ( merci aux amis de Tain qui m’ont donné les adresses) pour faire les plus belles découvertes et sortir des sentiers battus des critiques.