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27 septembre 2016 2 27 /09 /septembre /2016 06:00
Les Ignorés : la triste histoire d'Edgar Samson de la ferme au bout du chemin de la Planche, un pauvre gars qui collectionnait les malheurs.

C’est ce dont je rêve chaque jour que Dieu fait : que l’une ou l’un d’entre vous prenne sa plume, ou plus prosaïquement pianote sur son clavier, pour emplir la page blanche qui est mon lot quotidien depuis plus de dix années.

 

Mon espace de liberté est espace ouvert, offert à ceux qui veulent bien l’occuper. Dans mon pays crotté, au Bourg-Pailler, la porte, les portes n’étaient jamais verrouillées, je n’ai pas le souvenir d’avoir gamin su ce qu’était une clé.

 

Et puis, au petit déjeuner, les bonnes venaient chercher le lait de leur patronne ; les jours de marchés et de foires c’était un véritable défilé : les clients de mon père passaient prendre un verre, restaient jusqu’à pas d’heure, discutaient et parfois payaient leurs dettes.

 

La France paysanne de ma jeunesse, celle que la Révolution silencieuse chère à Edgard Pisani et à Michel Debatisse, métayage, polyculture-élevage, valets de ferme, ni eau courante, ni électricité, allait être arasée comme les haies du bocage par le remembrement. Les bras inutiles migraient vers les grandes villes. L’exode, un exode invisible, qui allait faire proclamer à certains « nous ne voulons pas des hectares mais des voisin. »

 

La solitude, l’endettement, la bureaucratie des organismes agricoles, le délitement du mutualisme, le triomphe des gestionnaires, des comptables, broient et continuent de broyer ceux qu’on ne nomme plus paysans mais agriculteurs ou éleveurs.

 

Dans notre société urbanisée les grands médias fonctionnent à l’émotion, alors de temps en temps, lorsque survient une crise, comme celle du lait, on s’apitoie, on larmoie sur le triste sort de certains d’entre eux avant de passer à d’autres sujets d’émotion.

 

Les donneurs de solution et de leçons m’exaspèrent souvent, gouverner notre pays n’est pas une sinécure, se mettre réellement les mains dans le cambouis de la vie de ceux que je continue de nommer paysan n’est guère gratifiant dans les sphères du pouvoir. Notre administration territoriale noyée dans la paperasse, la gestion de dossiers d’aides de l’UE, a perdu le contact avec ce qu’on appelle chez les politiques : le terrain. Les administrations agricoles sont logées à la même enseigne, elles ne sont plus les outils au service du plus grand nombre, elles vont vers ceux qui peuvent payer leur service.

 

Il ne s’agit pas ici de dresser un acte d’accusation, d’instruire systématiquement à charge, mais de faire ce qu’un de mes fidèles lecteurs, Jean-Pierre Glorieux, conter une histoire qui plonge ses racines dans le quotidien des IGNORÉS.

 

Merci Jean-Pierre de cette contribution que j’ai scindé en 2 épisodes.

 

 

Le monde rural subit une crise profonde, souvent silencieuse.


Des drames surviennent qui ne font pas les gros titres de la presse, pourtant chaque jour des paysans mettent fin à leurs jours: Edgar Samson était l'un d'entre eux.

Un beau soleil réchauffait ces vacances d’automne.


Nous profitions de l’invitation de mon vieux pote Frédo pour passer la semaine en Normandie à St Martin du Bocquey et l’aider à la réfection de sa maison : des bricoles genre peinture des radiateurs et carrelage des murs de la douche, bref rien de bien compliqué.


Mathilde et moi avions saisi l’occasion mainte fois reportée mais, Nathalie partie, nous n’avions plus d’excuses.


Frédo se remettait tant bien que mal de cette séparation rugueuse ; au printemps elle l’avait subitement quitté : en rentrant un soir, il avait découvert l’armoire vidée son contenu et un post-it sur le frigo :


« J’en peu plus, tu n’as plus aucune attention envers moi
je préfère tirer le rideau : j’ai besoin de prendre du champ
»


Ps: n’essaie pas de me joindre – je t’appellerai dans qqe jours et SURTOUT EVITES D'EMMERDER MES COPINES à coup de TÉLÉPHONE.

 

Nath.


La mauvaise surprise fut le délestage du compte bancaire des trois-quarts de son modeste contenu, ce qui mit Frédo en mauvaise posture : contraint de mettre en vente l’appartement commun, il avait opté pour la campagne, mais avec la crise de l'immobilier, la vente ne s’était toujours pas conclue et il devait continuer à rembourser le crédit contracté quatre ans plus tôt.


Cette modeste maison ferait l’affaire, le propriétaire lui accordant une large remise de loyer en échange d’une restauration conséquente.


Fred qui n’avait plus d’emploi stable depuis longtemps bossait à droite à gauche et avait acquis assez de savoir-faire pour se passer d’artisans chers et rarement au rendez-vous.


Quand il nous avait sollicités, Mathilde et moi avions mis au pot comme la plupart de ses amis. Il était malaisé de refuser à un type aussi chaleureux et ami de trente ans !

 

Connu dans la région, on le voyait dans toutes les manifestations, lui le correspondant de l’Echo de la Plaine, la gazette locale.


On l’entendait de loin sur sa vieille Moto Guzzi au son si particulier.

Arrivés de Paris le dimanche midi après un détour par le marché de Caen, voici l’histoire telle que Fred nous l’a racontée à l’apéro sous le gros tilleul du jardin.

« A 8 h jeudi dernier j'ai été appelé par l'adjoint Aimé Lecaplain. Le pauvre arrivait à peine à parler et c'est seulement sur place que j'ai compris l’enchaînement de cette histoire digne d'un mauvais polar.


Depuis des mois la CREM * tentait de recouvrer les cotisations du vieux paysan Edgar Samson habitant la ferme au bout du chemin de la Planche.


Il faut dire que ce pauvre gars collectionnait les malheurs.


Il n'arrivait plus à s'en sortir entre les règlementations et cotisations : la paperasse n'était pas son fort. À la mort de sa femme, tuée par une vache subitement devenue furieuse, il avait décidé d’arrêter la production de lait qui ne rapportait plus vraiment.
Les cours n'en finissaient pas de baisser et la surproduction n'arrangeait pas les choses d'autant que la mise aux normes européennes de son installation coûtait des sommes colossales, or la banque rejetait ses demandes de prêt.


Soutenu par la CARI* un temps, il s’était fâché avec le responsable local, un écolo pourtant pas maladroit.

 

Il faut dire qu'Edgar n'était pas des plus conciliants et se moquait bien des conseils amicaux de ce jeune éleveur très au fait de la législation.


Aussi, sa reconversion s'était portée sur l'élevage de brebis et la production d'agneaux.
Pour son malheur la maladie de la « langue bleue » obligeait chaque éleveur à vacciner le troupeau agneaux inclus dès 3 mois.


Notre Edgar, soudainement converti aux thèses des écolos les plus radicaux, s'était «pris le chou» avec le véto du coin, un «étranger pro-européen», dont la voiture arborait la cocarde bleue étoilée fait assez rare pour lui valoir les sarcasmes des gars du coin.


Il avait bradé les quinze normandes du troupeau et entrepris d'aménager l’étable en bergerie à l’aide de palettes en bois. Des semaines durant il avait enclos les six hectares, séparés par la Coudre en dessous de l’ancien moulin avec du grillage spécial à mailles carrées.

 

Cette parcelle, un temps convoitée par la mairie pour y installer un épandage des eaux usées n’était pas constructible, il avait vendu les autres, plus éloignées, à un jeune agriculteur aux dents longues qui raflait tout avec l’appui de la Safer.


- C’est quoi cette Safer demandais-je ?


- Bah je t’expliquerai, c’est une invention de Pisani sous de Gaulle dans les années 60.


Donc notre Edgar se rend au marché des ovins de Gavray dans la Manche et en ramène 6 brebis et un blin : le blin, c’est le mâle, le bélier quoi.


- Ah je croyais que c'était un bouc moi remarque Mathilde tout en épluchant la salade.


- Ben si tu mets un bouc avec une brebis, ils vont peut-être s’amuser un temps mais tu n’auras pas de naissance ma belle ! lui répond Frédo.


- Ah moi je croyais que c'était comme les ânes et les juments : qu’on obtenait des sortes de mulets !


- Mais non Mathilde ! Ça ne marche pas comme ça, je t'emmènerai au prochain Salon de l’Agriculture répondis-je amusé.


Donc voilà notre Edgar producteur d'agneaux. La première saison, il y a 3 ou 4 ans, 10 naissances, 4 mâles et 6 agnelles soit 17 têtes, pas d’accident, pas de chiens errants qui vous bousillent les bêtes …


- Et toujours pas de loups dans le secteur ?? ironise Mathilde


- Ah tu es en forme toi ! rétorque Fred


- On n’en est pas encore là Dieu merci ! Bien que le loup soit une vraie calamité en montagne, je plains les éleveurs sinistrés.


Avec ce cheptel il ne peut guère rentrer d'argent même si le congélateur est bien garni.

 

Mais l’élevage, c’est aussi tenir un registre des naissances, acheter ces affreuses médailles plastique, couper les queues et depuis 2007 la vaccination est obligatoire.


- Oui, cette fameuse maladie de la langue bleue qui arrive d'Afrique ? dis-je l'air informé


- Voilà et c'est le début de la fin en quelque sorte, enfin ce qui va précipiter sa chute.


- Mais .... ? interroge Mathilde tout en s'activant au repas tandis que Fred refait les niveaux de Sauvignon, mais, comment tu sais tout ça Fred ? Tu es devenu spécialiste en élevage ou tu as fait des stages ?


- Ma chère amie, n’oublie pas que je viens de la Manche, pays des Avranchins, les fameux agneaux de prés salés; gamin j’accompagnais grand-père, on comptait les bêtes à la jumelle et au moindre signe suspect on démarrait la 2 cv (troupeau affolé rentrant en milieu de journée, promeneurs louches ou chiens errants sur les herbues) répond l'ami Fred fier de ses racines rurales.


- Bon alors qu’on en termine avec ton fameux Edgar, j'ai une vraie faim de ...loup moi !


- Ainsi, à force de relances sans suites et de lettres recommandées, un beau matin Edgar reçoit la visite du vétérinaire accompagné de deux gendarmes pour, officiellement, vérifier la conformité de son élevage avec la réglementation européenne.


Le vétérinaire lui met sous le nez une série de photos prises en hélicoptère.


- Non tu plaisantes ?


- Je t'assure véridique ! Quatre clichés en couleur ; on y distingue toutes les bêtes dans le champ et même l'ânesse en plus sombre, dans le champ voisin on voit un tracteur et les deux couvreurs sur le toit de la mairie : Aimé, l’adjoint toujours prudent a fait un dossier et m’a montré les copies : incroyable. Il m'a avoué être écolo et comprendre les réactions de ces paysans récalcitrants.


- Alors on paie des heures d’hélico pour emmerder des pauvres types en infraction !... C’est aussi drôle que les radars routiers ton affaire ...Vas-y, continue, j’ai faim...!


- Donc les flics dressent procès-verbal et la suite, vous l'imaginez ...Deux jours plus tard, un camion embarque tout le troupeau soit vingt-deux bêtes, sauf la chèvre, son petit et l'ânesse qui seront épargnés.


Edgar furieux insulte la terre entière, le chef de la gendarmerie est venu sur place, navré mais la loi n’est-ce pas... il tente de le calmer, demande à l’adjoint si « notre gars ne serait pas en possession d'un fusil ou d’une arme ? « Il n’est pas chasseur répond Aimé, si oui, on se serait déjà fait tirer dessus ! »


On lui demande de signer des formulaires de reconnaissance des faits, là sur le capot du fourgon, il refuse obstinément et les traite de « soviétiques, barbares pires que les nazis » qu’il n’a pas connus mais son père, torturé par la Gestapo, oui !


- Alors une fois le troupeau embarqué, question : va-t-il toucher quelqu’argent ? Je suppose que ses bêtes, même non vaccinées ; étaient saines, l’administration lui versera-t-elle une indemnisation ? demandais-je.


- Pardi, mais tu connais notre système, ce maigre revenu six semaines plus tard ne permettra pas de solder assurances, cotisations et frais courant (carburant, achat de foin, EDF) et il y a tout juste trois jours, le drame est arrivé.

 

- Quel drame ? Tu nous dis qu’il n’était pas belliqueux, seulement vindicatif mais brave type...


- Oui, au fond, un de ces paysans qui n’a pas vu venir la modernisation et ses contraintes, on est au XXIème siècle tout de même..! Le plus triste dans cette histoire...


Mathilde intervient « Ohé ! Les hommes: on mange des sandwiches ou quelqu’un allume le barbecue pour griller les maquereaux ??


- Je m’en occupe, reste avec nous tu vas savoir la suite... tragique ! dis-je sarcastique.

 

à suivre...

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commentaires

P
La campagne c'est dépaysant dirait l'amateur de calembours. Mais les paysans c'est une peu comme les harkis ; on s'en souvient en période électorale.A ceci prés qu'en période de crise on débloque des "aides" ( emplâtre sur une jambe de bois ) avant de faire donner la troupe si ça ne suffit.<br /> Vivement la suite !
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